Avec près de 77% de pratiquantes et 74% de compétitrices parmi ses licenciés en 2005, la Fédération française d’Equitation (FfE) est l’une des fédérations olympiques les plus féminisées. Pourtant, et bien que l’équitation soit un des rares sports mixtes jusqu’au plus haut niveau, la part des femmes parmi les compétiteurs chute parallèlement à l’élévation du niveau de compétition pour atteindre moins de 25% dans les meilleures catégories ("Pro"), et ce particulièrement dans la discipline la plus pratiquée et médiatisée : le Concours de Saut d’Obstacles (CSO). Les quelques cavalières qui atteignent le plus haut niveau national ("Pro 1") en CSO font alors figure d’exceptions dans ce "monde d’hommes" que sont les catégories "Pro" des sports équestres, marqués par une distribution sexuelle horizontale (disciplines équestres) et verticale (niveau de compétition).

Cette distribution sexuelle n’est pas spécifique aux sports équestres mais a également été mise en évidence par différents sociologues dans d’autres sports (Louveau, Mennesson) mais également dans les domaines de l’éducation (Duru-Bellat, Marry), du travail (Marry, Bertin-Mourot) ou encore des activités artistiques (Buscatto, Ravet).

Si des facteurs sociaux - liés aux rapports sociaux de sexe et à la division sexuelle du travail - communs aux différents types de carrières peuvent expliquer en partie les différences entre les parcours équestres féminins et masculins, nous allons tenter ici de voir si d’autres facteurs plus spécifiques aux sports équestres peuvent être mis en avant.

A travers l’exemple de la compétition équestre, l’objet de cette communication va être de repérer puis de comparer la construction des parcours sportifs des cavaliers et cavalières, considérés selon le concept de "carrière" - emprunté à E-C Hughes (1955) et H-S Becker (1963), puis repris par V. Chevalier pour étudier les "carrières d’amateurs des pratiquants de l’équitation" (1994 ; 1998) - afin de tenter de comprendre pourquoi, comment et à quels moments interviennent les bifurcations des carrières des cavalières qui adoptent, dans une moindre mesure que les compétiteurs, le cursus sportif d’excellence et n’atteignent ainsi que rarement les catégories de haut-niveau.

Nous aurons pour cela recours aux premiers résultats d’une enquête - en cours - réalisée selon une approche longitudinale pluridimensionnelle des carrières équestres. Dans la mesure où la carrière équestre de compétition apparaît à la frontière entre carrière d’amateur et carrière professionnelle, la prise en compte des interactions entre carrière sportive et professionnelle s’avère en effet indispensable.

Ainsi, après avoir dégagé les grandes séquences de la carrière équestre de compétition et repéré l’entrée dans les catégories "Pro" comme le moment de clé de la bifurcation des carrières féminines, nous nous intéresserons aux spécificités culturelles mais également aux modalités de pratique et de fonctionnement particulières de ces catégories "Pro" afin de voir en quoi et dans quelle mesure elles vont avoir des conséquences déterminantes sur la construction des carrières sportives, en constituant des obstacles objectifs ou des résistances subjectives à l’accès des compétiteurs amateurs - et particulièrement des compétitrices - à la dernière séquence de la carrière équestre.

1. LA CONSTRUCTION DES "CARRIERES" DE COMPETITION DES CAVALIERS ET CAVALIERES : DES DIFFERENCES TARDIVES.

1.1. Une carrière sportive "de couple"

La compétition équestre s’organise en 5 catégories [1] qui se distinguent par des épreuves aux exigences techniques (enchaînements des parcours) et physiques (cotes des obstacles) croissantes. L’accès à une catégorie supérieure nécessite des compétences sportives (techniques et physiques) de plus en plus pointues du cavalier ("pilote") mais également l’accès à une monture au potentiel physique adapté au niveau d’exigence des épreuves [2]. Dans les sports équestres, l’athlète est le cheval et, à ce titre, il joue un rôle majeur dans les performances du "couple" cavalier/cheval. L’accès à une (des) monture(s) potentiellement performante(s) apparaît donc comme un élément déterminant dans la construction de la carrière sportive du cavalier, constituant une condition inéluctable pour accéder au plus haut-niveau ("Pro"), de la même manière que l’accès à un instrument de qualité -objet de grande valeur qui joue un rôle important dans les performances- devient indispensable dans la troisième étape de l’apprentissage des carrières des jeunes violonistes solistes (Wagner, 2004). Au-delà du niveau d’exigences sportives, les catégories de compétition présentent d’autres différences, tant dans les représentations et dans la culture équestre légitimée que dans leur mode de fonctionnement (accès aux chevaux etc...). Nous nous sommes ainsi attachés à prendre en compte les spécificités des cinq catégories afin de repérer celles qui pourraient constituer, selon les étapes de la carrière, d’éventuels obstacles au franchissement des séquences successives, notamment pour les compétitrices.

Pour tenter de comprendre comment se construisent les carrières équestres de compétition, comparer les carrières féminines et masculines, et tenter d’expliquer les bifurcations entre les carrières des compétiteurs des deux sexes, nous avons réalisé deux enquêtes longitudinales pluridimensionnelles.

Méthodologie

Cette communication s’appuie principalement sur les résultats de deux enquêtes menées auprès de (ex)compétieur/trices : Une première enquête réalisée en 2003 sur un échantillon de 148 compétiteur/trices franciliens évoluant dans les catégories "club", "Ama 4" ou "Ama 3", à l’aide de grilles biographiques "3B" permettant une approche longitudinale et pluridimensionnelle des carrières équestres (prise en compte de l’itinéraire familial et de la carrière scolaire et/ou professionnelle). Une seconde enquête - en cours - réalisée par entretiens semi-directifs auprès d’une quinzaine de (ex)compétiteur/trices "Ama 3", "Pro 2" ou "Pro 1", amateurs ou professionnels de sports équestres ou de l’équitation.

1.2. 4ème séquence : des carrières masculines et féminines très comparables.

Grâce aux deux enquêtes réalisées nous avons pu reconstituer les grandes étapes des carrières équestres et dégager - dans la continuité des travaux de V. Chevalier (1994, 1998) qui situe la 3ème séquence ("confirmation") au moment de l’entrée dans la pratique compétitive - deux nouvelles séquences qui débutent respectivement lors du passage dans la catégorie "Ama 4" (4ème) et "Pro 2" (5ème). Ces séquences correspondent à des "degrés différents d’acculturation et de socialisation" [3], dont le franchissement nécessite de la part du cavalier des "réajustements successifs à la réalité" [4]. Les 4ème et 5ème séquences vont ainsi se caractériser par une sous-culture spécifique et une transformation des représentations du cheval et de la pratique compétitive.

En ce qui concerne la 4ème séquence, on observe principalement :

-  un rapport moins affectif et plus instrumental au cheval, qui, de "compagnon", devient "instrument" / "moyen de performance". Ceci se traduit moins dans les pratiques [5] que dans les représentations et le discours, la socialisation allant de pair avec l’acquisition d’un langage spécifique. Le champ lexical utilisé pour qualifier la monture est alors essentiellement basé sur un registre "technique", proche de celui utilisé pour les sports mécaniques. Contrairement aux compétiteurs "club", les "Ama" ne nomment plus leur cheval mais le présentent par ses caractéristiques "techniques" : de "Tempête", le cheval devient "un 6 ans, SF, par Rosire, qui a fait les classiques" [6]. Cette transformation des représentations du cheval est valable pour les compétiteurs de deux sexes (Le Mancq, 2003), contrairement à ce qui a pu être mis en avant par JP. Digard (1995) à propos des cavalier(ère)s non compétiteurs qui n’ayant pas atteint cette 4ème séquence n’ont pas effectué la conversion de leurs représentations.

-  une pratique sportive davantage axée sur la recherche de la performance [7], ce qui se traduit par une rationalisation de l’entraînement et de la gestion du cheval calquée sur le modèle des catégories "Pro". Si les notions de "convivialité", "plaisir" et "détente" apparaissent encore dans les entretiens, elles sont largement dépassées par celles de "performance" et "compétitivité".

-  un investissement (financier et en temps d’entraînement et de pratique compétitive) plus important des cavaliers une fois la 4ème séquence franchie. Ceci est principalement lié au fait que les compétiteurs "Ama" sont, dans une large majorité, propriétaires de leur(s) monture(s), ce qui n’était que plus rarement le cas dans la catégorie "club" créée avant tout par la FfE pour les "cavaliers de club" évoluant sur des chevaux d’instruction.

La comparaison des carrières des cavaliers et cavalières ayant atteint cette 4ème séquence fait apparaître très peu de différences, tant dans la construction (franchissement des étapes dans les mêmes proportions et de manière synchrone) que dans les modalités de pratique (investissement similaire, arbitrages comparables entre les carrières [8]) et le rapport au cheval ou les performances (Le Mancq, 2004).

Pourtant, dès cette 4ème étape, une nette différence apparaît entre les sexes concernant les projets équestres à moyen et long termes : les cavalières envisagent dans des proportions bien inférieures aux cavaliers d’accéder aux catégories "Pro", et ce à âge, ancienneté, performances, modalités de pratique, investissement... comparables. Cela se traduit dans les faits par une chute significative du taux de féminisation des catégories "Pro" (24,7% contre plus de 60% dans les catégories "Ama" [9] ), laissant penser à un ajustement anticipé des aspirations des compétitrices aux probabilités objectives d’accès aux catégories "Pro".

1.3. L’accès aux catégories "Pro" : une cristallisation des différences de sexe

L’entrée dans la catégorie "Pro 2" - qui marque le début de la 5ème séquence - apparaît comme le moment de cristallisation des différences de construction entre les carrières masculines et féminines, les cavalières franchissant cette 5ème étape dans des proportions beaucoup plus faibles. L’étude des modalités de fonctionnement et de pratique de ces catégories "Pro" ainsi que les entretiens menés auprès de (ex)compétiteurs/trices évoluant en "Pro" ou en "Ama 3", nous ont permis de mettre en évidence plusieurs spécificités de cette 5ème séquence, qui peuvent favoriser les bifurcations (et/ou abandons) des carrières du cursus sportif canonique d’excellence en constituant des obstacles objectifs et/ou subjectifs à l’accès au plus haut-niveau, notamment pour les femmes.

Au-delà des exigences sportives plus élevées, cette 5ème séquence se caractérise par une culture spécifique, un recrutement différent des compétiteurs (cf. 2.1) mais surtout un mode de fonctionnement particulier. Contrairement aux compétiteurs "Ama", les cavaliers "Pro" ne sont que rarement propriétaires de leur(s) monture(s), et ce principalement pour des raisons économiques [10]. Ils évoluent principalement sur des chevaux appartenant à des propriétaires (sponsors, particuliers, éleveurs, marchands de chevaux de sport, Haras Nationaux etc...) qui les leur "confient" [11] afin de les valoriser par des performances dans une optique d’élevage ou de commercialisation.

Ainsi, alors que l’accès aux chevaux performants constitue une condition déterminante dans la construction de la carrière équestre, celui-ci est soumis aux choix d’attribution des propriétaires, acteurs qui jouent un rôle central à cette étape de la carrière. Il est donc déterminant pour sa carrière sportive que le compétiteur évoluant en "Pro" ou voulant y accéder jouisse d’une certaine visibilité et d’une reconnaissance de ses compétences sportives afin de bénéficier du soutien de propriétaires de chevaux "à potentiel", dans le marché concurrentiel des compétition "Pro". Néanmoins, bien qu’enjeu majeur pour les compétiteurs comme pour les propriétaires, les critères d’attribution des chevaux demeurent très flous, et ce notamment du fait des difficultés d’évaluation objectives des qualités sportives des cavaliers (les performances du cavalier étant directement dépendantes des qualités du cheval), de l’absence de formation et diplômes spécifiques pour les compétiteurs professionnels [12] , et de la perméabilité des frontières entre les compétiteurs amateurs et professionnels.

Dans ce contexte, la quête de reconnaissance et de légitimité du "compétiteur expert" va constituer un aspect central de la construction de la carrière équestre des compétiteurs "Pro", notamment des compétiteurs "professionnels des sports équestres", pour qui il apparaît primordial de se distinguer des compétiteurs amateurs, tant pour leur carrière sportive que professionnelle.

2. LES COMPETITEURS "PRO" : UN STATUT FLOU ENTRE AMATEUR ET PROFESSIONNEL

2.1. Les compétiteurs "Pro" : une population hétérogène

Accéder à une certaine visibilité et être reconnu en tant que "compétiteur expert", donc légitime, par ses pairs, mais surtout par les propriétaires, apparaît donc comme un enjeu majeur pour les "Pro". Or, l’évaluation de l’expertise des cavaliers va être d’autant plus difficile que la population des compétiteurs "Pro" est très hétérogène. En effet, la nomenclature fédérale des catégories de compétition présente une ambiguïté : contrairement à ce que leurs noms laissent penser, les catégories "Pro" ne regroupent pas exclusivement des compétiteurs professionnels, et, inversement, certains compétiteurs "Ama" sont des professionnels des sports équestres ou de l’équitation.

Les catégories "Pro" rassemblent ainsi :
-  quelques sportifs professionnels, très peu nombreux en équitation, même au plus haut niveau [13] ;
-  des compétiteurs "Professionnels des Sports Equestres" [14] (PSE), qui vivent des retombées indirectes - principalement en termes de profits symboliques (visibilité, notoriété, réseau d’accès aux chevaux...) - de leur pratique sportive non rémunératrice, comme nous l’explique Philippe : "Quand tu évolues dans le milieu des "Pro", que tu es toi-même pro [PSE], ça aide à faire du commerce [de chevaux], et puis par rapport à la notoriété de nos écuries aussi c’est bien, tu connais du monde, tu te fais remarquer, tu trouves des clients et les gens qui te voient sur les terrains [en tant que compétiteur "Pro"] te conseillent à d’autres [comme PSE : coach etc...]. La compèt’ c’est bon pour le business quoi" [15] .

-  des "professionnels de l’équitation" [16] , dont la pratique sportive n’a pas de retombées directes sur l’activité professionnelle ;
-  des compétiteurs amateurs qui exercent une activité professionnelle sans lien avec leur pratique sportive. Il s’opère ainsi un certain flou des frontières entre cavaliers "Pro" amateurs et professionnels, d’autant plus que les modalités de pratique sont très comparables, allant parfois jusqu’à des situations où "élève" (amateur "Pro") et entraîneur (PSE, "Pro") concourent sur les mêmes épreuves, avec des performances éventuellement similaires. Cette perméabilité des frontières amateur/professionnel est accentuée par le fait que la carrière professionnelle s’inscrit "dans une logique de conversion de la passion d’amateur en une vocation professionnelle" (Chevalier, Dussart, 2002), avec une transformation parfois réversible de la carrière d’amateur.

Ainsi, dans la configuration particulière des sports équestres où compétiteurs "Pro" amateurs et professionnels évoluent dans les mêmes épreuves, et sans que l’on puisse évaluer précisément leurs qualités sportives (indissociables de celles du cheval), il va s’opérer une "nécessaire reconstruction des frontières" entre amateurs et professionnels, qui va s’appuyer sur des critères qui dépassent les seules performances et compétences sportives.

2.2. Une "nécessaire reconstruction des frontières" pour des compétiteurs Professionnels des Sports Equestres en quête de légitimité.

Si l’accès à des montures "à potentiel" est déterminant pour la carrière sportive des compétiteurs "Pro", dans le cas des PSE "Pro", cela l’est à double titre : pour leur carrière sportive mais aussi pour la prospérité de leur activité professionnelle qui en dépend plus ou moins directement. A performances sportives parfois comparables et incertaines [17] , il apparaît alors déterminant pour le compétiteur professionnel d’être reconnu comme "expert" - plus compétent donc plus légitime - pour accéder prioritairement (notamment par rapport aux amateurs performants) aux chevaux, mais aussi pour légitimer leur statut de PSE lorsqu’ils entraînent / coachent des compétiteurs "Pro" amateurs.

Les entretiens réalisés nous ont permis de mettre en évidence l’existence d’un mode spécifique d’évaluation et de reconnaissance de l’expertise des compétiteurs "Pro", fondé non pas sur les seuls résultats sportifs [18] , mais sur un double critère sportif (performances) et professionnel (compétences professionnelles qui dépassent le cadre strict de la pratique compétitive [19] ). En érigeant cette double légitimité sportive-professionnelle comme condition pour être reconnu en tant que compétiteur expert, les frontières - pourtant très perméables dans les pratiques - entre "Pro" amateur et professionnel vont être artificiellement reconstruites, et ce quelles que soient les performances sportives des uns et des autres. Par conséquent, si des résultats sportifs significatifs demeurent indispensables, ils ne sont pas suffisants et doivent être cumulés avec des compétences professionnelles pour être un compétiteur "Pro" légitime, bien que ces dernières dépassent souvent le cadre de la pratique compétitive (bon "valorisateur", "marchand"...) et ne reposent pas sur les mêmes logiques et représentations de la pratique équestre.

Ainsi, bien qu’issue d’une pratique d’amateur, la construction identitaire du "compétiteur expert", en se calquant sur une "identité professionnelle", se caractérise par une volonté de distinction du compétiteur amateur performant, et ce dans un but de légitimation du statut d’expert des sports équestres, parfois peu perceptibles au niveau des pratiques et/ou des performances. La construction de la carrière sportive du cavalier ne dépend donc pas uniquement de ses qualités sportives mais également de son statut professionnel.

Cette construction identitaire distinctive va de pair avec la valorisation d’une culture légitime spécifique aux catégories "Pro" fondée sur des valeurs "professionnelles" (commercialisation des chevaux, valorisation, rendement...) davantage que sur les valeurs strictement compétitives. Les catégories "Pro", où les PSE sont majoritaires, se caractérisent donc par la construction d’une identité professionnelle valorisée qui se substitue à l’identité du compétiteur "Pro" et par la valorisation d’une culture "professionnelle" légitime construite en rupture avec la culture sportive d’amateur. En conséquence, même dans le strict cadre de l’activité compétitive, le "Pro" ne peut pas se contente d’être "seulement" un "pilote" performant pour être considéré par les différents acteurs des sports équestres comme un compétiteur "Pro" légitime. Ceci constitue un obstacle dans la construction des carrières sportives des compétiteurs "Pro" amateurs.

2.3. Une culture équestre spécifique qui pénalisent les carrières des "Pro" amateurs.

Cette reconstruction des frontières entre "Pro" est perceptible de manière systématique dans les entretiens réalisés, que ce soit auprès d’"Ama" ou de "Pro" (amateurs ou professionnels). Ainsi, David, "Pro 2" amateur, malgré de très bonnes performances, explique :

"Quand je suis en "Pro", je joue dans la cour des grands, mais bon, je reste à ma place, je reste un "Pro" amateur, je ne vais pas gagner ma vie là-dedans".

Cette distinction entre professionnels et amateurs est largement entretenue par les PSE :

"Les amateurs, même les bons en "Pro", ils font ça pour leur détente, mais aussi pour écouter les ragots des professionnels, alors que nous [les PSE], on a d’autres objectifs, d’autres préoccupations...on a un métier quoi" [20] .

Il s’ensuit quasi-systématiquement un déni des compétences sportives strictes des "Pro" amateurs performants par les "Pro" PSE qui revendiquent une expertise plus grande, au motif que les amateurs ne cumulent pas compétences sportives et professionnelles et qu’ils ne sont que des "utilisateurs" de chevaux formés par les professionnels :

"Quand tu es professionnel, c’est formateur, t’es assez polyvalent, on peut te mettre sur n’importe quel cheval, tu t’en sors. Alors qu’un amateur ["Pro"], qui a un cheval lambda, il va pas être capable de passer d’un cheval à l’autre. Etre performant avec un cheval c’est bien, mais c’est pas ça savoir monter à cheval" [21].

Ce déni des compétences des amateurs est omniprésent dans le discours de "Pro" professionnel, notamment pour justifier les meilleures performances des amateurs.

"Les amateurs fortunés, ils ont des meilleurs chevaux que nous, parce qu’ils ont de l’argent, donc ouais, parfois ils nous passent devant, mais bon, nous [les PSE] on a l’expérience, plus de réflexes...on est des pro quoi.... Et faut pas oublier que nous, les chevaux, ont les fait, on les fabrique, et qu’eux [les amateurs] après seulement ils les montent" [22] .

Ou encore

"Ouais, il est "Pro 1", et il a des résultats, mais bon, c’est un "Pro" entre guillemets quand même, moi je ne lui confierais pas mon cheval [...] il monte beaucoup mais ce n’est pas son boulot à la base [...], je veux dire, c’est pas comme moi : moi je suis professionnel, je monte 10 chevaux par jour, et les chevaux, c’est toi qui les fais, c’est quand même un autre fierté que d’acheter un cheval tout prêt avec les boutons programmés. Là t’es pro, y’a pas que le résultat, y’a la formation des "bébés", et c’est ça le plus dur" [23].

Face à ce déni de leurs compétences sportives et confrontés à une culture spécifique "légitime" empreinte de valeurs professionnelles auxquelles ils n’ont pas accès, l’évolution dans les catégories "Pro" s’avère très difficile pour les compétiteurs "Pro" amateurs. Au-delà des résistances symboliques auxquels les amateurs vont être confrontés dans leur pratique sportive, cela va se traduire également par des obstacles objectifs d’accès aux catégories supérieures : non reconnus comme "compétiteur expert", donc non légitimes, ils accèderont plus difficilement aux chevaux "confiés" [24] . Ainsi, la construction de la carrière sportive du compétiteur amateur va être soumise à des résistances subjectives en termes de représentations et d’arbitraire culturel, mais également à des obstacles objectifs, ce qui pourra provoquer des abandons ou des bifurcations de la carrière sportive.

Si l’ensemble des compétiteurs amateurs peut être confronté à ces obstacles, cela est accentué pour les cavalières, soumises à un "double handicap", en tant que femme et en tant que compétitrice amateur.

3. DES COMPETITRICES CONFRONTEES A UN DOUBLE HANDICAP

3.1. Une culture professionnelle construite en dehors des femmes

La construction identitaire du "compétiteur "Pro" expert" ainsi que la culture spécifique des catégories "Pro" apparaissent comme des obstacles à l’accès des cavalières, et ce à double titre.

Tout d’abord en tant que femme dans un sport de "tradition masculine", directement issu d’une pratique militaire, et où la culture valorisée est largement empreinte de valeurs considérées comme des attributs de la masculinité" ("virilité", "courage", "déni du danger", "force", "résistance"...). Les sports équestres ont été très tardivement et partiellement féminisés, et ce à tous les niveaux (acteurs institutionnels, cadres techniques, entraîneurs, compétiteurs, propriétaires de chevaux etc...). Ainsi, malgré une féminisation progressive de la pratique, la culture spécifique aux catégories "Pro", à l’articulation de la culture sportive et de la culture professionnelle, apparaît construite par et pour les hommes, en dehors des femmes. Dans ce contexte, l’évolution au plus haut-niveau peut se traduire pour les compétitrices, amateurs mais aussi professionnelles, par une confrontation à des résistances subjectives et/ou objectives, et par un coût élevé de la transgression, comme cela a déjà pu être mis en avant dans d’autres sports de tradition masculine (Louveau (1986) ; Mennesson (2000)).

Frédérique exprime certaines difficultés en tant que femme, bien que PSE :

"Sur les terrains de concours, parfois c’est un peu dur parce quand t’es une nana dans le milieu, faut vraiment avoir du caractère, de la gueule, pour te faire respecter, t’imposer et te faire remarquer [...] et pour être reconnue, ben faut en faire 2 fois plus qu’un garçon au niveau des résultats, des chevaux, à tous les niveaux quoi [...]professionnellement, pour percer en étant une fille, faut vraiment en vouloir et l’affirmer" [25].

Ensuite, en tant qu’"amateur" : les femmes sont peu représentées parmi les PSE, ce secteur professionnel ayant été féminisé tardivement, et de façon très partielle. Le fait que, contrairement au métier d’enseignante - largement féminisé - il n’existe pas de formations ni de diplômes spécifiques pour pouvoir exercer dans la majorité des professions des sports équestres (cavalier professionnel, coach, dresseur de chevaux etc...) accentue les difficultés d’accès des cavalières à ces professions. En effet, C. Marry (2004) montre que le diplôme constitue un facteur favorable d’accès pour les femmes, limitant le déni des qualifications et favorisant la reconnaissance de leur expertise. Ainsi elles ne cumulent pas compétences "professionnelles" et compétences sportives, et ne sont donc pas reconnues en tant que "compétitrices expertes", ce qui peut parfois les amener à douter de leur légitimité en "Pro", et ce malgré des performances remarquables.

"Quand j’ai commencé les "Pro", je me sentais très seule : y’avait peu d ’amateurs et j’avais pas le cheval avec le look du cheval de "Pro" commercialisable [...]alors même quand je faisais des classements, je ne me sentais pas à ma place [...]on dirait qu’il y avait des barrières [avec les PSE], et ça je ne le ressentais pas en "Ama". En plus, en "Pro", y’a beaucoup de mecs, alors parfois j’étais la seule fille, et la seule fille amateur en plus [...] parfois j’avais vraiment l’impression d’accumuler les sacs à dos quoi [...] pourtant, c’est des gens [les PSE] qu’on côtoie chaque week-end en concours, mais vraiment je ne me sentais pas chez moi. [...] Les compétitions "Pro", c’est surtout une loi différente, des sortes de codes, les mecs pro [PSE] se connaissent et discutent commerce entre eux, et toi la dedans, t’as rien à faire, t’es amateur, tu restes amateur. J’étais pleine d’excuses d’être là [...] quand j’ai eu des résultats, j’avais un peu moins de complexes mais c’est quand même pas comme en "Ama", là tu discutes avec les gens, t’as l’impression d’être légitime" [26] .

Les cavalières apparaissent donc confrontées à une culture spécifique dominée par des valeurs "masculines" liées à la performance mais également aux compétences professionnelles "d’homme de cheval" (sans équivalent féminin) dont elles sont exclues à double titre : femme et amateur. Dans le cas où les compétitrices sont PSE, on pourrait penser que ce double-handicap est limité et que ce cumul activité sportive / activité professionnelle dans les sports équestres va constituer un atout pour la carrière sportive de ces femmes. A travers les entretiens réalisés, nous verrons que ce n’est pas toujours le cas.

3.2. L’invisibilité du travail et des compétences professionnelles des femmes

Contrairement à ce que nous avons pu observer pour les compétiteurs, le fait d’être PSE n’est pas toujours synonyme d’atout pour leur carrière sportive, et ce pour plusieurs raisons :

Tout d’abord, on observe une inégale distribution sexuelle du travail dans le secteur des activités équestres :
-  horizontale : concentration des femmes dans certains secteurs, principalement l’enseignement/animation, l’administration ou les soins aux chevaux (groom, palefrenier-soigneur) et très faible présence dans les métiers directement liés à la compétition (cavalier professionnel, coach, marchand de chevaux, directeur technique...).
-  verticale : lorsqu’elles sont enseignantes d’équitation, les femmes s’occupent principalement de l’instruction des cavaliers des petits niveaux ou des plus jeunes, tandis que les hommes sont responsables des équipes de compétition et des cavaliers les plus confirmés. Cette distribution sexuelle du travail cantonne les femmes dans des "activités périphériques" qui ne leur permettent pas de développer des compétences valorisables et transférables dans leur pratique compétitive, contrairement aux hommes. Comme a pu le mettre en évidence M. Buscatto (2003) pour les chanteuses de jazz, on a donc à faire à une hiérarchisation sexuelle professionnelle et sportive/musicale, puisque la reconnaissance sportive/musicale passe par la reconnaissance professionnelle dans ces deux activités.

Ensuite, à travers des entretiens menés auprès de "couples" [27] de PSE, nous avons pu mettre en évidence une inégale division sexuelle du travail au sein du couple, favorable à la carrière sportive du cavalier et aux dépens de celle de la cavalière, qui joue un rôle de "soutien" pour son conjoint /frère. Cette division du travail dans le "couple" permet au compétiteur de se consacrer exclusivement aux tâches mettant en œuvre des compétences valorisables (dressage / entraînement / valorisation des chevaux, entraînement / coaching des compétiteurs) et à leur propre pratique sportive (nombre d’heures de pratique effective important) tandis que les tâches "périphériques" (gestion administrative, comptable et de la clientèle, enseignement aux cavaliers les moins confirmés [28] , gestion quotidienne des écuries, soins aux chevaux), essentielles à la prospérité de l’activité professionnelle, mais peu valorisées et valorisables dans le cadre de la pratique sportive, sont assurées par sa femme/sœur, et ce quel que soit le niveau respectif de compétition des cavaliers du couple au moment de l’installation professionnelle commune. Ces inégalités au sein du couple sont également visibles au niveau de la répartition des chevaux : ceux présentant le plus fort potentiel sont systématiquement "attribués" au compétiteur, et ceci est légitimé par le fait que ce dernier cumule compétences professionnelles et sportives.

Ainsi, si la "double casquette" compétiteur "Pro" / PSE constitue un atout considérable pour la carrière sportive des cavaliers, d’autant plus s’il est suppléé dans son activité professionnelle par sa conjoint/sœur, ceci ne semble en revanche pas être le cas pour les cavalières si elles exercent leur activité professionnelle en "couple". Leur carrière sportive sera dans ce cas pénalisée à double titre : en raison des arbitrages temporels au profit de la carrière sportive du conjoint/frère (peu de temps libre pour se consacrer à la pratique équestre effective, moindre disponibilité pour les compétition liée à la nécessité d’assurer une permanence aux écuries, peu de présence sur les terrains de concours ce qui ne leur permet par de créer du réseau pour faciliter l’accès aux chevaux etc...), et du fait de la réalisation des tâches périphériques indispensables car "alimentaires" mais développant des compétences professionnelles non valorisables pour la carrière sportive. L’invisibilité du travail et des compétences des cavalières va donc pénaliser leur carrière sportive au profit de celle de leur conjoint/frère qui cumulera plus aisément carrière sportive et professionnelle en se déchargeant d’une grande partie des contraintes et tâches non valorisables et "chronophages" de l’activité professionnelle "alimentaire".

3.3. Des atouts indispensables à la réalisation d’une carrière d’exception.

Malgré les différents obstacles évoqués, certaines compétitrices connaissent des carrières d’exception en atteignant les catégories "Pro" [29] . Pour ce faire, il semble indispensable - et ce encore plus que pour les hommes - qu’elles possèdent des atouts leur permettant de surmonter le "double handicap" :

-  Disposer d’un capital économique élevé permettant d’être propriétaire de ses montures. Néanmoins, si l’acquisition de chevaux performants permet un accès aux catégories "Pro", les compétitrices n’en restent pas moins soumises aux résistances subjectives et au déni de leurs compétences sportives, particulièrement dans le cas où elles sont compétitrices amateurs.

-  Etre issue d’une famille de PSE ("fille de") : comme dans le cas des solistes virtuoses (I. Wagner, 2004), on observe une tendance à "l’hérédité professionnelle" pour l’ensemble des compétiteurs "Pro" mais ce de manière encore plus marquée pour les cavalières. Si pour les violonistes le réseau parental permet d’accéder aux classes de solistes prestigieuses et aux stages, il en va de même pour les compétiteurs et surtout les compétitrices qui accèdent aux chevaux performants via le réseau parental ou familial. Comme a pu le montrer I. Wagner pour les violonistes, le capital professionnel des parents PSE (en termes de réseau avec des acteurs centraux des sports équestres) sera mobilisé pour aider les cavalier(ère)s dans leur parcours. Ces compétitrices "filles de" connaissent une carrière sportive d’exception surtout lorsqu’elles occupent la place du "garçon manquant". Dans le cas contraire, la présence d’un ou plusieurs frères dans la famille tend à pénaliser la carrière sportive de la compétitrice (notamment en ce qui concerne la distribution des chevaux au sein de la fratrie), surtout si elles partagent une activité professionnelle avec leur(s) frère(s) (cf 3.2).

-  Etre en couple avec un compétiteur sportif professionnel ("femme de"). Alors qu’être "en couple" avec un "Pro" PSE pénalise les carrières sportives des compétitrices (cf. 3.2), ceci semble au contraire constituer un atout dans le cas où le mari / conjoint fait partie des rares cavaliers sportifs professionnels. Ces compétitrices bénéficient alors du réseau de leur mari/conjoint pour accéder aux chevaux, sans que leur carrière sportive ne soit pénalisée par une divisions sexuelle du travail au sein du couple, l’activité professionnelle de ces sportifs professionnels étant exclusivement centrée sur leur pratique sportive. Toutefois, si ces cavalières évoluent dans les catégories "Pro", la légitimité de leur présence à ce niveau semble davantage tenir à leur statut de "femme de" qu’à la reconnaissance de leurs propres compétences sportives. Ainsi, cela renforce aussi la dépendance des femmes et la prédominance des hommes, de la même manière que pour les femmes chanteuses de jazz qui ont un conjoint-musicien (Buscatto, 2003).

Le cumul de ces "atouts" accroît fortement les chances des compétitrices d’accéder aux catégories "Pro", en leur permettant de dépasser les obstacles objectifs, et particulièrement l’accès aux chevaux. Il n’en reste pas moins que ces cavalières demeurent confrontées à des résistances, voire une violence symbolique liée à une culture spécifique construite par et pour les hommes et au déni de leurs compétences sportives et/ou professionnelles, même en cas de performances notables et d’un rôle central dans l’activité professionnelle.

La reconstruction identitaire du "compétiteur expert" légitime - construite en référence à des modèles masculins - et les résistances objectives et subjectives qui en découlent, semblent donc constituer une explication des bifurcations des carrières féminines avant l’accès aux catégories "Pro", les cavalières ne pouvant accéder à ces catégories, faute d’accès à un cheval performant, ou "choisissant" de ne pas y accéder en anticipant les obstacles et résistances. Les compétitrices feraient alors des "choix raisonnés et raisonnables" (Duru-Bellat, 1990) en s’orientant vers les catégories "Ama" ou d’autres disciplines plus féminisées telles que le dressage ou l’endurance.

CONCLUSION

A travers ce travail, il apparaît tout d’abord que la féminisation des sports équestres, si elle existe au niveau des catégories "Ama", s’est en revanche réalisée sans véritable égalité ni mixité au niveau des catégories "Pro", celles-ci constituant encore aujourd’hui un bastion masculin auquel les femmes accèdent peu.

L’étude longitudinale des carrières équestres de compétition nous a permis de mettre en avant un fonctionnement et une culture spécifiques aux catégories "Pro" marquées, entre autre, par une primauté d’une identité "professionnelle" du compétiteur "Pro" et par une culture équestre légitime dominées par des valeurs qui dépassent le seul cadre sportif, et ce dans une logique de distinction et de légitimation du statut d’expert des compétiteurs "Pro" PSE. Ne présentant pas toutes les compétences professionnelles (savoir faire des techniques sportives mais également aptitudes à dresser, former, commercialiser les chevaux), les compétiteurs "Pro" amateurs ne font pas partie de ce micro-univers auto-légitimé que sont les "Pro" PSE et ne sont pas reconnus en tant qu’experts de la compétition équestre, et ce quels que soient leurs résultats et même si les compétences qui leur font "défaut" se situent hors pratique sportive. Cette spécificité des catégories "Pro" semble constituer un obstacle à l’accès et l’évolution des compétiteurs "Pro" amateurs, dont les compétences sportives sont déniées.

Il apparaît alors que, au-delà des résistances subjectives auxquelles sont confrontées les cavalières dans ce "monde d’hommes", la reconnaissance du compétiteur "expert" fondée sur cette double légitimité sportive/professionnelle, confère aux compétitrices un double handicap : en tant que femmes et en tant que compétitrice amateur ou professionnelle développant des compétences non valorisables dans leur carrière sportive.

Comme M. Buscatto (2003) a pu le montrer dans le cas des chanteuses de jazz, il va s’opérer au sein des catégories "Pro" une "double différentiation sexuelle" qui va se traduire par une double hiérarchisation sportive et professionnelle, au profit des cavaliers et aux dépens des cavalières qui vont évoluer dans ce "monde d’hommes" mais dans des catégories inférieures ou des emplois moins valorisés et reconnus. Cette différentiation sexuelle est accentuée dans les sports équestres pour des raisons historiques (origines militaires) mais également en raison du fonctionnement particulier des catégories "Pro" (accès aux chevaux performants - via des propriétaires - qui repose sur des critères d’évaluation peu objectivables qui dépassent le cadre des seules qualités sportives). Ainsi, tantôt compétitrice amateur aux compétences sportives déniées, tantôt professionnelle des sports équestre "invisible" ou aux compétences professionnelles non reconnues, les cavalières, même performantes, sont confrontées à des difficultés importantes pour accéder aux catégories "Pro" et/ou y évoluer. Dans ce contexte d’une culture légitime construite par et pour les hommes, et d’une identité du compétiteur "Pro" calquée sur l’identité professionnelle d’homme de cheval, il apparaît très difficile pour les compétitrices de se construire et d’être reconnues en tant que compétitrices "Pro" légitimes.

Ainsi, au-delà des obstacles et résistances communs à tous les "mondes d’hommes" dans lesquels pénètrent les femmes, on peut penser que les spécificités culturelles et de fonctionnement des catégories "Pro", peu propices à l’accès des cavalières, peuvent constituer une explication supplémentaires des bifurcations (choisies ou par défaut) des carrières féminines après la 4ème séquence de la carrière, celles-ci ne pouvant pas (faute de cheval performant) / ne souhaitant pas franchir la 5ème séquence de la carrière équestre en vue des obstacles, contraintes et résistances objectives et subjectives auxquelles elle est associée. Plus qu’en termes de "goût", de compétences ou d’arbitrages défavorables entre les différentes carrières de la vie des cavalières, les bifurcations avant l’accès à la 5ème séquence peuvent donc être interprétées en termes de choix ou d’anticipation d’une carrière "Pro" qui s’annonce coûteuse et semée d’obstacles objectifs et subjectifs.

BIBLIOGRAPHIE

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[1] Selon la nomenclature de la FfE, et par ordre croissant : "club", "Ama 4", "Ama 3", "Pro 2", "Pro 1" (cette dernière catégorie correspondant au plus haut-niveau national).

[2] Même si le dressage et l’entraînement quotidien du cheval, de même que les compétences de son "pilote", jouent un rôle déterminant dans le production des performances, des prédispositions physiques du cheval apparaissent comme un pré-requis indispensable pour espérer qu’il puisse évoluer dans les catégories "Pro", dont les épreuves nécessitent des capacités physiques de force, d’adresse et de détente importantes.

[3] Chevalier (1998) : pp.34

[4] Ibid. pp., 32

[5] Si le cheval est toujours "entretenu" comme un animal de compagnie plus que comme un animal de rente, on remarque, à travers les entretiens, que les pratiques de soin et de confort sont davantage orientées vers une recherche d’un état de performance optimal que du simple "bien-être", ce qui va de pair avec une rationalisation de l’entraînement du cheval.

[6] Extrait d’un entretien avec une compétitrice "Ama 3". Il faut comprendre ici : "un cheval âgé de 6 ans, de race Selle Français (SF), dont le père est l’étalon Rosire, et qui a participé aux épreuves d’élevage réservées aux chevaux SF âgés de 6 ans"

[7] Ceci est à mettre en regard avec la politique fédérale qui fonde le circuit de compétition "club" sur une logique "participative" de qualification aux championnats de France contrairement au circuit "Ama", calqué sur le circuit "Pro", et construit sur une logique de sélection par les résultats (Planchet, 2003).

[8] Nous entendons ici : les arbitrages entre les différentes carrières de la vie du compétiteur : sportive, scolaire et/ou professionnelle et familiale.

[9] Fédération française d’Equitation, statistiques 2003 des Licences Fédérales de Compétition (LFC)

[10] Principalement le prix d’achat très élevé des chevaux capables d’évoluer à ce niveau et la nécessité de disposer de plusieurs montures pour pouvoir répondre aux exigences et au rythme soutenu de ces catégories (à partir des catégories "Pro", le circuit très dense de qualification aux championnats de France nécessite de disposer de plusieurs montures pour être compétitif).

[11] Sous des formes complexes et variables : chevaux confiés, loués, prêtés etc...

[12] Hormis l’examen fédéral "Galop 7" qui donne accès à la compétition "Ama", il n’existe aucun diplôme ou brevet professionnel spécifique, même pour les "cavaliers professionnels" salariés.

[13] Le nombre de compétiteurs vivant exclusivement des retombées directes de leur pratique compétitive (gains + sponsoring) est estimé à une dizaine par les institutions fédérales.

[14] Il s’agit principalement des dirigeant d’écurie de compétition, coach/entraîneur, éleveur et/ou marchand, dresseur/entraîneur de chevaux de sport etc...

[15] Extrait d’un entretien mené auprès de Philippe, compétiteur "Pro 2" et PSE dirigeant d’une écurie de propriétaires.

[16] Principalement des éducateurs et des animateurs sportifs.

[17] Compte tenu du rôle déterminant des chevaux dans la production des performances du couple, et de l’incertitude des résultats liée à l’utilisation d’un animal vivant exposé notamment aux risques de blessure, baisse de forme, maladie etc..., l’évaluation de l’expertise du compétiteur ne peut être basée exclusivement sur les résultats sportifs.

[18] Comme ça peut être le cas pour des sports tels que l’athlétisme ou la natation où l’évaluation des qualités sportives de l’individu sont directement évaluables grâce aux "temps de référence" par exemple.

[19] Même si nous n’avons pu, à travers les entretiens réalisés, définir et délimiter précisément les "compétences professionnelles" des PSE, il est apparu qu’elles recouvraient des compétences très larges, allant du dressage/formation/entraînement des chevaux de sport jusqu’à la valorisation/ commercialisation dans certains cas.

[20] Extrait d’un entretien mené auprès de Frédérique, compétitrice "Pro 2", PSE, épouse d’un compétiteur "Pro 2" également PSE

[21] Extrait d’un entretien mené auprès de Frédérique, compétitrice "Pro 2", PSE, épouse d’un compétiteur "Pro 2" également PSE

[22] Extrait d’un entretien mené auprès de Philippe, compétiteur "Pro 2" et PSE dirigeant d’une écurie de propriétaires.

[23] Extrait d’un entretien mené auprès de Paul, compétiteur "Ama 3", PSE (cavalier salarié d’un "Pro 1" PSE)

[24] Une étude des listings des engagés "Pro" met en évidence le fait que les compétiteurs amateurs évoluent principalement avec leurs propres montures. Dans ce cas, le capital économique des compétiteurs ou de leur famille constitue un atout majeur pour accéder aux catégories "Pro".

[25] Extrait d’un entretien mené auprès de Frédérique, compétitrice "Pro 2", PSE, épouse d’un compétiteur "Pro 2" également PSE

[26] Extrait d’un entretien réalisé auprès de Céline, compétitrice amateur, "Ama 3" participant à des épreuves "Pro 2".

[27] Nous entendons ici "couple" au sens large, prenant en compte les couples mari/femme mais également sœur/frère évoluant ensemble dans leur activité professionnelle.

[28] On peut noter que lorsque seules les cavalières sont enseignantes diplômées (BEES 1 / BPJEPS), elles assurent l’enseignement équestre des jeunes cavaliers et des cavaliers de petit niveau, qui sont ensuite entraînés par leur conjoint/frère lorsqu’ils atteignent les catégories "Ama". Bien que ceux-ci ne soient pas diplômés, ils sont alors reconnus comme experts quand il s’agit de pratique compétitive, en référence à leur propre pratique sportive.

[29] Les statistiques 2005 de la FfE dénombrent près de 25% de femmes parmi les licenciées "Pro", chiffre néanmoins à nuancer dans la mesure sont prises en compte toutes les LFC "Pro", alors que les engagements indiquent que les cavalières sont moins nombreuses à participer aux épreuves les plus prestigieuses et représentatives de ces catégories ("Grand Prix").