Association Française de Sociologie réseau thématique 31 - Tag - salariatAssociation Française de Sociologie réseau thématique 312015-09-01T14:11:36+02:00urn:md5:be7caa8dfa753e48ccb3228028ea71fbDotclearLa découverte de la relation employeur/employé dans les clubs sportifs amateursurn:md5:4b11b733e0b12402c06fa2fd20d6006c2006-08-30T14:26:00+02:002011-03-07T14:33:42+01:00adminSC-RT 1 & 35 (Savoirs, travail, professions ; Sociologie de l’engagement, de la vie associative et du bénévolat)2006association sportivebénévolatprofessionnalisationsalariat<p class="titre-texte">auteure : Anne-Lise Hinnewinkel</p> <div class="texte"><p class="spip">Téléchargez cet article : <a href="http://afsrt31.u-paris10.fr/public/congres/2006/Com_AFS_2006.doc">Découverte relation employeur employé<br /></a> <a href="http://afsrt31.u-paris10.fr/public/congres/2006/texte_hinnewienkel.doc">La découverte de la relation employeur/employé dans les clubs sportifs amateurs</a></p>
<p class="spip">Introduction</p>
<p class="spip">Le processus de salarisation que connaissent les
associations sportives depuis les années 90 apparaît comme la
conséquence de deux facteurs combinés. D’une part, la mise en place de
contrats aidés a largement facilité l’embauche de salariés dans les
associations sportives. D’autre part, les clubs sportifs ont vu
progressivement leur rôle évoluer vers celui de prestataires de services
sensés combiner aussi bien la recherche de résultats sportifs,
l’encadrement de pratiques de loisir, que la mise en place de projets
éducatifs. Cela a pour conséquence de faire évoluer les références
traditionnelles autour du loisir vers des références à l’univers du
travail .</p>
<p class="spip">Cependant, l’encadrement sportif bénévole ou non, qui
jusqu’à ces dernières années a pris en charge la pratique au sein des
clubs, est formé avant tout dans une perspective technicienne.
L’intégration d’un public qui ne partage pas forcément ces objectifs
implique, lorsque les dirigeants en ont la volonté, une réorganisation
du fonctionnement du club aussi bien pour la répartition des créneaux
horaires d’utilisation des équipements sportifs, que pour les profils
des entraîneurs-animateurs chargés de les accompagner. Dans cette
démarche, qui s’apparente alors à celle d’un prestataire de services,
“les dirigeants proposent des services qui sont difficilement assumés
par des bénévoles. La stratégie est alors la professionnalisation des
fonctions : animateurs sportifs et cadres administratifs” . Cette
nécessité de répondre à des attentes qui se diversifient, liée aux
difficultés que rencontrent certains dirigeants à assumer de lourdes
responsabilités administratives et juridiques, semble être, au moins en
partie, à l’origine du phénomène d’embauche de salariés par les clubs.
Toutefois, il est permis de se demander dans quelle mesure la création
d’un emploi dans ces structures, surtout dans les plus petites, ne
constitue pas en elle-même une charge supplémentaire pour leurs
dirigeants.
D’autre part, le secteur sportif associatif “est [...], depuis peu,
pensé (politiquement) comme un secteur économique générant des flux
financiers, produisant de nouveaux services et créant potentiellement
des emplois” . A l’image de l’ensemble du secteur associatif, il a donc
été sollicité pour participer à la mise en œuvre des différents
dispositifs d’aide à l’emploi évoqués précédemment. Ainsi, afin de
contribuer à la lutte contre le chômage, le Ministre de la jeunesse, des
sports, et de la vie associative a récemment présenté un plan
d’accompagnement dans le secteur associatif visant à la création de 45
000 nouveaux emplois . Pour ce qui concerne les associations sportives,
un accord cadre à d’ors et déjà été signé le 05 octobre 2005 entre les
pouvoirs publics et des représentants du secteur “sport” afin de
recruter 10 000 personnes sur trois ans en s’appuyant notamment sur les
Contrats d’Avenir et les Contrats d’Accompagnement vers l’Emploi .
Pour les dirigeants de ces associations, en plus d’un rôle
d’organisation et de gestion, il s’agit de gérer des ressources humaines
et de mettre en place les conditions nécessaires à la formation des
salariés recrutés ainsi qu’à la pérennisation des emplois créés . Comme
cela sera détaillé par la suite, cette situation conduit à repenser la
fonction de dirigeant de club en tenant donc compte, en plus de l’aspect
sportif, des responsabilités de gestionnaire et d’employeur qui peuvent
lui incomber. Pour les salariés, il s’agit de combiner à la fois les
règles de la vie associative, basées traditionnellement sur l’engagement
bénévole, et une position de salarié soumis aux directives de son
employeur.
Plus globalement, l’embauche de salariés par les associations sportives
apparaît comme une stratégie visant à répondre à un ensemble
d’opportunités (les contrats aidés en particulier) et de contraintes (la
bureaucratisation du fonctionnement des clubs, et l’évolution des
attentes des pratiquants sportifs) qui s’imposent à ces organisations.
Or, l’association sportive est envisagée ici comme un système d’action
concret (Crozier&Friedberg,1977) dans lequel les acteurs coopèrent
pour atteindre des buts collectifs mais aussi individuels. Dès lors,
l’embauche de salariés dans ces organisations gérées par des bénévoles
apparaît ici comme une source de changement impliquant de nouvelles
formes d’action collective. Il s’agit donc d’un processus
d’apprentissage collectif qui est analysé à travers les stratégies des
présidents et des salariés de ces clubs.</p>
<p class="spip">L’enquête qui sert de support à cette étude à été
réalisée auprès de vingt associations sportives de six disciplines
différentes (tennis, athlétisme, basket-ball, rugby, badminton et surf).
Dans chaque club, quatre par discipline excepté pour le surf et le
rugby , le président ou un vice-président et le ou l’un des salariés a
été interrogé au cour d’entretiens semi-directifs d’une durée de
quarante cinq minutes à une heure trente.
Après avoir analysé les conditions de recrutement et de travail des
salariés, seront abordés la manière dont les dirigeants appréhendent
leur position d’employeur ainsi que les conditions dans lesquelles
chacun élabore mais aussi s’adapte à un nouvel équilibre au sein du
club.</p>
<p class="spip">1. Des salariés issus du secteur sportif associatif pour assumer des tâches multiples</p>
<p class="spip">Le choix du profil des personnes qui devront être
recrutées est la première étape dans la démarche de salarisation de
l’association. Il s’agit pour les dirigeants de clubs de s’adjoindre les
services de quelqu’un qui connaisse déjà ou qui pourra s’adapter aux
spécificités du secteur sportif associatif. De plus, les objectifs
sportifs, éducatifs ou sociaux de la structure peuvent aussi entrer en
ligne de compte pour choisir le salarié.</p>
<p class="spip">1.1. Entre recherche de performance et soucis d’intégration sociale</p>
<p class="spip">Pour répondre à ces attentes, trois types de recrutement
peuvent être repérés dans l’échantillon retenu pour cette étude : celui
d’un joueur de bon niveau qui viendra renforcer l’équipe phare du club
et s’inscrira dans une recherche de performance sportive, celui d’un
diplômé de l’encadrement dont la mission principale sera d’améliorer
l’offre de services du club, et enfin, celui d’un ancien bénévole de
l’association elle-même ou d’une autre, et dont on peut supposer qu’il a
déjà intégré les modalités de fonctionnement d’une association sportive</p>
<p class="spip">En se lançant dans le recrutement d’un salarié, les
dirigeants de clubs cherchent à atteindre plusieurs objectifs à la fois.
Tous aspirent à une amélioration de leur offre sportive, mais ils y
associent souvent le désir d’atteindre un niveau de compétition sportive
supérieur, et l’envie d’aider une personne à s’insérer
professionnellement. Les dimensions économiques, sociales et sportives
seraient alors associées dans une même démarche. Les attentes vis-à-vis
du salarié et de ce qu’il peut apporter au club sont donc multiples et
parfois divergentes. Or, dans la lignée des travaux de Léon Festinger ,
Erhard Friedberg explique que “Les préférences et les buts des acteurs
ne sont pas figés, mais se découvrent et se modifient au contraire dans
et par l’action” . La réussite du projet de salarisation de
l’association est en effet plus difficilement perceptible dans la mesure
où les espoirs qui y sont rattachés ne sont pas toujours clairement
définis. Selon les évolutions des relations du club avec son
environnement, ou encore les résultats sportifs obtenus, le rôle du
salarié peut changer, les attentes des dirigeants vis-à-vis de ce qu’il
peut ou doit apporter à la structure seront alors modifiées a
posteriori. Dès lors, afin de retrouver une “consonance cognitive” , une
cohérence entre leurs décisions et leur discours, les dirigeants de
clubs peuvent être conduits à revoir leurs priorités. De plus, les
conditions de travail observées au sein de ces associations sportives
révèlent une multiplicité des tâches assumées par les salariés. En
effet, comme cela sera détaillé par la suite, l’organisation de la
pratique sportive au sein des clubs recèle des facettes diverses. Ainsi,
face aux impératifs de la compétition sportive, aux attentes parfois
divergentes des représentants du mouvement sportif, des collectivités
locales mais aussi des adhérents, les rôles dévolus aux salariés sont
soumis à de nombreuses variations.</p>
<p class="spip">En décidant d’introduire un nouvel acteur au sein du
système d’action “club”, les dirigeants engagent leurs associations dans
des changements qui ne sont pas et ne peuvent pas être totalement
prévisibles. D’une part, les raisons qui précèdent au recrutement des
salariés sont à la fois multiples et dans une certaine mesure, confuses.
D’autre part, les évolutions qui découlent de ce processus de
salarisation des associations sportives se font à travers l’échange
négocié entre des acteurs qui découvrent et construisent à la fois de
nouvelles règles du jeu. La définition des tâches, et par extension des
rôles de chacun est ainsi l’un des enjeux principaux de ces
négociations, car elle révèle mais aussi influence la répartition des
pouvoirs au sein de l’organisation.</p>
<p class="spip">1.2. Des tâches multiples attribuées aux salariés selon leurs clubs</p>
<p class="spip">D’un club à l’autre, les conditions de travail des
salariés peuvent considérablement varier. Selon le type d’APS pratiqué,
la taille de la structure, le budget, mais aussi les profils des
dirigeants de l’association et les objectifs affichés, le poste occupé
pourra correspondre à l’accomplissement de tâches très différentes les
unes des autres, et à des degrés de responsabilités divers.</p>
<p class="spip">Les tâches confiées aux salariés Discipline sportive
Tennis Athlétisme Basket-Ball Rugby Badminton Surf Total
Entraînement des adhérents du club 4 4 4 1 4 3 20
Intervention en-dehors du club (CLSH, section sportive scolaire, école primaire) 0 1 3 1 4 3 12
Organisation de manifestations sportives 4 3 4 0 3 3 17
Secrétariat 3 4 4 1 3 3 18
Recherche de sponsors 1 1 0 0 0 1 3
Relations avec les collectivités locales 1 1 0 1 1 3 7
Relations avec les organes locaux des fédérations 1 2 1 1 2 3 10
Gestion de personnel 2 1 0 0 1 3 7
Nombre de clubs 4 4 4 1 4 3 20
Tableau 3 : Les tâches confiées aux salariés</p>
<p class="spip">Les emplois proposés dans les clubs sportifs varient en
fonction du type de tâches attribuées aux salariés. La première
distinction concerne les sections de clubs omnisports et les clubs
unisport. Dans le premier cas, deux rôles distincts peuvent être
repérés : celui d’animateur d’un centre de loisir sans hébergement
(CLSH) dépendant de l’omnisports, et celui d’entraîneur et parfois de
gestionnaire de la section de rattachement. Dans le second cas, les
salariés ne sont concernés que par l’activité du club ou de la section
de club qui les emploie. Toutefois, dans les deux cas, la polyvalence
des salariés semble nécessaire. Ils doivent être capables à la fois
d’organiser la pratique, au sens administratif du terme et de
l’encadrer.</p>
<p class="spip">Cependant, le directeur du service des sports du Conseil
Régional d’Aquitaine remarque qu’ “Au lieu de recruter des
développeurs, on (les associations sportives) a embauché des
entraîneurs. [...] on a souvent recruté dans une logique sociale alors
que pour être développeur il faut des jeunes diplômés car cela nécessite
la polyvalence des compétences, de bien comprendre l’environnement
institutionnel et juridique”. Ainsi, le recrutement des salariés est
réalisé par les dirigeants de clubs dans la perspective d’améliorer son
fonctionnement, de manière générale, tout en préservant les traditions
de fonctionnement de la structure. Il s’agit, comme cela a déjà été
évoqué, d’embaucher une personne qui adhère à ce que William Gasparini
appelle “l’orthodoxie associative”, liée à “la reconnaissance tacite de
la valeur de l’éthique sportive associative et de sa culture
organisationnelle (gratuité de l’activité sportive, effort et mérite,
références aux valeurs de l’olympisme, apolitisme des associations
sportives, modèle du club et respect de la hiérarchie fédérale,
bénévolat des dirigeants...)” . Or, recruter des “développeurs” diplômés
plutôt que des entraîneurs aux tâches élargies impliquerait de
s’engager dans une remise en cause, au moins partielle, de cette culture
organisationnelle, et dans une stratégie de l’action que certains clubs
n’ont pas encore mise en place. Surtout, de tels acteurs au sein des
associations auraient vocation à repenser l’organisation de la
structure, à planifier de nouvelles actions, ce qui relève
statutairement et traditionnellement des prérogatives des dirigeants
élus. De tels salariés pourraient alors être perçus comme capables de
remettre en cause, en partie, l’autorité de ces derniers. Or, cette
question de l’équilibre entre l’autonomie octroyée aux salariés d’une
part, et le rôle de décideurs des dirigeants élus d’autre part, est
centrale dans la relation employeurs-employés observée ici. Ainsi, comme
cela sera détaillé par la suite, si les premiers sont en attente à la
fois de responsabilités mais aussi de cadres pour guider leur action,
les seconds cherchent des personnes capables de prendre des initiatives
tout en se conformant à des directives strictes. Un président de club de
basket explique à ce sujet : “Les salariés réclament des “tableaux de
bord” mais le risque c’est qu’ils restent uniquement dans le cadre qui
leur serait attribué”. C’est la difficulté de trouver un compromis entre
la marge de liberté laissée au salarié et le nécessaire contrôle de son
travail par l’employeur. Trop de règles et de cadres pourraient ainsi
se retourner contre les dirigeants du club qui ne peuvent ou ne veulent
pas toujours définir exactement le rôle du salarié afin de ne pas
limiter ses champs d’intervention.</p>
<p class="spip">Par ailleurs, l’encadrement de la pratique sportive
implique d’exercer l’activité plutôt le soir et le week-end, surtout
lorsque la compétition fait partie des objectifs du club. Dès lors, les
emplois du temps sont à la fois décalés par rapport aux horaires
“classiques”, et souvent flexibles étant donné les modalités
d’organisation des rencontres sportives qui se déroulent rarement aux
mêmes heures et aux mêmes endroits, et dont la durée n’est pas toujours
prévisible.
La compétition sportive tient une place centrale dans l’organisation de
la vie des clubs rythmée par les entraînements ainsi que les rencontres
organisées par les ligues et comités sportifs. Bien que le rôle social,
voire éducatif de ces associations ne soit pas occulté, les résultats
sportifs apparaissent comme un outil précieux à la fois pour assurer une
visibilité du club auprès des pratiquants mais aussi auprès des
partenaires et des collectivités locales en particulier. Le président
d’un club d’athlétisme affirme à ce sujet : “Il ne faut pas montrer que
la compétition, mais montrer aussi qu’on fait du travail de proximité.
Mais c’est vrai que les résultats apportent aussi sur le plan du soutien
des collectivités locales”. Dès lors, il s’agit pour les dirigeants de
clubs qui ont choisi d’embaucher des salariés d’organiser les emplois du
temps de ces derniers en fonction de ces contraintes. En tant que
membres à part entière de l’association, les salariés sont souvent
encouragés à participer à la vie du club, au-delà de leurs heures de
travail. Nombreux sont ceux qui affirment que “c’est normal” car cet
investissement “extraprofessionnel” est inhérent au fonctionnement d’une
association sportive : “[A propos du suivi des jeunes en compétition]
j’ai du mal à dire bénévolat parce que quand même, j’estime que
moralement ça fait partie de sa charge. Mais ça n’est pas rémunéré”. De
même, un professeur de tennis reconnaît : “C’est une association donc on
est salarié mais on a une part de bénévolat, c’est normal. Mais il ne
faut pas que ce soit trop prenant, alors parfois on est un peu en
conflit, c’est pas facile”. En outre, l’idée que sans bénévolat au-delà
des heures de travail officielles, le poste sur lequel ils ont été
embauchés ne pourra pas être pérennisé, est très répandue. A ce sujet,
un salarié affirme : “ on ne sort pas du lot si on ne le fait pas”.
C’est donc la pérennisation du poste qui peut être remise en cause.
Certains salariés, cependant, sont plus réticents à accepter de
participer à l’organisation de manifestations, à des réunions ou au
suivi de compétitions en-dehors de leur temps de travail.
Toutefois, ils craignent aussi les reproches de leurs dirigeants et
préfèrent souvent se plier à leurs demandes : “Moi je suis pas d’accord,
mais y a une très grande partie de bénévolat. Et si on fait pas ce
bénévolat on nous fait des reproches parce qu’on pense que çà fait
partie du travail”. Là encore, de par le lien affectif qui les lie à
leur club employeur, les salariés tendent à considérer qu’il sont
redevables envers les dirigeants qui les ont recrutés. Pierre Chazaud
évoque pour sa part une “[...] intériorisation des normes bénévoles par
des professionnels salariés cooptés, mais devenus les otages de
dirigeants emblématiques” . Or, bien que les salariés soient souvent
recrutés au sein de la sphère associative, ils se construisent au fil du
temps, en tant qu’employés, autant, voire plus, que membres d’un club.
Ils développent alors un point de vue dans lequel leurs conditions de
travail notamment, prennent une grande importance. Face à des dirigeants
qui évoluent dans un environnement bénévole aux contours fluctuants,
apparaît dès lors une dissonance cognitive. Elle peut être illustrée par
le discours du président d’un club de basket qui considère que “Les
salariés des clubs sportifs sont plutôt des gens qui font çà par
passion. Leurs heures supplémentaires ne sont pas payées mais ils ne
sont pas plus sollicités que les bénévoles”. Ainsi, le rôle de salarié
n’est pas toujours clairement défini. S’il peut prendre un sens
différent d’un club à l’autre, il est aussi l’objet d’une négociation
constante entre employeur et employé.</p>
<p class="spip">2. Les relations entre salariés et présidence : entre liens de subordination et échange négocié</p>
<p class="spip">L’environnement des salariés est avant tout composé des
pratiquants sportifs et des dirigeants bénévoles. Ces derniers, et tout
particulièrement le président, sont en position d’employeurs et jouent
dans de nombreux cas le rôle d’interlocuteur privilégié et obligé du ou
des salarié(s). La qualité de cette relation peut donc avoir une
véritable incidence sur le travail fourni par le salarié et la manière
dont il vit son emploi.</p>
<p class="spip">2.1 Des dirigeants bénévoles en position d’employeurs</p>
<p class="spip">Afin de clarifier quelque peu les différentes situations
qui peuvent être recensées, il semble qu’une catégorisation des
différents profils de président de club puisse s’avérer éclairante.
Cette classification n’est pas exhaustive, tout comme les catégories
présentées ne sont pas exclusives les unes des autres. Il s’agit avant
tout de repérer des modalités de fonctionnement plus ou mois spécifiques
au secteur sportif associatif.</p>
<p class="spip"> Le patriarche
Le premier profil correspondrait à celui du patriarche ayant une longue
ancienneté dans le club. L’objectif de ce type de président est d’allier
une ambiance “familiale” avec un fonctionnement relativement rigide où
tout doit passer par lui. Au sujet d’éventuels conflits entre des
membres de l’encadrement du club, l’un d’entre eux explique : “Moi je
n’y attache pas trop d’importance. Je règle ça en levant le ton”. Dans
le discours, la confiance dans sa relation avec le salarié est
primordiale, et plus qu’un employeur, il se considère comme un guide
présent pour aider l’employé à pérenniser son poste. Toutefois, si un
conflit, même mineur, apparaît entre les deux acteurs, la relation
hiérarchique ressurgit rapidement. Le président de l’un des clubs
d’athlétisme l’illustre d’ailleurs en affirmant : “Je ne me sens pas ici
comme un patron mais on a bien défini le fait que c’est moi, en tant
que président, qui reste l’employeur”.</p>
<p class="spip">Le chef d’entreprise
Le deuxième profil est celui de “l’entrepreneur” qui utilise le club
pour élargir son réseau tout en mettant le sien à profit afin de
favoriser le développement de l’association. La recherche d’efficacité
est souvent évoquée et il se considère comme un employeur à part entière
qui doit conduire le club à atteindre des objectifs définis. Pour
l’exemple, un président de club explique : “Un client mal servi c’est un
client qui disparaît. Un adhérent mal servi c’est un adhérent qui
disparaît aussi”. Le salarié doit alors répondre à des attentes précises
en terme de compétences et de disponibilité. Cependant, un autre de ces
dirigeants remarque : “La relation est différente entre l’emploi
associatif et l’emploi dans une entreprise même si on essaie d’aborder
le problème de la manière la plus professionnelle possible en mettant en
place des fiches de postes, en définissant des tâches précises et en
fixant l’emploi du temps des salariés”. Ainsi, ce profil de responsable
de club est confronté à la difficulté d’accorder ses principes issus du
monde de l’entreprise avec les spécificités de la vie associative où les
relations entre employeurs et employés ne sont pas encore codifiées,
restent à construire.</p>
<p class="spip">L’ancien “bénévole de base”
Le troisième profil concerne les anciens “bénévoles de base” dont la
volonté affichée est de rendre service au club sans aucune ambition
personnelle. Ce type de président est celui qui a, semble-t-il, le plus
de difficultés à assumer le rôle d’employeur. L’un de ces dirigeants
raconte ainsi que “C’est pas toujours très facile parce que moi je suis
salarié d’une entreprise donc je me mets un petit peu plus à la place du
salarié du club. Donc de temps en temps on peut avoir un peu de mal à
remettre les choses dans l’ordre si ça ne va pas très bien. J’essaie de
faire en sorte que ça se passe le plus facilement possible, sans qu’il y
ait trop de heurts”. Ces bénévoles conçoivent le club comme un lieu de
convivialité où “chacun aime venir rencontrer ses amis”. Dès lors, le
salarié, qui comme on l’a déjà évoqué est souvent issu de la sphère
proche du club, est parfois considéré comme un membre de l’association
au même titre que les autres. Ce dernier peut alors se sentir quelque
peu livré à lui-même, alors que de son côté, le président n’ose ou ne
souhaite pas se comporter en “patron” et donner des ordres.</p>
<p class="spip">2.2. Une ambiance conviviale qui ne masque pas un lien hiérarchique incontournable</p>
<p class="spip">La relation employeur-employé est basée sur la signature
d’un contrat de travail. Cela implique, par conséquent, un lien de
subordination entre les deux parties. L’employeur décide des tâches à
accomplir et de la manière de le faire puisqu’il dispose de la
compétence du salarié. Ce dernier est sensé appliquer ce que l’employeur
lui demande, dans le cadre de ce qui est précisé dans le contrat de
travail. Le salarié d’un club de tennis déclare à ce sujet : “Entre
nous, il y a quand même un lien hiérarchique fort, il a l’habitude
d’être patron et de diriger du personnel, mais dans la bonne humeur”.
Dès lors, et malgré la volonté de voir une ambiance conviviale
prédominer dans le club, en cas de désaccord, cette relation
hiérarchique peut ressurgir. Un dirigeant de basket raconte ainsi : “Je
gère du personnel dans ma vie professionnelle mais je ne le transférait
pas dans le vie du club au début. Cela ne m’apparaissait pas comme une
priorité, mais aujourd’hui si, et cela me permet de mieux fonctionner”
et un autre que : “Maintenant, les employés, je ne leur fais pas la
bise, je les vouvoies et eux aussi me vouvoient”. Ceci peut donner lieu
à des incompréhensions puisque d’une relation amicale, et d’égal à
égal, il est possible de passer à une relation de subordination. Une
sorte de confusion peut apparaître.
De par leur statut de bénévoles, les dirigeants ne sont pas présents
dans le club à plein temps (ou rarement). Dans certains cas, le salarié
se sent livré à lui-même. De plus, il dispose d’une marge de liberté
conséquente et il peut orienter, en partie au moins, son action selon sa
propre vision des choses. Le salarié d’un club d’athlétisme explique :
“Ici j’ai beaucoup d’autonomie, mais le président de l’omnisport essaie
de limiter un peu çà”. Selon la pertinence des zones d’incertitude
qu’ils parviennent à maîtriser, les relations de pouvoir entre
dirigeants et salariés peuvent prendre des configurations différentes.</p>
<p class="spip">Souvent, les salariés ont un contact privilégié avec les
adhérents du club et peuvent transmettre et recevoir les informations
relatives à l’organisation de la pratique sportive. Dès lors, le rôle
d’“aiguilleur” qu’ils sont conduits à assumer peut être considéré comme
une source de pouvoir dans leurs relations avec leurs employeurs. De
même, le salarié de l’un des clubs de basket est aussi formateur au
comité départemental. Le président du club reconnaît que “Sur beaucoup
de points, le salarié connaît mieux les rouages de la fédération que
nous. Il sert même de référence sur certains points”. Il incarne alors
le rôle “d’intégrateur” ou de marginal-sécant, et peut d’autant plus
facilement faire circuler l’information du comité vers son club. Or,
cette maîtrise de l’information apparaît comme une source de pouvoir
dans la mesure où celui qui la possède peut choisir ou non de la
diffuser . Ainsi, certains dirigeants craignent de voir le salarié
prendre une place trop importante dans le fonctionnement du club. Non
seulement il y a le risque de ne plus pouvoir s’en passer, mais il y a
aussi, même si c’est moins clairement évoqué, la crainte de voir leur
propre pouvoir diminuer. Le président d’un club de badminton reconnaît
ainsi : “Il a un rôle technique mais il aide aussi sur les tâches
administratives et politiques, je lui fait confiance. [...] Le problème
c’est que parfois il prend le dessus sur mes responsabilités”. Bien que
ce dirigeant apparaisse comme une exception en admettant le rôle
prépondérant pris par le salarié de son association, il exprime l’une
des difficultés rencontrées à la fois dans les clubs de petite taille,
et dans les structures où les dirigeants ne peuvent pas être présents
régulièrement. En effet, la maîtrise des relations avec l’environnement,
et surtout celle des flux de communication au sein d’une organisation
sont des sources de pouvoir traditionnellement maîtrisées par les
dirigeants bénévoles des clubs (président et secrétaire général). Or,
lors d’un entretien, l’un des salarié explique au sujet des bénévoles
dirigeants : “Il est là pour avoir un pouvoir le bénévole, c’est une
motivation, et il ne faut pas lui enlever sinon il ne reste pas”. De
même, dans son rapport sur l’avenir de la fonction de dirigeant
associatif, Bernard Derosier évoque un “équilibre fragile parce que la
technicité croissante des tâches confère un pouvoir chaque jour plus
grand aux salariés” . En l’occurrence, c’est l’expertise des salariés
qui pourrait être perçue comme une menace par certains dirigeants de
clubs. Or, si beaucoup de présidents souhaitent que les salariés
prennent des initiatives tout en restant conformes au cadre général qui
leur est fixé, les salariés aspirent à de plus grandes responsabilités.
Cependant, si les rôles de chacun ne sont pas précisément définis, cela
peut aboutir à des confusions dans la mesure où les dirigeants peuvent
percevoir les prises d’initiatives des salariés comme un débordement de
leur fonction : “Le problème avec les salariés c’est qu’une fois formé
ils veulent d’autres responsabilités”.</p>
<p class="spip">Pour faire face à ces difficultés, certains salariés
élaborent des stratégies afin de se ménager une marge d’autonomie tout
en préservant la qualité des relations entretenues avec leurs
dirigeants. Un des salarié explique ainsi : “J’arrive avec mon idée, je
leur transmets l’idée, j’essaie d’éclaircir, de baliser le terrain et
laisser mûrir, c’est-à-dire que c’est eux qui ont les idées. Sinon j’ai
parfois l’impression qu’ils pensent que je me mêle de ce qui ne me
regarde pas”. Dans chacun des clubs, les spécificités de l’APS pratiquée
ainsi que les caractéristiques personnelles de chacun des acteurs
engagés dans se processus de salarisation impliquent donc des
ajustements afin que le rôle de chacun soit défini.</p>
<p class="spip">Conclusion</p>
<p class="spip">Face aux évolutions de la demande sportive, et aux
exigences des partenaires publics et privés des clubs, la présence de
salariés apparaît comme le moyen d’offrir des services sportifs de
qualité. Cependant, la position d’employeur que les dirigeants de ces
clubs sont conduits à assumer implique pour eux d’entrer dans une
logique de rationalisation du fonctionnement de leurs associations. Dès
lors, il est permis de se demander dans quelle mesure la création d’un
emploi dans ces structures, surtout dans les plus petites, ne constitue
pas en elle-même une charge supplémentaire pour leurs dirigeants. Les
conditions de travail des salariés, ainsi que les missions qui leur sont
confiées dépendent de nombreux facteurs, organisationnels et humains.
Toutefois, il apparaît que les attentes des dirigeants d’associations
sportives, quel que soit leur profil, sont globalement les mêmes
vis-à-vis des salariés. Au-delà de la disponibilité et de la motivation,
les présidents de clubs évoquent régulièrement deux qualités
indispensables à leurs yeux : la capacité à prendre des initiatives, et
l’aptitude à respecter les décisions prises par les dirigeants.</p>
<p class="spip">La volonté de voir les salariés s’investir dans leurs
clubs employeurs selon les mêmes logiques de don de soi que les
bénévoles conduit à s’interroger sur les spécificités du secteur sportif
associatif et les conditions dans lesquelles le salariat peut s’y
développer. En outre, tout se passe comme si en acceptant de s’engager
ou de participer à un processus d’embauche de salariés, les dirigeants
de clubs refusaient certains des changements que cela induit. Cette
récalcitrance peut-être illustrée par leur volonté de voir les salariés
adopter les mêmes modes de fonctionnement que des bénévoles du club bien
qu’ils soient pour leur part, et contrairement à des bénévoles, engagés
avec leurs dirigeants dans un lien de subordination induit par la
nature même du contrat de travail. Cela rejoint les observations de
Michel Crozier et Erhard Friedberg qui évoquent “L’extraordinaire
capacité de tout ensemble humain à absorber tout changement formel en
maintenant ses caractéristiques essentielles [...]” . Ce nouvel
équilibre à construire implique dès lors la découverte et l’élaboration
d’un ensemble nouveau de comportements (qui forme alors un système) par
tous les acteurs de l’organisation. A l’échelle de cette analyse centrée
sur le duo président-salarié, cela suppose de s’approprier des rôles
qui sortent des schémas traditionnels du monde sportif associatif. Or,
Philippe Bernoux nous rappelle que “La difficulté vient de ce que
l’apprentissage de la nouvelle pratique sociale se fait à l’intérieur de
l’ancienne, de ce qu’il faut inventer des relations différentes dans un
système qui vit une certaine pratique” . Ainsi, si les salariés doivent
s’adapter aux particularités du bénévolat, des valeurs qu’il véhicule
et des comportements qu’il induit, le processus de salarisation tend à
faire évoluer le profil même des dirigeants des clubs sportifs. La bonne
volonté ne semble plus suffire pour assumer des responsabilités de
gestionnaire et surtout d’employeur.</p>
</div>