Les mondes sportifs et les mondes de l’art, notamment celui du spectacle vivant (Menger, 1989, 1997, Paradeise, Vourc’h, Charby, 1998) connaissent de multiples traits communs. L’idée dans ce travail n’est pas de réaliser une étude exhaustive sur la condition du sportif en travailleur mais de s’interroger sur la question de la carrière d’un travailleur particulier à l’intérieur de cet univers sportif : le boxeur. En boxe la carrière renvoie à l’idée de s’intégrer successivement dans deux mondes. La boxe amateur, dans laquelle le boxeur de haut niveau peut être considéré comme un « travailleur sportif d’Etat ». Il bénéficie d’avantages (aide financière personnalisée, logement, restauration, formation, emplois, valorisation sociale...) et exerce une activité où les risques physiques sont fortement réduits. La boxe professionnelle dans laquelle il est soumis à des risques particulièrement élevés tant du point de vue de son intégrité physique (la protection de son corps est fortement réduite) que de son intégrité sociale. Il doit en effet vivre des ressources procurées par son activité : les bourses des combats. Il devient alors un petit entrepreneur sur un marché aux ressources rares et concurrentielles. Dans ce contexte, pourquoi un boxeur de haut niveau amateur va-t-il passer dans le monde professionnel et comment ensuite va-t-il maximiser ses chances d’être « celui qui rafle tout » ? Ce questionnement renvoie à expliquer la structure du marché des emplois en boxe anglaise à savoir quels sont les types d’emplois possibles pour le boxeur mais aussi à confronter les deux modèles de régulation de ce marché des emplois dans lequel le boxeur talentueux va construire successivement sa carrière : une régulation par l’Etat via les fédérations dans la boxe anglaise amateur et une régulation par le marché dans le monde professionnel. Cela revient aussi à expliquer sur fond de logiques financières et médiatiques comment ce marché se construit et réussit à se pérenniser par une multiplication des fédérations et une spectacularisation croissante des galas, l’idée étant, pour les acteurs de l’offre sur ce marché, de construire des ressources médiatisables. Ce questionnement implique également de définir et d’expliquer les logiques qui, du point de vue de la demande, animent ces deux marchés et fondent leurs spécificités par rapport aux autres sports et professions artistiques et, en cela, de mieux comprendre comment le boxeur, va construire sa carrière par un jeu subtil entre ces différentes logiques : régulation de types naturalistes, sportives, de carrière, d’arrangement et bien entendu financières. L’analyse s’appuiera sur un rapport de recherche réalisé pour la fédération française de Boxe sur la question du passage de l’amateurisme au professionnalisme (Burlot, 2002) qui s’était appuyé sur un dispositif à la fois d’observation des salles et des galas, et d’entretien avec les acteurs du monde de la boxe. Elle sera complétée de données quantitatives de cadrage concernant les boxeurs de haut niveau amateur et les boxeurs professionnels.

L’entrée dans la carrière : une régulation naturaliste des emplois. Comme dans le monde des professions artistiques (Becker, 1988 ; Freidson, 1986), la question des carrières dans le domaine sportif est régulée par des systèmes parfois bien éloignés des règles et conventions des milieux professionnels traditionnels. Un sportif n’est pas un salarié d’entreprise, c’est un individu exerçant une profession visible dont la partie visible est le spectacle. A la différence avec de nombreuses branches artistiques, le sportif est intégré dans un processus de carrière courte dans laquelle une certaine forme de convention naturaliste fonctionne (Laplante, 2003). Elle impose une durée de carrière, voire même si on va plus loin elle oriente dès le départ vers une forme de carrière sportive. N’importe quel individu ne pouvant exercer n’importe quelle activité sportive. Il y a des capacités physiques de départ, des « traits innés » (Paradeise, Vourc’h et Charby, 1998) qui vont plus ou moins orienter vers certaines activités que d’autres : fibres rapides et fibres lentes ; corpulence musculaire et finesse ; taille de l’individu, etc. On retrouve ici la convention naturaliste des emplois qui pourrait ressembler à celle qui distribue les rôles dans une pièce de théâtre (Laplante, 2003). Sans dire qu’un individu va faire son choix dans les possibles pour faire du sport sa profession, il n’en reste pas moins qu’un certain nombre d’emplois lui sont inaccessibles. Un boxeur de moins de 51kg, d’une part, aurait difficilement choisi de s’engager dans une activité comme le basket ou le saut à la perche et, d’autre part, à l’intérieur des différentes catégories de boxe, l’accès aux toutes catégories lui est naturellement exclu. Les catégories de poids en boxe peuvent être assimilées à des catégories d’emplois dans lesquels les boxeurs vont pouvoir exercer leur activité. On peut voir cependant des boxeurs faire des changements de catégories tout au long de leur carrière. L’idée même d’avoir été champion du monde dans trois catégories différentes impose une forme de légitimité plus forte au boxeur.

La régulation « Etatico-sportive » du monde amateur. Une fois le boxeur positionné à l’intérieur d’une catégorie d’emploi via la catégorie de poids, il inscrit son action dans une logique sportive (système communément admis de compétition qui repose sur un tirage aléatoire dans une formule tournoi). Cette logique sportive va déterminer son traitement à l’intérieur de la catégorie d’emploi dans laquelle il exerce son activité. Deux types de rôles lui sont alors accessibles : boxeur amateur dit normal et boxeur amateur de haut niveau. Ces deux types d’emplois renvoient d’une part à un mode de régulation établi par l’Etat dans le cadre de la politique sportive des filières de haut niveau qui définit le statut de sportif de haut niveau (Musso, 2000) et, d’autre part, à une régulation sportive car, seuls les meilleurs, dont la qualité est jugée à l’étalon de leur performance dans les différents tournois officiels, auront accès au statut de « Sportif de Haut Niveau ». En boxe amateur, le statut de « sportif de Haut Niveau » donne accès à un certain nombre de droits :
-   Une aide personnalisée pouvant aller de 200 euros par mois à 2500 euros pour les meilleurs. Cette aide est déterminée en fonction de l’ancienneté, des performances sportives et de la notoriété. Le montant de l’aide est fixe et progresse dans le temps.
-   Un système de primes de participation et de primes à la médaille qui tiennent compte de la performance sur les tournois. Ces primes à la médaille sont fonction du niveau du tournoi joué et de la médaille obtenue. Elles vont de 200 euros pour une médaille de bronze dans des tournois mineures à 7000 euros de prime fédérale à laquelle s’ajoute une prime d’Etat de 40000 euros pour une médaille d’or aux jeux olympiques.
-   Une prise en charge totale de l’hébergement et de la restauration.
-   Un suivi médical et socio-professionnel.
-   L’accès à des emplois conventionnés avec des entreprises privées ou des administrations publiques.
-   Des contrats images
-   Des sponsors individuels ou collectifs (équipe de France). Au-delà des avantages procurés par le statut de Sportif de Haut Niveau, c’est de la définition même d’un emploi de « sportif d’Etat » dont il est question ici. Le boxeur devient un travailleur au service de son ministère via sa fédération. Il s’entraîne pour produire une performance dans un spectacle international à caractère hautement stratégique. Pourtant contractuellement ce sportif est considéré comme un amateur. Or, une analyse des activités exercées par un Sportif de Haut Niveau (Fleurance, Burlot, Legrand, Mignon, Musso, Perez, Glomeron, Grison, Melo, Nourrit, Riff, 2005) dans le cadre de son activité quotidienne montre que le contenu de sa pratique renvoie à des formes de travail relativement proche du monde artistique et plus particulièrement des métiers de scène (Menger, 1997, Paradeise, 1998) : temps d’entraînement/répétition important, présence d’un entraîneur/metteur en scène, une représentation sportive/théâtrale, dépassement et originalité de la performance... et surtout un rapport à l’activité de type vocation mettant en avant les notions de plaisir et de liberté. L’intérêt pour le boxeur d’intégrer le haut niveau amateur et de se voir paradoxalement identifier comme un « non professionnel », (celui qui n’a pas encore le niveau ou les compétences ou celui dont ce n’est pas encore le métier, et la plupart du temps souvent aux yeux de tous celui qui n’est pas encore un vrai boxeur), est triple :
-   acquérir de la réputation pour monnayer sa place dans le monde professionnel.
-   se perfectionner dans une structure professionnelle (dans le sens d’accessibilité aux compétences nécessaires pour être performant) tout en bénéficiant des avantages procurés par le statut de sportif de haut niveau.
-   Commencer à préparer sa reconversion d’après carrière pugilistique (une formation assurée à travers le double projet). Le jeu pour le boxeur consiste à obtenir la place de n°1 français de sa catégorie, situation qui lui permettra d’accéder aux épreuves phares internationales et s’y construire une réputation. Ce système régulé par l’Etat offre une certaine forme de sécurité et constitue dans la carrière qui mène au professionnalisme (entendu au sens d’avoir une licence professionnelle), un passage obligatoire (nombre de point pour passer professionnel), nécessaire (la réputation) mais pas suffisant en terme de carrière pugilistique tant du point de vue de la symbolique que du profit financier attendu. D’une part, les revenus des « boxeurs d’Etat » à l’exception des hors catégories ne sont pas forcément très importants. Ils permettent tout juste de vivre mais sans doute pas d’accumuler des richesses pour l’après carrière. D’autre part, le boxeur n’aspire qu’à une seule identité : celle de boxeur professionnel. La force de cette identité tient au fait qu’elle est idéalisée par l’ensemble des mondes de la boxe avec lequel le boxeur est en interaction : les médias, les boxeurs, les entraîneurs, les promoteurs, les managers et les suiveurs (Burlot, 2002). Le boxeur n’a finalement pas réellement le choix s’il veut satisfaire aux regards des autres, d’une part, et n’a pas vraiment le choix s’il veut accéder à un monde où le miracle est possible. On retrouve ici de fortes similitudes avec les jeux de hasard dans lesquels on peut faire jouer une certaine forme d’expérience, comme les courses hippiques par exemple. Le miracle est ici caractérisé par la gloire et l’argent des bourses offertes pour les championnats du monde professionnels. Cependant la boxe professionnelle est un monde qui, au-delà de se mettre en rupture avec la logique étatico sportive du monde amateur, ne répond également pas à des logiques de marché traditionnelles renvoyant à une progression mesurée et graduée des rémunérations en fonction d’une échelle de performance. On est dans un marché où les meilleurs raflent tout. Cette situation attire les Sportifs de Haut Niveau qui surestiment tous leurs chances d’être celui qui décrochera le titre générateur de super gains. Leur valeur actuelle leur permet en effet d’envisager une valeur optionnelle importante dans le monde professionnel. On est par ailleurs dans un marché régulé par un certain nombre de spécificités avec lesquelles le boxeur va devoir composer pour maximiser ses chances de profit. Le passage vers le monde professionnel revêt une part de risque mais permet d’accéder à un rêve dont les boxeurs sont conscients qu’il sera difficilement réalisable mais qui, en contraste avec la situation de « boxeur d’Etat » prend l’allure d’un défi pimenté. Il renonce alors à un emploi présent dans un système régulé par l’Etat pour intégrer un emploi dans un système régulé par le marché. Au final, la quasi totalité des boxeurs de haut niveau passent professionnel, ce qui accroît, bien entendu, la concurrence entre les boxeurs et crée un phénomène d’encombrement dans l’accès aux titres.

2/ La logique de marché du monde professionnel.

Un marché de type « wienner take all society ». L’entrée dans ce marché est donc marquée par un processus de surestimation des chances de réussite et par des conditions d’accès relativement ouvertes, surtout pour les boxeurs de Haut Niveau, mais irréversibles. La prise d’une licence professionnelle est en effet un acte définitif car les règlements de la boxe en France n’autorisent plus le boxeur à redevenir amateur. Il entre alors dans un univers régulé par un marché de type « wiener take all society » (Frank et Cook, 1995) dont nous venons de décrire les modes d’accès et dont les propriétés principales sont, dans un système de concurrence fort, doté de beaucoup de prétendants et peu de titres, de voir les meilleurs tout rafler et être sur exposés médiatiquement. Tyson est le sportif le mieux payé en 1996 avec 75 millions de dollars en 3 matchs. A contrario de cette situation, la majorité des boxeurs ne peuvent vivre des fruits de leur activité et doivent exercer une autre activité professionnelle pour pouvoir rester professionnel. Cette situation dans laquelle une petite différence de niveau provoque des écarts surdimensionnés en terme de revenus définit fortement ce marché de la boxe professionnelle Elle n’est pas cependant spécifique à cette activité et touche la plupart des sports médiatisés au rang desquels le basket, le foot américain, le tennis et le golf ou encore en Europe le footbal et le rugby. Dans ce marché où les meilleurs sont sensés gagner des super gains, être le meilleur ne signifie cependant pas être champion du monde. Le meilleur est celui qui accède au statut de vedette au sens de Rosen (1981). Cette situation concerne alors un très petit nombre de boxeurs. En effet, il ne suffit pas de faire un championnat du monde même dans l’une des quatre fédérations reconnues pour faire partie des rares boxeurs à décrocher ces super gains.

La valeur du boxeur : entre performance sportive et vedettariat. Le niveau de performance sportive du boxeur n’est pas l’unique élément de définition de la bourse d’un combat. La question de l’exposition médiatique du boxeur, au même titre que l’exposition médiatique d’un livre, est un élément tout aussi important que son niveau sportif. Différents ingrédients peuvent contribuer à transformer un boxeur talentueux et performant en une vedette en vue. Il en va ainsi d’Oscar de la Hoya (belle gueule), comme de Myke Tyson (la folie) ou encore de Brahim Asloum (symbole de l’intégration après sa médaille d’or aux JO de Sydney). Leur notoriété et leur image permettent d’augmenter l’audience et s’ajoutent au niveau sportif pour déterminer le montant de leur bourse. Ce statut de vedette ne peut cependant exclure l’idée d’une performance sportive proche de l’excellence pour le niveau considéré. La notoriété ne peut pas tenir si elle n’est pas liée à un niveau de performance attendu. La surmédiatisation d’Asloum pendant les quatre premières années de sa carrière professionnelle menée par les conseillés en communication de Delarue (son manager) est forte explicative de cette situation. Elle est uniquement un facteur qui va plus ou moins faire jouer la valeur du boxeur et agir plus ou moins sur sa carrière. Elle est par contre un facteur qui peut parfois renverser la hiérarchie sportive et faire accéder au statut de vedette celui qui n’est peut-être pas le champion de sa catégorie. Mais cette situation ne touche pas seulement le monde sportif, elle touche les architectes (Moulin, Dubost, Lagneau, Gras, Lautman, Snapper, 1973), les intellectuels (Lautman, ????) les artistes d’une façon générale (Menger, 2002) et finalement toutes les activités professionnelles qui aujourd’hui sont soumises à des logiques de médiatisation et entre dans l’économie du « star system » (Benhamou, 2002). Lautman parle d’une « réputation organisée » capable de compenser, voire de supplanter les compétences.

Médiatisation et réputation : vers un autorenforcement générateur de super gains. La réputation liée au statut de vedette sportive est une condition nécessaire pour l’obtention de « super gains ». En boxe, la valeur de la bourse est déterminé avant le combat sur la base de la réputation des boxeurs (Tenario, 2000). Cette situation reste cependant un élément du mécanisme de détermination des bourses qui repose ensuite sur le poids des organisateurs et leur capacité à diffuser à plus ou moins grande échelle les galas dans lesquels les boxeurs se produisent. Le type de diffusion joue un rôle capital dans la détermination de la valeur de la bourse. On recense plusieurs types d’organisateur/promoteur en fonction du niveau de diffusion de leurs galas :
-   Le promoteur capable de faire diffuser un combat à l’échelle planétaire. On trouve ici Don King
-   Le promoteur ayant accès à une diffusion nationale sur des chaînes à forte audience comme Acariès en France.
-   Le promoteur ayant accès à une diffusion confidentielle (chaînes câblées à thèmes) comme en France Tesseron.
-   L’organisateur diffusant son spectacle à un public local : celui de la salle où se déroule le gala en l’occurrence ici les patrons de salle et les entraîneurs. Cette différence de médiatisation contribue aux différences importantes constatées entre les meilleurs et les autres. Elle les entretient et elle les utilise. Les vedettes sportives sont sollicitées en priorité sur les galas à forte diffusion. Cet autorenforcement de la réputation conduit à la surexposition médiatique d’une minorité, propriété caractéristique des marchés où les meilleurs remportent toutes les mises (Frank et Cook, 1995). Le système du « pay per view » présent aux Etats-Unis vient bien entendu conforter et objectiver ce modèle. Les bourses des championnats de monde peuvent ainsi descendre jusqu’à 40.000 euros dans certaines rencontres organisées en Europe par des promoteurs européens, mais d’une façon générale, il est rare de descendre sous la barre des 100.000 euros. Par contre, de façon exceptionnelle, des combats peuvent parfois offrir des bourses de plusieurs dizaines de millions d’euros pour des boxeurs ayant atteint le statut de vedette et dont le combat est retransmis sur les cinq continents. A l’exception des combats exceptionnels, les revenus des boxeurs ne sont donc pas très élevés. Ils sont d’autant moins élevés que la bourse offerte est répartie à hauteur de 60% pour le gagnant, 40% pour le perdant et que le solde est réduit d’une commission perçue par l’entraîneur pouvant aller officiellement jusqu’à 30% du gain du boxeur. Au final, un boxeur ne gagne pas plus de 25 à 40% des bourses déclarées dans les combats (avant impôts). En France, seuls quelques boxeurs sont bien payés sans pour autant atteindre les bourses des championnats du monde exceptionnels. Mormeck et Monshipour ont gagné près de 200 000 euros en 2006 pour son championnat du monde. Ensuite passé le stade des 15 premiers français les mieux classés (c’est-à-dire présents dans les 15 premiers d’une des quatre fédérations), les bourses deviennent très faibles. A titre d’exemple la bourse minimum imposée pour une finale des championnats de France est de 7000 euros à répartir entre les deux boxeurs. On peut estimer aujourd’hui que la grande majorité des boxeurs gagnent entre 4000 et 7000 euros par an.

La multiplication des ressources médiatisables : les emplois et les rôles possibles sur ce marché. A la différence avec les comédiens par exemple (Paradeise, 1998, Menger, 1997), le monde de la boxe n’offre pas une multitude de rôles et donc d’emplois possibles. Le marché de la boxe repose sur une logique de rareté de l’offre. En moyenne les boxeurs français ne font pas plus de 2,5 matchs par an. De plus, seuls les championnats mettant en jeu des titres sont réellement médiatisables. Il est en effet difficile de médiatiser un match de construction de carrière autrement qu’en l’insérant à l’intérieur d’un gala dans lequel il y a déjà un combat vedette. On comprend rapidement que le système serait difficilement viable s’il n’y avait qu’un seul titre de champion du monde toutes catégories confondues comme à l’origine dans une seule fédération internationale. On est donc dans une situation de rareté de l’offre beaucoup plus importante que dans d’autres activités sportives comme le tennis. Pour résoudre cette situation et augmenter le volume d’emplois possibles, le monde de la boxe professionnelle a connu un double mouvement : la multiplication des titres d’une façon verticale (On passe de 3 catégories de poids en 1891 à 10 catégories en 1960 et pour arriver finalement à 17 catégories de poids en 1987 ) et d’une façon horizontale (plus de 10 fédérations internationales en 2006). Certes, la multiplication des catégories s’est réalisée sous la contrainte d’un processus de civilisation de la violence visant à préserver l’intégrité physique des boxeurs (Elias et Dunning, 1986, Rauch, 1992), mais rapidement c’est davantage d’une augmentation des « ressources médiatisables » dont il va être question (Philonenko, 1991). La multiplication des fédérations s’inscrira également dans cette perspective. Dans un contexte où aucune fédération n’est véritablement légitime, laissant un marché complètement ouvert à la concurrence, et dans lequel le match de boxe devient un spectacle populaire largement diffusé par la télévision, les titres de champions du monde vont se multiplier de façon exponentielle et construire un système complexe d’emplois. Une hiérarchie se constitue alors à l’intérieur de ces différents emplois possibles entre :
-  d’une part les fédérations, il existe aujourd’hui quatre fédérations majeures dont la plus prestigieuse est la WBC suivie de la WBA, la WBO et l’IBF et des fédérations mineures.
-  d’autre part les catégories, une différenciation naturelle des catégories d’emplois versus poids a produit une forme de hiérarchie symbolique entre les catégories (les plus lourdes étant sensées produire les champions les plus forts). A ce titre on parle des poids lourds comme de la catégorie reine. Ainsi, le poids détermine le type de catégorie dans laquelle le boxeur va pouvoir négocier sa carrière, d’une part, et le type de fédération définit le niveau de difficulté dans lequel il va s’engager, d’autre part. Ensuite chaque catégorie à l’intérieur de chaque fédération renvoie à plusieurs types de rôles : le tenant du titre (champion du monde), le challenger (n°1), le bien placé (n°1 au n°20), le montant, le descendant, le faire valoir couramment appelé « la chèvre ». Ces rôles sont en réalité étroitement liés au classement fédéral. Ce dernier définit en effet les rencontres possibles. A cela s’ajoutent deux autres types de titres. D’une part, à l’intérieur des fédérations majeures, il existe des titres intermédiaires avant de concourir pour le titre suprême comme ceux de champion intercontinental et champion des moins de 23 ans. D’autre part, entre les fédérations majeures, il existe des titres réunifiés pour les champions hors catégorie, les fédérations qualifie alors ces boxeurs de « super champions ». L’ultime étape consiste enfin à tenter de devenir champion du monde de plusieurs catégories de poids, l’exploit étant d’avoir été champion du monde dans trois catégories différentes comme récemment Hopkins vient de le faire pour mettre fin à sa carrière (ce qui lui vaut une proposition de 20 millions de dollars pour un dernier combat). Cette stratification du marché de l’emploi et cette multiplicité des rôles possibles offrent des combinaisons de carrière multiples avec lesquels les boxeurs vont jouer. Ces combinaisons sont plus ou moins glorifiantes, rémunératrices et génèrent des inégalités importantes entre les boxeurs.

Conclusion L’idée serait désormais d’essayer de comprendre comment le boxeur va s’insérer dans ce milieu professionnel constitué par un certain nombre d’emplois distinctifs et hiérarchisés et par l’intégration de quels types de logiques va-t-il construire le chemin qui le mène vers l’excellence symbolisée par la ceinture de champion du monde dans une fédération majeure. Certes au cœur de la motivation des boxeurs, il y a l’idée de vocation mais le concept n’explique pas complètement cette situation d’engagement dans une carrière aux ressources rares. Les boxeurs choisissent par passion l’activité pugilistique, mais plus que cette passion c’est du regard des différents mondes pugilistiques et non pugilistiques dont il est question. L’identité de boxeur n’a de sens qu’à travers la condition de boxeur professionnel. On quitte alors en toute conscience la qualité de « boxeur d’Etat » pour accéder à celle de petit entrepreneur sur un marché qui revêt toutes les propriétés des marchés de type « winner take all markets » : attirance forte et idéalisation de la boxe professionnelle - surestimation des chances de réussite - conditions d’accès faciles - surnombre de boxeurs - rareté des titres donnant accès aux super gains - beaucoup de gains et surexposition médiatique pour très peu de boxeurs - très peu de gains et d’exposition médiatique pour beaucoup de boxeur -. Tout autant que la passion pour l’activité, c’est l’idée de « devenir un homme » et de pouvoir « tenter sa chance » qui anime le boxeur. Il trouve dans l’activité le moyen de s’extraire de ses conditions sociales d’origine. Au final, ce travail discute l’idée du boxeur comme travailleur et permet de mesurer la complexité du débat qui oppose souvent amateurisme et professionnalisme en sport. Car si le sportif de haut niveau est un travailleur au même titre que le sportif professionnel, alors il est également en droit de revendiquer des protections qui pourrait aller bien au-delà des avantages procurés par son statut de SHN.

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