Téléchargez cette contribution : Engagement associatif et activités artistiques, sportives et culturelles transgressives



Les pratiques étudiées

Hip-hop, skate board, roller et BMX sont parmi les activités de loisirs actuelles bénéficiant d’un engouement populaire tout particulier. « Le hip-hop regroupe des arts de la rue, une culture populaire et un mouvement de conscience. Les arts se rassemblent autour de trois pôles : musical (rap, ragga, DJing, beat-box), corporel (break-dance, smurf, hype, double-dutch), graphique (tag, graff) » . Le skate board ou skate, lui, est une activité avec une planche à roulettes, qui se développe depuis une trentaine d’années. Il « est surtout un ensemble d’usages très diversifiés qui vont des jeux des enfants en bas d’immeubles aux pratiques de compétitions sportives internationales en passant par tous les usages sportifs et de jeux d’adolescents et de jeunes adultes dans les rues et sur les mobiliers urbains » . Le skate comme mouvement culturel porte également des valeurs, un style et une identité.

Nous pensons que ces pratiques peuvent être regroupées dans un ensemble culturel comprenant des pratiques sociales - corporelles, sportives, artistiques -, un mode de vie (comportements, habitudes, vêtements, ...), un langage spécifique, une éthique (des valeurs comme la liberté, le métissage, la tolérance, le respect, la solidarité du groupe...). Cet ensemble ou plutôt mouvement culturel est fortement lié à la notion de jeunesse, souvent résumé par les appellations ‘‘culture(s) jeune(s)’’ ou ‘‘culture(s) urbaine(s)’’ . Quelle que soit l’expression usitée dans le langage courant, nous entendons sous ces dénominations des pratiques artistiques et sportives, culturelles, émergentes, populaires, non instituées, liées à la rue et issues du milieu urbain. Pourquoi mettre ensemble hip-hop, skate-board et glisse ? Le lecteur peut s’interroger. Il ne s’agit pas d’une construction arbitraire mais d’une association observée au préalable sur le terrain dans le Cantal, à Aurillac . Cette situation est le point de départ de notre étude qui tente d’établir d’autres éléments de filiation entre hip-hop et glisse urbaine. Ce constat de départ nous a amené à nous interroger sur cette parenté : est-elle fréquente ? Ainsi, notre investigation nous a conduit à relever l’existence de modes d’associations entre hip-hop et glisse urbaine. D’une part, ces pratiques sont de plus en plus réunies lors d’évènements de type festivals, d’autre part, les skate parks s’ornent depuis des années de graffitis et s’animent au rythme de musiques variées dont le rap américain constitue une tendance forte. Le roller, la trottinette ou encore le BMX sont devenus des modes de déplacement urbain accessibles à tous et les hip-hopeurs n’échappent pas à l’adoption de ces modes de transport. Le BMX dans sa spécialité ‘‘flat’’ se rapproche d’une forme de danse. Dans les textes de plusieurs rappeurs français ou américains, nous avons noté la citation du skate ou de ses pratiques voisines, ... Les rapprochements se multiplient. A l’évidence, à leur origine, ces mouvements n’étaient pas particulièrement proches même s’ils partagent un certain nombre de points communs que notre étude devra démontrer. Leur nouvelle condition de pratiques populaires modifie la typologie de leur public, plus nombreux et plus éclectique et favorise du moins le pensons-nous le rapprochement entre les sphères hip-hop et glisse urbaine. Enfin, leurs acteurs nous ont semblé ici et là s’unir dans un rapprochement nécessaire voire vital. La réunion de deux ensembles, l’un plutôt artistique, l’autre plutôt sportif, s’effectue comme l’expression d’une solidarité entre pratiques exclues, mises au ban, d’esprit libre et non instituées. Nous considérons ces pratiques comme un mouvement esthétique d’ensemble et ce malgré l’hétérogénéité et la pluralité des pratiques le composant.

Ces deux ensembles, glisse et hip-hop, sont intimement liés à l’urbain et à la ville, ils y sont nés et y ont grandi. Ils ne peuvent toutefois se résumer à cette filiation urbaine. Leurs origines sont métissées, liées par exemples, pour le hip-hop à la culture africaine et jamaïcaine (son, rythmes, paroles) et du côté du skate, à la glisse, aux grands espaces, à la passion du risque et à la liberté. Véritables phénomènes de société, ces pratiques sont choisies par un grand nombre d’individus, quelles que soient leurs origines ou leurs lieux de vie. Leur prolifération et la diffusion d’un mode de vie associé s’effectuent aussi en milieu rural. C’est vers ce contexte des départements ruraux que nous avons justement choisi d’orienter nos recherches. Le choix ne va pas de soi tant il est vrai que l’objet étudié est profondément lié à un contexte urbain et plus particulièrement aux grandes agglomérations. De nombreux travaux ont été réalisés sur le hip-hop, le rap, le tag ou la danse, la glisse urbaine, le roller ou le skate, aucun chercheur ne s’est intéressé au développement de ces pratiques hors des grandes villes . Peu de chercheurs établissent d’ailleurs le lien entre glisse urbaine et hip-hop ; des passerelles existent et ces deux ensembles sont même plus enchevêtrés qu’il n’y paraît à première vue. Ce sont des pratiques dont « l’univers » se double « de systèmes de représentations par lesquels des groupes sociaux donnés se dotent d’une vision du monde et produisent des manières particulières de s’y comporter » . Elles sont hybrides, loisirs, sport, art et culture à la fois ; elles mettent en jeu le corps et l’esprit. Elle véhiculent des valeurs paradoxales parfois et se situent dans une position elle-même ambivalente entre résistance, récupération et dilution. Les amateurs de glisse urbaine et de hip-hop sont marqués par la réalité, mais aussi des valeurs et des références profondément ambiguës, comme le soulignait déjà F. DUBET en 1994, les jeunes « vivent dans plusieurs mondes à la fois, dans des communautés et dans une culture de masse, dans l’exclusion économique et dans la société de consommation (...) » .

Outre les questions de culture, d’art, de loisir et de sport, ces pratiques trouvent leur sens autour des problématiques de la jeunesse et de la vie urbaine. Nous ne pouvons réduire ces pratiques sous le terme urbain, même si par commodité, nous employons les expressions ‘‘pratiques urbaines’’ ou ‘‘cultures urbaines’’. Notre analyse ne se réduit pas à une situation, ni à une forme urbaine de ces pratiques. Elle illustre, par contre, un mode de vie dominé par l’urbanité. Ce sont des formes d’expression spontanées visibles dans la rue et sur les murs parce que la rue est un espace public, un spectacle , un « théâtre de vie spontané » . La rue, espace de la vie quotidienne , est utilitaire, lieu de passage, mais aussi espace « transfonctionnel » , esthétique, ludique et symbolique. De la musique à la danse, du graffiti à la mode vestimentaire, la culture d’origine urbaine est devenue l’expression culturelle d’une grande partie de la jeunesse, qui s’étend aujourd’hui à toutes les franges de la société.

Le public des pratiques sportives et culturelles de rue est composé de pratiquants et de non-pratiquants ; tous sont amateurs dans le sens où ils marquent une préférence et un intérêt particulier pour une ou plusieurs de ces formes de pratiques. Notre travail de terrain nous a permis de suivre un échantillon de cinquante-sept amateurs tous proches de collectifs ou d’associations spécialisées dans les pratiques sportives, artistiques et culturelles « urbaines ». Notre analyse repose à la fois sur l’observation d’amateurs et sur l’analyse des projets, du fonctionnement et de l’engagement des acteurs de neuf collectifs ou associations spécialisées .

L’engagement des amateurs

Tout d’abord, les amateurs ne s’investissent pas tous dans des associations spécialisées. Beaucoup utilisent les locaux de structures socioculturelles pour répéter ou participent aux activités que ces structures organisent (ateliers, stages...). A un certain degré de maturité, facteur de l’âge et de l’ancienneté dans la pratique, les amateurs constituent plus aisément des collectifs plus formalisés que la tribu. Les collectifs peuvent ou non s’établir en association loi 1901. Lorsque le collectif ne choisit pas de devenir une association déclarée, il peut s’appuyer sur des entités juridiques existantes, une autre association, un service municipal... Le choix de la forme associative est responsabilisant : il engage les membres. Les associations spécialisées se composent d’adhérents, de bénévoles et de militants. Parmi ces derniers, la distinction est surtout nette entre « suiveurs » et « meneurs » chez lesquels se dégage généralement un leader.

L’échantillon des collectifs étudiés propose un éventail de situations tout en mettant en évidence certains éléments distinctifs des associations spécialisées dans le hip-hop et la glisse urbaine. Tout d’abord, ces associations appartiennent à une nouvelle génération d’associations loin du profil d’associations aujourd’hui instituées et professionnalisées . Ensuite, la forme associative semble choisie par nécessité - se doter d’une structure administrative - et souci de reconnaissance - les institutions telles que les collectivités locales ne reconnaissent et financent que les associations déclarées au titre de la loi 1901. Les associations d’amateurs sont majoritairement récentes et composées de jeunes adultes. Elles sont aussi en pleine croissance et maturation. Elles souffrent de carences dans leur organisation, parfois de rigueur. Leurs interlocuteurs qu’ils soient associatifs ou institutionnels leur reprochent d’être trop spontanées alors même que c’est ce qui les différencie des associations déjà existantes et localement « installées ».

Les objectifs de ces associations ne sont pas neutres, ils sont en lien avec les objectifs personnels des membres. Associations formées autour du partage d’une ou plusieurs activités, elles ont pour but généralement de promouvoir cette ou ces pratiques et donc de se doter des moyens nécessaires à l’accomplissement de cette mission. Cela passe le plus souvent par l’acquisition d’équipements : skate park, mur de graff, salle de danse, salle de répétition musicale... Globalement, ces associations spécialisées tendent à développer localement la pratique et à faire progresser le mouvement. Les motivations des amateurs à participer à une association sont centrées sur le partage d’une activité « passion » et animées par l’amitié. L’association est en fait le lieu pour réaliser les projets du groupe d’amis passionnés par la même activité ou le même groupe d’activités.

Ce militantisme apparaît plutôt intéressé. S’il s’agit en effet, de faire pour soi, pour son groupe, les acteurs ont tout de même une conscience forte d’appartenir à un mouvement universel et d’œuvrer pour une cause. Au-delà de l’intérêt que chacun des membres peut trouver dans la réalisation des objectifs de l’association, le combat reste orienté autour de cause des pratiques sur un territoire, dimension qui permet de ne pas considérer les revendications comme égoïstes et intéressés.

L’association semble répondre à quatre fonctions :

-  Fonction de gestion, qui consiste à se doter d’une structure administrative,
-  Fonction de visibilité, qui passe par le développement d’évènements et d’animations,
-  Fonction de transmission, passant par les ateliers, mais aussi les événements, les différentes actions de communication...
-  Fonction de reconnaissance, souvent liée à la lutte pour l’obtention d’un équipement, de moyens financiers, voire humains...

L’association est donc l’entité juridique choisie pour gérer, mettre en visibilité, transmettre et lutter. C’est le cadre choisi par les amateurs pour militer et arriver à leurs fins. Le modèle de l’association spécialisée montre que l’engagement est aussi stratégique qu’affectif.

Les acteurs des associations

Qui sont les acteurs de ces associations ? Tous les amateurs participent-ils à des associations spécialisées ? Chez les amateurs, nous distinguons en fait quatre groupes d’acteurs selon leurs attitudes, l’intensité de leur pratique de leur engagement, les formes de participation qu’ils adoptent :

-  Les pratiquants actifs sont avant tout motivés par la pratique que ce soit seul ou avec le groupe de copains. Ce groupe représente une majorité des pratiquants observés et une partie de ceux rencontrés, notamment les plus jeunes. Ainsi, seize individus de notre échantillon appartiennent à ce groupe . Ils peuvent se définir militants du mouvement mais ne s’investissent pas ou rarement dans des associations. Ils sont centrés sur l’activité. Certains peuvent encadrer des ateliers et s’investir dans la transmission.

-  Les locaux oeuvrent à développer le mouvement localement en organisant des actions telles que des contests, des battles ou des soirées, qui tentent d’obtenir un équipement sur leur commune, etc. Ils ne sont pas forcément pratiquants. Au total, dix-sept personnes de notre échantillon appartiennent à ce groupe, soit environ 30% de notre échantillon. Ce groupe y est particulièrement bien représenté alors qu’à l’observation, il est beaucoup moins important que les pratiquants actifs . Les locaux sont « motivés par la conduite d’un projet qui leur tient à cœur » . Ils participent généralement à des associations spécialisées, s’ils sont militants actifs du mouvement, « militants philosophiques », ils sont plutôt suiveurs et bénévoles dans les associations. Toutefois, une partie d’entre eux sont aussi des militants associatifs.

-  Les conviviaux aiment surtout se réunir et faire des choses ensemble. Ils n’ont pas vraiment de projets, mais qui peuvent rejoindre des projets existants et s’y investir en acteur suiveur, dans un souci de convivialité. Dans notre échantillon, nous avons identifié treize individus comme des conviviaux. Ils ne sont pas toujours pratiquants, sont souvent d’anciens pratiquants ou encore des pratiquants occasionnels. Ce groupe est alimenté par le cercle des proches des locaux et des militants qui organisent les moments forts, contest, battle, soirée, festival.... Les conviviaux peuvent être motivés par le désir « d’une expérience bénévole, prêtant main-forte à un dispositif existant . Les conviviaux appartiennent tous à la catégorie des suiveurs et se définissent comme bénévoles et non comme militants des associations spécialisées ou du mouvement.

-  Les meneurs, plus que des amateurs, des pratiquants ou des acteurs, ils oeuvrent à développer le mouvement de manière universelle et s’engagent politiquement, dans des associations, des projets, etc. Ce sont les militants au sens noble du terme, militants philosophiques et concrets, militants du mouvement et d’associations spécialisées. Ce groupe est beaucoup plus restreint, parmi les acteurs rencontrés, il est composé de huit personnes.

Au sein des amateurs rencontrés, tous ne participent pas à des associations spécialisées. 89.50% font partie d’un collectif et 82.48% sont adhérents d’une association d’amateurs. Parmi ces derniers, 59.67% se disent bénévoles et 31.59% militants. Les militants ne sont pas tous des meneurs. Par contre les meneurs se disent militants ou militants et bénévoles. Ils ne se décrivent jamais strictement comme des bénévoles . Les participants aux associations rencontrées sont pour une part uniquement adhérents, d’autres sont bénévoles et enfin une petite partie sont des militants. Plus que bénévoles et militants, nous les qualifions d’acteurs « suiveurs » ou « meneurs », catégorie où nous trouvons les leaders. Les participants associatifs sont ou non pratiquants des cultures urbaines, ils en sont tous passionnés. C’est ainsi que nous parlons plus de militants du mouvement que de militants associatifs. Les associations reposent sur l’union de personnes aux investissements de différentes intensités mais complémentaires. La participation associative est multiple et les formes d’engagement complexes. Elles évoluent : un acteur suiveur peut devenir meneur et vice-versa ; de la même façon, les amateurs peuvent évoluer entre les positions de « pratiquants actifs », « conviviaux », « locaux » et « meneurs ».

Qu’est-ce que s’engager pour les amateurs de hip-hop et de glisse urbaine ?

Les nouveaux acteurs associatifs dont nous dressons un sommaire portrait dans ce travail apportent du neuf dans le paysage associatif. L’association spécialisée, créée par des pratiquants est une association représentant le mouvement des pratiques culturelles non instituées, issues du milieu urbain. Ses membres actifs sont, sinon à l’origine du moins à l’alimentation du projet de l’association, de son mode d’organisation et de ses actions. A ce titre, et parce que nous avons souligné la lutte des pratiquants pour la reconnaissance de leurs activités, nous les considérons comme des militants. Ils ont conscience ou la croyance qu’ils peuvent apporter du neuf à l’association et participer à l’évolution de son projet. Ils ont la conscience d’être acteur.

Les fonctions des acteurs des associations spécialisées peuvent être classées . Certains seront « tribun » ou « rassembleurs », d’autres « gestionnaires » ou « juristes », ou encore spécialisés dans le travail administratif, .... Tribun et rassembleur sont des rôles axés sur la fonction expressive précitée où la personnalité et le charisme priment. Les autres rôles témoignent plus de la fonction stratégique et fonctionnelle. G. HOUZEL distingue, lui, trois figures, le représentant, l’intervenant et l’entreprenant, ce dernier peut être rapproché de notre figure du leader. L’intervenant pourrait être celui qui « utilise » les associations culturelles ou sportives existantes. Enfin, le représentant est une figure que nous n’avons pas vraiment rencontré, qui pourrait toutefois se rapprocher des amis ou parents qui donnent des coups de main, parfois administratifs dans la gestion des associations.

Les acteurs rencontrés se disent parfois bénévoles, parfois militants, ou les deux à la fois. Ils se décrivent surtout comme des acteurs du mouvement, des passionnés et des pratiquants lorsqu’ils le sont. En général, les amateurs sont plus proches de la figure du militant que de celle du bénévole. Seuls les « conviviaux », sont plus bénévoles que militants. En effet, globalement, ils sont militants d’une cause, celle du développement de leur pratique au moins sur leur territoire. Se définir ainsi n’implique pas forcément un militantisme dans une association. Les amateurs sont plus nombreux à être des militants philosophiques du mouvement que des militants concrets. Les amateurs ont tout de même la culture de l’adhésion aux associations qui défendent leurs pratique et leur culture. Ils sont aussi toujours prêts à donner un coup de main, ce sont des bénévoles réguliers et assidus. Le chemin logique est de devenir amateur, puis de se passionner au point de se sentir membre du mouvement, d’en être un militant « philosophique » avant d’en devenir un bénévole actif, puis éventuellement un militant concret. Parmi ces derniers, les plus engagés ou les personnalités les plus affirmées deviennent des meneurs. Les bénévoles sont parfois des amateurs, d’autre fois des proches, nous l’avons dit. Globalement chez les amateurs les plus impliqués, le bénévolat est plutôt subi. L’activité ne pouvant être rémunérée, il s’agit d’un bénévolat par défaut. Le désir fort de vivre de leur passion que nous avons constaté montre bien les limites de leur participation bénévole.

Le mouvement des pratiques urbaines d’esprit libre génère un engagement philosophique et affectif fort. Un mouvement est dit militant lorsqu’il y a volonté de changement , ce qui est le cas du mouvement des sports et cultures de rue. Ses organisations sont dans la lutte contre l’oppression, contre le pouvoir qui ne les reconnaît pas. Elles s’interrogent sur la démocratie et la culture établie. Les skateurs sont, par exemple, centrés sur l’objet de leur pratique, leur culture, leur passion. Ils sont aussi dans le rejet du présent pour améliorer le futur de leurs activités. Dans le militantisme, se retrouvent les idées de transgression et de solidarité. « Transgresser consiste à s’attaquer au mode de reproduction des normes, des croyances, des inégalités et des oppressions sociales » . Aujourd’hui, la transgression s’exprime par un rejet des structures, des institutions, des valeurs et des façons de faire en vigueur. Elle se manifeste aussi par la pratique, qui transgresse les règles sportives et culturelles en vigueur. Enfin, les militants manifestent une solidarité entre eux au sein de chaque organisation, mais également envers le mouvement culturel aussi bien au niveau local qu’universel.

L’expérience associative

L’expérience associative est formatrice et réinvestissable dans la vie professionnelle. L’expérience constitue une formation concrète, une quasi-expérience professionnelle. Les militants en sont conscients. L’expérience n’est pas seulement l’association ou le collectif, l’expérience est dans la pratique. Les amateurs estiment tous que leur pratique constitue dans leur vie et quel que soit leur âge un espace de formation personnelle, de structuration et de développement de leur personnalité. L’expérience au sens d’expérimentation, d’innovation, comme de temps consacré à la pratique est centrale dans le processus d’apprentissage spécifique à ces activités. Les pratiquants se sont inventés leurs propres formes d’apprentissage souvent autodidactes, dans lesquels l’entraide et l’émulation interfèrent beaucoup. Dans l’apprentissage, coexistent deux éléments indissociables : la technique et l’esprit. Dans la pratique, on se défoule, on se régule, on apprend à se connaître, on se surprend, on surprend les autres, on invente, on crée, on se bouge... Dans l’association, on assume, on se confronte, on innove, on s’épanouit, on développe des capacités concrètes, on mûrit, on formule des projets...

« Pour certains, l’association, c’est aussi des perspectives d’emplois... ». Les associations que nous avons rencontré sont encore toutes composées de bénévoles, elles ont parfois employé sur une période courte une ou plusieurs personnes. Elles envisagent, à plus ou moins long terme, l’embauche de salariés permanents. Une grande partie de ces acteurs vise à accéder à une activité professionnelle en lien plus ou moins direct avec leur pratique-passion. Dans notre échantillon composé de 57 individus, 6 suivent ou ont suivi une formation professionnelle en lien avec la pratique, 19 soit 33.35% ont une expérience professionnelle en lien avec la pratique et qu’enfin 22 soit 38.61% de notre échantillon envisagent un projet professionnel en lien avec la pratique. Pour de nombreux amateurs, « la professionnalisation passe moins par l’acquisition d’un statut donnant accès à l’exercice régulier et quotidien d’une activité rémunérée que par la capacité à obtenir, dans un cadre légal, une rémunération pour des prestations effectuées » .

Tremplin vers la vie professionnelle ?

Certains acteurs que nous avons croisé, utilisent leur pratique comme tremplin professionnel mais n’exercent pas directement dans le champ de cette passion . Nous avons constaté que les interviewés ne veulent pas « perdre leur vie à la gagner » et aspirent souvent à vivre de leur passion. Ils cherchent une activité professionnelle passionnante, dans laquelle ils ne se sentiraient pas contraints de s’investir. La vie associative est un moyen pour les individus d’enrichir leurs cursus et parcours personnel. Cette expérience peut permettre de trouver un emploi. Cette motivation latente a entraîné des jeunes vers les associations où ils ont cherché à acquérir des savoirs utilisables dans la vie professionnelle. Globalement, les associations se professionnalisent et les associations des secteurs du hip-hop et des sports de glisse urbaine n’échappent à cette tendance. La vie associative peut être une manière de légitimer l’envie ressentie de vivre de sa passion. Les passions se développant souvent dans le cadre associatif, le pratiquant va rechercher une professionnalisation dans cette instance. Entre les deux pôles d’acteurs associatifs que sont les figures du bénévole et du salarié, les acteurs que nous avons rencontré aspirent plus à être des salariés, non sans donner de leur personne tel le bénévole. Mais, gagner leur vie est un de leur souci majeur. La professionnalisation du monde associatif, la nécessité d’avoir un emploi, le souci de s’épanouir, tout converge à alimenter le projet de vivre de sa passion . La professionnalisation devient une perspective plus qu’envisagée, affirmée, un but.

L’expérience personnelle et collective est toujours le lieu où l’on se confronte à la réalité et donc à des difficultés. Ces dernières sont communes à toutes les associations, mais complexifiées ici par la jeunesse des militants et l’objet des associations. Les besoins exprimés sont concrets, matériels : des lieux, des équipements. Ils sont aussi humains, dans le sens d’un besoin de « confiance » et d’« écoute » par les élus, les responsables administratifs, associatifs, des structures.... Ces associations comme le mouvement qu’elles représentent doit encore grandir et s’organiser, formaliser son réseau, se professionnaliser, instituer aussi des partenariats extérieurs forts. Les difficultés et besoins posent la question de la prise en compte et de la reconnaissance du BMX, de la danse hip-hop, du graff, du rap, du roller, du skate....

Les pratiques engendrent surtout des problèmes pour les élus et les responsables institutionnels. En effet, elles ne font pas l’unanimité, ont mauvaise réputation et les défendre relève d’un choix politique audacieux. Les pratiquants s’imposent en s’appropriant des espaces et en s’arrogeant le droit de dire et faire où ils le veulent. Que les responsables politiques et administratifs les écoutent ou pas, ils continuent tout en espérant être reconnus. Ce type de relation où les pratiquants sont à la fois demandeurs et indépendants nous fait dire que les amateurs et plus encore les acteurs associatifs du mouvement des cultures et sports de rue sont « en résistance » tout en tentant de négocier et de participer à la vie locale. Ils ne se contentent plus de la marge et aspirent à la reconnaissance. Tout porte à croire que sans conditions plus favorables, les pratiques et cultures urbaines continueront de se développer. D’ailleurs, un signe en est la reconnaissance, elle effective, -qui tend même à la récupération- par le système économique des produits dérivés (vêtements, disques...).

Toutefois, ces pratiques demandent une adaptation des pouvoirs publics ainsi qu’un effort de connaissance. Leur impression d’être devant des pratiques minoritaires, résultant d’un effet mode, non assimilables car trop transgressives ne favorise pas leur prise en compte. L’intervention publique actuelle reste limitée à un financement pour des actions événementielles et à une action sociale envers ces activités. Considérées comme occupationnelles, voir diffusionnistes, ces pratiques restent cantonnées dans l’animation socioculturelle auprès du public jeune. Cette logique d’action paternaliste n’envisage pas les pratiquants et leurs associations comme des forces de proposition, répondant à un besoin local fort. Il y a donc contradiction entre les aspirations des uns (écoute, prise en compte, reconnaissance, soutien, partenariat...) et des autres (régulation et normalisation des pratiques...). En bousculant les pouvoirs publics, les amateurs et acteurs associatifs des cultures urbaines posent aussi la question du rôle de l’action publique et des politiques : ce rôle est-il de gérer, de suivre, de « rattraper le train en marche » ou d’initier et impulser ?

Le contexte des départements ruraux met d’autant plus en évidence ces problèmes que la petite taille des communes facilite la rumeur et le débat public. L’interconnaissance devrait faciliter la reconnaissance des gars et filles « du coin » qui graffent, rappent, rident et dansent. La résistance aux changements est forte dans ces espaces et explique en grande partie la lenteur du processus de reconnaissance. Il nous ait apparu également comme plausible l’hypothèse que le problème viendrait plus d’une peur des jeunes que d’un rejet des pratiques. Ponctuellement, pour des actions précises, le partenariat s’instaure. Sans soutien durable et constant, les pratiquants ont souvent la « rage » contre les institutions et les élus. Ils se lassent tout en restant animés par la volonté de montrer qu’ils sont « biens ». Pour être favorable aux sports et cultures de rue, l’avenir devra passer par l’émergence de projets de fond et d’envergure.

Ce mouvement culturel amène dans l’action associative des jeunes, nouveaux acteurs, nouveaux bénévoles, nouveaux militants. De l’esprit positif et résistant, revendicatif de liberté naissent des comportements d’engagement collectif, de construction de projets et de militantisme. Ces pratiques et la culture qui leur est associées sont loin d’être délétères mais plutôt constructives et positives. En transcendant les appartenances, de l’urbain au rural, de la jeunesse à l’ensemble de la population, etc. elles sont devenues des formes populaires d’expression aspirant à la reconnaissance. Elles sont sur le chemin menant de la marge à la reconnaissance, se laissant aller parfois à la récupération et à l’institutionnalisation. Ce chemin est encore long et sinueux notamment dans les départements ruraux. Pour reprendre l’expression de C. CREUZE, elles ne sont pas encore totalement sorties de l’ombre .

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