Les jeux de paume et de raquette sont généralement considérés comme une “famille” spécifique au sein des jeux sportifs. Apparenter notamment le tennis au jeu de paume, mais aussi au tennis de table, le rapprocher du badminton, du squash, voire de la pelote basque relève presque du lieu commun. S’attachant justement à montrer un lien historique entre le jeu de paume et le tennis, G. Bonhomme (1991) résume bien cette tendance pour un tel regroupement lorsqu’il énonce, au dos de son ouvrage : « Les jeux de raquette : une lignée ininterrompue depuis le XVIème siècle. L’ancêtre commun : la paume, née en France, jouée d’abord à main nue puis avec des raquettes dès la Renaissance. Toutes sortes de variantes : en salle ou à l’extérieur, avec des battoirs ou des raquettes, avec une corde ou un filet... Une foule de cousins : le volant, ancêtre du badminton ; le rackets et le fives, ancêtres du squash ; le lawn-tennis, ou tennis sur gazon, inventé par un militaire anglais au siècle dernier ». “Lignée”, “ancêtre”, “cousins”, “variantes” : autant de termes qui suggèrent un lien de parenté entre toutes ces pratiques et qui évoquent forcément un cheminement à travers le temps. En outre, associés à d’autres vocables relatifs à la manière de frapper la balle (“main nue”, “raquette”), au matériel utilisé pour séparer deux camps (“corde”, “filet”), au type d’espace de jeu (“salle”, “extérieur”) ou encore à la propension à créer une activité nouvelle (“inventé”), ces termes renvoient manifestement aux règles du jeu, à leur invention, à leur évolution et à leur transmission. Pour mettre en lumière la spécificité de cette “famille”, notre étude s’appuie sur un corpus de 217 jeux sportifs, parmi lesquels des pratiques institutionnelles d’envergure mondiale (dont les plus connus sont bien sûr le tennis, le tennis de table, le badminton et le squash), d’autres limitées à une région, des pratiques traditionnelles dénuées d’instance fédérale ou encore des activités non réglementées. La recherche de liens de parenté, qui doit tenir compte à la fois d’une dynamique évolutive et des caractéristiques identitaires, nécessite une double approche diachronique et synchronique.

1/ La diachronie : le fil conducteur et l’hétérogénéité des indices

Considérant l’objet d’étude du point de vue de son évolution à travers le temps, la perspective diachronique permet de situer celui-ci dans son contexte socio-historique en vue de trouver les facteurs déterminants des changements. En l’occurrence, « [les jeux] se prêtent bien à l’adoption d’une perspective diachronique visant à retracer les transformations sociales et culturelles » précisent le sociologue J. Guibert et l’historien G. Jumel (2002, p. 49), montrant que « la socio-histoire doit tenir compte des métamorphoses du jeu, non seulement techniques mais également sociales et culturelles » (p. 53). Une importante recherche bibliographique (notamment d’ouvrages anciens), la consultation d’archives et de règlements fédéraux de périodes successives constituent l’essentiel de la méthodologie dans une telle approche.

Un fil conducteur s’étalant du Moyen Âge à nos jours. Si aucune trace historique sérieuse ne permet d’affirmer l’existence d’un lien de parenté entre les jeux de balle de l’Antiquité et la paume médiévale, il se dessine clairement, en revanche, un fil conducteur partant de cette dernière et aboutissant aux divers jeux de paume et de raquette qui sont encore à l’honneur aujourd’hui. Comme le rappelle l’historien J.-M. Mehl (1990), les indices les plus lointains semblent remonter à la dernière décennie du XIIIème siècle, sous la forme d’un manuscrit de Saint-Omer faisant état d’une interdiction de « roteir d’etuef dedens les murs de la vile » et portant en marge la mention « juer a la palme ». À la fin du Moyen Âge, deux principales modalités de jeu de paume avaient cours. La paume paysanne était une version exercée par les gens de la campagne dans de vastes prairies, à l’aide d’une balle que se renvoyaient deux équipes se faisant face et composées de plusieurs joueurs (probablement entre quatre et huit). Une variante se jouait avec un ballon que frappaient les joueurs à l’aide d’une sorte de brassard de bois : la paume au ballon, ancêtre du ballon au poing. La paume au toit était quant à elle une version à laquelle s’adonnaient les gens des villes dans les rues ou les cours, et dont les éléments extérieurs pouvaient faire partie intégrante du jeu pour faire ricocher la balle (toits des galeries, murs, etc.). L’espace limité de ce jeu de paume citadin impliquait un nombre réduit de joueurs (un ou deux par équipes). À partir de ces deux modalités se sont succédées de nombreuses pratiques. La paume au toit est à l’origine de l’apparition de la courte paume, jouée entre quatre murs et perpétuant en salle le principe du rebond sur le toit des galeries et les murs (R. Morgan, 1995). Pratiquée par l’aristocratie et la haute bourgeoisie, ce jeu de paume en salle donnait lieu à d’importants paris et les objets d’enjeux étaient exposés au vu du public, ce qui correspondait parfaitement au caractère ostentatoire de ce jeu sportif. D’ailleurs, N. Elias (1974) montre également l’occasion qu’offrait la paume à la noblesse de l’époque de signaler son rang par de flagrants signes extérieurs. Le bannissement de la violence au profit d’une élégance et d’un raffinement propres à cette époque (N. Elias, 1939), explique la séparation matérielle des deux camps adverses, d’abord par une corde puis par un filet. L’impact des règles sociales est donc visible à travers les règles du jeu. La paume paysanne est pour sa part à l’origine de nombreuses variantes régionales, voire villageoises, et dont le berceau semble se situer dans la région franco-flamande (H. Gillmeister, 1995). Elles étaient pratiquées tant en France (paume au battoir, paume au tamis, etc.) que dans le nord de l’Europe (kaetspel, pärkspel, etc.) ou encore en Espagne (joc de pilota), et qui sont elles-mêmes à l’origine de la longue paume picarde, du kaatsen hollandais, du pärk götlandais ou du llargues levantin, sans oublier les jeux de paume basques apparus dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. De même, la paume au ballon médiévale, qui se distinguait de la paume paysanne essentiellement par la grosseur du projectile nécessitant l’usage d’un manchon de bois, est-elle à l’origine du ballon au brassard des italiens et du ballon au poing des picards. Quelques traités relatifs aux règles et aux techniques de jeu de paume ont vu le jour à partir de la Renaissance, parmi lesquels le plus célèbre reste celui d’A. Scaino, Trattato del giuoco della palla, écrit à Venise en 1555. Cela dit, dans les campagnes, la transmission des règles s’opérait essentiellement par tradition orale. La fracture entre le jeu de paume de la noblesse et celui de la paysannerie est également visible à travers le type de matériel utilisé. Tandis que les nobles citadins avaient les moyens de se faire fabriquer des battoirs, puis des raquettes cordées, ainsi qu’une qualité d’éteuf supérieure, les vilains se contentaient, quant à eux, de balles plus dures qu’ils frappaient à la main. Avec la naissance du sport au XIXème siècle, l’accent a nettement été mis sur la codification d’un certain nombre de pratiques par des instances officielles (associations, comités) gérant à la fois les règles du jeu et les compétitions. De nouvelles activités issues du jeu de paume sont apparues dans l’Angleterre victorienne, très rapidement mises sous la tutelle d’une fédération spécifique. Ainsi, le lawn-tennis, qui fut inventé dans le but de simplifier les règles de la courte paume jugées trop compliquées, s’est imposé au terme de diverses étapes entamées, selon une version communément admise, en 1874 avec un prototype éphémère appelé sphairistikè par le major W.C. Wingfield. En réalité, il semble que le processus ait débuté dès les années 1850, avec l’élaboration de divers prototypes de jeu de paume sur gazon, notamment celui imaginé par le major H. Gem, beaucoup plus proches, spatialement, du tennis tel qu’il s’est développé à la fin des années 1870 que du sphairistikè de Wingfield. À partir de 1875 se sont succédées plusieurs phases déterminantes pour la géométrie du terrain de jeu ; les dernières modifications, relatives à la hauteur du filet, ont été apportées en 1882. Le tennis est incontestablement le plus médiatique des jeux de paume et de raquette ; il a en effet connu une croissance extraordinaire dans les années 1970-80, même si cette dernière fut suivie d’une crise dans les années 1990 (A.-M. Waser, 1995). Il compte comme descendants le tennis de salon (1880), devenu tennis de table en 1901, mais également d’autres pratiques moins connues comme le padder-tennis en Grèce (1918), le paddle tennis (1924) et le platform tennis (1928) aux Etats-Unis, le padel au Mexique (1970), ou encore le halfcourt en Australie (1970) et le fun-ball en Allemagne (1996). La seconde moitié du XIXème siècle a également vu l’apparition du squash joué entre quatre murs (1864), lui aussi issu de la courte paume par le biais du fives et du rackets, deux jeux de balle exercés contre les murs des écoles ou des prisons anglaises. Le squash est notamment à l’origine de l’apparition aux Etats-Unis du paddleball (1930) puis du racquetball (1969). Quant au badminton (1871), il est vraisemblablement le descendant des jeux de volant pratiqués en France depuis le XVème siècle et très à l’honneur outre-manche à partir du XVIIIème siècle sous le nom de battledore and shuttlecock. Toutefois, comme le rappelle B. During (1984), si la fin du XIXème siècle a consacré la montée des sports d’origine anglaise, il est important de ne pas occulter la persistance des jeux dans la société rurale ou même citadine. Ainsi, de nombreuses activités villageoises issues des jeux de paume de plein air ont longtemps perduré sous une forme traditionnelle. Des pratiques exercées en Picardie, dans le Nord, dans le Languedoc, dans le Hainault (Belgique), en Frise (Pays-Bas), sur l’île de Götland (Suède), dans le Levant (Espagne), en Lombardie, dans le Piémont et en Toscane (Italie) ou encore sur l’île de Lanzarote (Canaries) continuent d’être à l’honneur dans ces régions très ciblées, sans toutefois être parvenues à atteindre un statut mondial. Le cas de la pelote basque est quelque peu différent puisque cet ensemble de spécialités très ancrées dans la tradition euskarienne se pratique au niveau international dans le cadre de championnats du monde. Exemple patent de la transformation d’un jeu traditionnel en sport moderne, la pelote basque s’est notamment développée grâce à « une forte expression de l’esprit de communauté, un transnationalisme culturel » (J.-P. Callède, 1993).

Une hétérogénéité des indices. La mise au jour d’un véritable fil conducteur historique par l’approche diachronique conforte l’intention d’établir les filiations des pratiques étudiées, démarche que plusieurs auteurs ont entrepris depuis la fin du XIXème siècle. À titre d’exemples, le folkloriste F. Dillaye (1888, p. 2) s’était déjà donné pour tâche de « renouer à travers les siècles la filiation des divers jeux » afin de mettre en relief leur parenté. J. Desees (1967), au terme d’une étude ayant reconstitué historiquement et techniquement les évolutions des jeux de balle en Belgique, invitait à poursuivre son ébauche. Citons encore M. Rouquette (1986), écrivain occitan et spécialiste de l’histoire et des techniques du jeu de balle au tambourin, qui a tenté une mise à plat des lignages concernant l’ensemble des pratiques qu’il estime apparentées à cette activité du Languedoc. Essayer d’échafauder des filiations sous la forme de schémas arborescents paraît donc utile pour clarifier les rapports historiques des jeux de paume et de raquette. Toutefois, dans cette schématisation, la diachronie ne permet pas de rendre compte de toute la quintessence du phénomène évolutif. En effet, bien qu’elle autorise une analyse en profondeur des aspects contextuels de l’objet d’étude à travers le temps (sociaux, politiques, etc.), elle offre une foule d’informations qu’il n’est pas toujours facile de trier pour en extraire les indices de transmission d’un jeu sportif à un autre. En l’occurrence, cette perspective longitudinale nous informe généralement que le rapport d’ascendant à descendant entretenu par certaines pratiques est dû à des facteurs réglementaires, mais aussi parfois à des indices totalement externes à la règle ; cela n’est pas sans favoriser une certaine confusion dans l’optique de comparer ce qui est comparable. Des incohérences ne manquent pas d’apparaître si ces indices de transmissions entre pratiques ne sont pas homogènes. Par exemple, il est patent que le tennis est issu de la courte paume dont il a hérité une partie de son patrimoine réglementaire et qu’il est l’ancêtre du tennis de table auquel il a transmis une parcelle du sien. Mais que dire d’un sport comme le speed-ball, né en Égypte en 1965 ? L’analyse diachronique nous inciterait à placer celui-ci dans la lignée du tennis dans la mesure où toutes les données historiques concernant ses origines le relient systématiquement au plus médiatique des sports de raquette, mentionnant qu’il fut inventé par un ancien joueur de tennis. Pour autant, l’aspect réglementaire du speed-ball semble bien plus tenir du spirobole, un jeu sportif traditionnel remontant au XVIIIème siècle, que du tennis lui-même (présence d’un mât central auquel est attachée une balle par un élastique et que doivent frapper deux joueurs se tenant face à face, décompte en points directs et non par jeux de quatre “quinze”, etc.). Que penser également du frontenis, la plus récente spécialité de pelote basque inventée au Mexique en 1970 ? Sous l’angle de la diachronie, cette pratique a certes été clairement intégrée par l’institution au groupe de la pelote basque, au grand désarroi de certains puristes qui lui reprochent de ne pas symboliser les valeurs de la culture euskarienne. Néanmoins, de troublantes similitudes réglementaires avec une pratique américaine issue du squash dans les années 1890, le squash-tennis, ne manquent pas d’interroger. S’agit-il d’une simple coïncidence due à la présence, dans les deux cas, d’éléments propres au tennis (comme l’usage d’une raquette de tennis au cordage renforcé) ? Il se pourrait ainsi que le frontenis ait au moins autant d’adéquation avec les lignées du tennis ou du squash qu’avec celle de la pelote basque. Que dire enfin du volley-ball, inventé en 1895 par W. Morgan ? L’histoire officielle souligne que ce professeur d’éducation physique américain et directeur de l’Y.M.C.A. se serait inspiré du tennis et du basket-ball. Pourtant, une autre thèse, fort méconnue, avance que cet inventeur aurait bien davantage puisé son imagination dans les règles du faustball, version allemande du ballon au poing apparue dans les années 1870 et dont la règle autorise notamment les passes entre partenaires. Ainsi, bien que la diachronie permette d’aboutir globalement à des filiations intéressantes, elle dévoile néanmoins un certain nombre d’incohérences, d’incertitudes dues à une hétérogénéité des indices de transmission. Le chercheur doit en effet composer avec les indications disparates fournies par les traces laissées dans l’histoire, mais aussi avec leurs incomplétudes et leurs contradictions. Pour faire le tri des indices au sein d’une richesse inorganisée d’informations offertes par la perspective diachronique, il semble indispensable de cibler un critère unique de facteurs déterminants : un critère inhérent à la règle du jeu. L’existence de liens de parenté au sein des jeux de paume et de raquette se basera alors sur le fait que les pratiques transmettent à leurs descendants une part de leur héritage réglementaire (ce qui, de fait, exclut les activités non réglementées comme le jeu de volant, le beach-ball et autres jeux de raquette de plage par exemple). C’est cette fois une perspective synchronique qui va tenter de passer au filtre l’hétérogénéité de la diachronie pour une mise en lumière des traits de caractères des pratiques, c’est-à-dire de leur identité.

2/ La synchronie : la structure des jeux et l’homogénéité des traits de caractères

La perspective synchronique, qui envisage l’objet d’étude à un moment donné de l’histoire indépendamment de toute évolution dans le temps, permet de dévoiler sa structure en s’attachant à examiner les éléments qui le caractérisent. Elle conduit en somme à une identification des pratiques. « Sans une telle identification, appuyée sur des traits ludomoteurs précis, les études portant sur l’héritage, la transmission et la filiation ludiques, courraient le risque de s’attarder sur des phénomènes extérieurs au jeu proprement dit, et risqueraient d’être bâties sur du sable. Comment évaluer un héritage et une diffusion quand on ne sait pas reconnaître ce qui doit être hérité et diffusé ? » (P. Parlebas, 2003, p. 15). Il s’agit donc d’appréhender les jeux sportifs de manière structurale, en analysant les différents traits de caractères séparément. S’ils sont bien inhérents à la règle, ces traits ne se limitent cependant pas à l’expression basique de cette dernière. Les dimensions du terrain, le type de matériel, le temps de jeu ou encore le nombre de joueurs par équipes, imposés par le règlement, constituent certes les données préliminaires essentielles au déroulement de l’action motrice. Mais à travers la connaissance approfondie de ces données descriptives, ce qui compte avant tout c’est de comprendre l’interaction entre le joueur (acteur du jeu) et les différents éléments de son système de jeu, c’est-à-dire les traits de logique interne. À cet égard, nous avons recours aux concepts de la praxéologie motrice de P. Parlebas, qui s’appuient sur l’articulation entre la rationalité de l’acteur et la contrainte du système, tout comme les travaux de M. Crozier et E. Friedberg (1977) en sociologie des organisations. Sur le plan méthodologique, cette approche synchronique nécessite que la consultation des règlements officiels conçus par les fédérations s’accompagne, autant que possible, d’une observation sur le terrain (voire d’une observation participante) afin de s’imprégner au mieux de la logique interne de chaque jeu sportif étudié. L’identification des pratiques repose sur quatre grands ensembles catégoriels composés des éléments propres au système des joueurs : le rapport à autrui, le rapport à l’espace, le rapport au temps et le rapport au matériel. Ces ensembles sont en outre portés par les universaux du jeu, modèles opératoires représentant les structures de base du fonctionnement de tout jeu sportif (P. Parlebas, 1986) : communication et contre-communication motrices, système des scores, rôles et sous-rôles sociomoteurs, etc. Si par définition la synchronie ne situe pas les éléments examinés dans un processus évolutif, il convient en revanche de chercher à percevoir la signification sociale et/ou culturelle des caractéristiques ludosportives observées. Ainsi peut-on établir un lien entre la symétrie du duel (nombre de joueurs égal dans chaque équipe) et une recherche d’égalité des chances. Cet égalitarisme est aussi perceptible à travers la symétrie spatiale (camps strictement identiques) dans des sports comme le tennis, le badminton ou encore le tennis de table. De même existe-t-il un rapport entre la distance d’affrontement moteur, la présence éventuelle d’une frontière médiane, et le degré de dangerosité, sachant par exemple que la société actuelle tend à gommer la notion de violence au sein des règles sportives. L’analyse structurale nous permet d’aboutir à l’élaboration de typologies des traits de logique interne sous formes de tableaux, et dont voici quelques grandes lignes agrémentées d’exemples de jeux de paume et de raquette correspondants.

Typologies relatives au rapport à autrui
-   Les duels d’individus (simples) : tennis, tennis de table, badminton, squash, courte paume, etc.
-   Les duels de paires (doubles) : tennis, tennis de table, badminton, courte paume, beach-volley, etc.
-   Les duels d’équipes de plus de deux joueurs : 3 x 3 (grand chistera, longue paume), 4 x 4 (longue paume), 5 x 5 (longue paume, ballon au poing, rebot), 6 x 6 (longue paume, volley-ball), 7 x 7 (balle à la main).
-   Les pratiques d’opposition jouées avec passes entre partenaires : volley-ball, faustball, cogne bolet, indiaca, etc.
-   Les pratiques de coopération : beach-ball, jeu de volant, etc.
-   Les pratiques à réseau stable 1-exclusif (psychomotrices) : speed-ball en super-solo, tenis mosca, yoball, etc.
-   Les pratiques à réseau stable 2-exclusif : la quasi-totalité des jeux de paume et de raquette.
-   Les pratiques à réseau stable 3-exclusif : paddleball (version “coupe-gorge”).

Typologies relatives au rapport à l’espace
-   Les pratiques de face à face avec trajectoires franches du projectile (non médiées par un mur) : tennis, tennis de table, badminton, etc.
-   Les pratiques de face à face avec trajectoires franches du projectile médiées par un mur : courte paume, paddle tennis, padel, platform tennis, pasaka, etc.
-   Les pratiques de face à face avec principe des chasses : courte paume, longue paume, balle à la main, balle pelote, pelota mixteca, etc.
-   Les pratiques de face à face avec frontière médiane matérielle (filet, corde) : badminton, tennis, volley-ball, etc.
-   Les pratiques de face à face avec frontière médiane virtuelle : balle à la main, longue paume, ballon au poing, etc.
-   Les pratiques de face à face avec camps symétriques : tennis, tennis de table, badminton, volley-ball, etc.
-   Les pratiques de face à face avec camps dissymétriques : courte paume, pasaka, rebot, pärk, etc.
-   Les pratiques de face à face avec sous-espaces différenciés : tennis, badminton, padel, etc.
-   Les pratiques de côte à côte avec un seul mur frontal : pelote basque à main nue en “fronton place libre”, balle au fronton wallonne, etc.
-   Les pratiques de côte à côte avec plusieurs murs : squash, rackets, fives, handball irlandais, pelote basque à main nue en trinquet, etc.
-   Les pratiques de côte à côte avec sous-espaces différenciés : squash, racquetball, rackets, etc.
-   Les pratiques de côte à côte sans murs (médiation par élastique) : jokari.
-   Les pratiques avec surface de jeu surélevées : tennis de table, squash de table, etc.

Typologies relatives au rapport au temps et au système des scores
-   Les pratiques à score limite avec jeux de quatre “quinze” : tennis, courte paume, longue paume, balle à la main, rebot, etc.
-   Les pratiques à score limite sans jeux de quatre “quinze” (points directs) : tennis de table, badminton, squash, volley-ball, etc.
-   Les pratiques avec principe de la marque au serveur (seul le serveur marque au score) : fives, rackets, racquetball, paddleball, squash (avant 2005), badminton (avant 2006), volley-ball (avant 2000), pétéca, etc.
-   Les pratiques en temps limite : faustball, aéro-ball (en jeu au but), ring-tennis, etc.

Typologies relatives au rapport au matériel
-   Les pratiques jouées à mains nues ou gantées : balle à la main, pelote basque à main nue, handball irlandais, fives, pétéca, etc.
-   Les pratiques jouées avec une raquette cordée : tennis, badminton, courte paume, longue paume, squash, squash-tennis, frontenis, etc.
-   Les pratiques jouées avec battoir, palette ou tambourin : paume au battoir, jeu de balle au tambourin, pala corta, pala larga, pala ancha, etc.
-   Les pratiques jouées avec un chistera : cesta punta, grand chistera, joko garbi, remonte, etc.
-   Les pratiques jouées avec un petit gant rigide : balle au gant, balle au tamis, pasaka, etc.
-   Les pratiques jouées avec un brassard : ballon au brassard italien.
-   Les pratiques jouées avec une balle : tennis, tennis de table, squash, balle à la main, toutes les spécialités de pelote basque, etc.
-   Les pratiques jouées avec un ballon : ballon au poing, ballon au brassard italien, faustball, volley-ball, beach-volley, etc.
-   Les pratiques jouées avec un volant : jeu de volant, badminton, pétéca, indiaca, beachminton, etc.
-   Les pratiques jouées avec un bolet (ou “balle à queue”) : cogne bolet, tailball-tennis.
-   Les pratiques jouées avec un anneau : deck-tennis, ring-tennis.
-   Les pratiques jouées avec butoir, tamis ou pierre plate pour engager : balle au tamis, pelotamano, rebot, galotxes de Monover, etc.

L’analyse structurale, ainsi que les typologies ici présentées (dont chacune regroupe les jeux sportifs ayant en commun le trait de caractère propre à la catégorie considérée), permettent de confirmer de façon précise certaines incohérences évoquées plus haut à l’issue de la perspective diachronique. Par exemple, il est patent que le speed-ball et le tennis, proches selon les critères retenus par la diachronie, le sont beaucoup moins du point de vue de la logique interne. Le speed-ball a bien plus en commun avec le spirobole, même si certains aspects de l’action motrice diffèrent. À l’inverse, le frontenis et le squash-tennis, que la diachronie n’a pas rapprochés, montrent de grandes similitudes, surtout en ce qui concerne l’épreuve de double pour le squash-tennis (car le frontenis se pratique toujours par équipes de deux joueurs). En ce qui concerne enfin l’origine du volley-ball, il serait certes bien hâtif d’opter dès à présent pour une version au détriment de l’autre. Néanmoins, l’examen de la structure de ce sport autorise à prendre très au sérieux la thèse d’un lien de parenté avec le faustball, les points communs entre traits de logique interne étant là aussi assez frappants, tant dans le rapport à l’espace que dans le rapport à autrui ou encore au matériel. De telles similitudes tiennent-elles de simples coïncidences ? Il se pourrait en effet, par le jeu des probabilités, que certaines pratiques présentent des ressemblances étonnantes sans pour autant posséder une ascendance commune. Leurs règles auraient alors été imaginées indépendamment, de façon parallèle. Mais il est possible également que ces similitudes soient le signe éventuel de liens de parenté laissés dans l’ombre par l’hétérogénéité de l’approche diachronique ou par l’absence de traces historiques fiables. Les règles auraient cette fois été inspirées par les caractéristiques de pratiques plus anciennes, témoignant d’un processus de transmission plus ou moins importante du patrimoine réglementaire. L’on perçoit derrière ces deux possibilités la question anthropologique du parallélisme et du diffusionnisme, d’autant plus justifiée lorsqu’il s’agit de comparer des jeux sportifs de peuples éloignés. L’existence de certaines pratiques actuellement exercées au Mexique dans les provinces du Sinaloa et de Oaxaca (l’ulama et la pelota mixteca) s’inscrivent manifestement dans ce débat. Survivances de jeux de pelote précolombiens comme le tlachtli des Aztèques, leur patrimoine réglementaire comporte des traits caractéristiques de jeux de paume européens, laissant à penser, avec H. Gillmeister, qu’un mixage a pu s’opérer. L’approche synchronique débouche ainsi sur des interrogations qui se placent en plein cœur de la notion d’évolution. Dans un objectif d’élaboration de filiations, l’homogénéité révélée par la synchronie à travers l’identification des pratiques se doit d’être fusionnée avec la dimension temporelle qu’apporte la diachronie. Car ce n’est qu’en replaçant les traits de caractères dans une dynamique évolutive que les liens de parenté pourront prendre tout leur sens. Pour ce faire, il semble qu’une troisième étape soit nécessaire.

3/ Vers une diachronie des synchronies : quels apports des sciences de l’évolution ?

Après avoir situé l’objet d’étude dans son contexte socio-historique afin de recueillir un maximum d’indices favorables à la compréhension du fil conducteur reliant les pratiques, nous avons donc procédé à son identification par une analyse structurale de leur logique interne, dans le but de filtrer l’hétérogénéité de ces mêmes indices. Pour tenter de mettre au jour des filiations plus fiables, il convient désormais de suivre une perspective qui permette de cibler de façon pertinente l’interrelation entre les traits de caractères des jeux de paume et de raquette et leur aspect chronologique. Or cette interrelation ne peut s’appréhender qu’en portant l’analyse sur le point de passage d’un état de caractères à un autre, d’une synchronie à une autre synchronie ; car c’est ce point précis qui correspond à la transmission d’une part de l’héritage réglementaire entre jeux sportifs. Sous cet angle, la science de l’évolution des espèces pourrait représenter un modèle intéressant puisque c’est justement en combinant les traits de caractères biologiques avec une logique évolutive d’ancêtres à descendants que les systématiciens parviennent à mettre en forme des schémas arborescents très efficients. C. Lévi-Strauss (1958, p. 12) souligne d’ailleurs ce rapprochement lorsqu’il énonce : « On cherchera donc à découper les cultures en éléments isolables par abstraction, et à établir, non plus entre les cultures elles-mêmes, mais entre éléments de même type au sein de cultures différentes, ces relations de filiation et de différenciation progressive que le paléontologiste découvre dans l’évolution des espèces vivantes ». Aussi, l’exploration d’outils conceptuels propres à la paléontologie en général, et à la systématique en particulier, entre-t-elle dans le cadre de nos travaux actuels dans une optique analogique. La systématique, « science qui étudie les relations entre les espèces (actuelles et fossiles) dans leurs dimensions temporelle et spatiale » (P. Tassy, 2000, pp. 150-151), permet donc d’établir des liens de filiations entre espèces en classifiant des traits de caractères génétiques sur une échelle temporelle. Sa démarche paraît à cet égard tout à fait appropriée à l’approche qu’il convient de mettre en place pour harmoniser diachronie et synchronie dans le sens recherché. Deux courants nous intéressent singulièrement : la cladistique (ou cladisme) et la phénétique (ou taxinomie numérique). Fondée par le zoologiste et entomologiste W. Hennig en 1950, la cladistique est un « mode de classification (...) basé sur une recherche de relations de parenté à l’aide d’états de caractères dérivés, ou synapomorphies » (H. Le Guyader, 2003). Surtout développée à partir des années 1970, c’est elle qui a notamment permis d’établir des liens de parenté, auparavant insoupçonnés, entre les oiseaux et les dinosaures. Pour sa part, la phénétique, qui est beaucoup plus ancienne puisqu’elle remonte au XVIIIème siècle avec le botaniste M. Adanson, ne retient pas uniquement les homologies dérivées mais prend en compte toutes les similitudes observées : non seulement les synapomorphies mais aussi les symplésiomorphies, c’est-à-dire les partages ancestraux de caractères par plusieurs organismes. Bien entendu, la constatation de similitudes de traits de logiques internes entre pratiques apparemment sans rapports établis par l’analyse socio-historique ne pourra pas conduire à la conclusion formelle d’un lien de parenté. Toutefois, le recours à l’approche systématique, par le biais de ses outils conceptuels, devrait permettre d’attirer l’attention sur l’éventualité d’une relation filiative entre certaines pratiques que la perspective diachronique n’avait pu rapprocher. En outre, il est impératif d’observer la plus grande prudence dans toute tentative pour comparer les processus biologiques et les processus culturels. Car l’objectif n’est pas ici de prôner un monisme épistémologique, c’est-à-dire la conception selon laquelle ce sont les mêmes lois qui régissent les sciences de la nature et les sciences sociales. Il s’agit simplement de porter un regard sur différents concepts fondamentaux de la science de l’évolution et de chercher d’éventuels rapports métaphoriques avec le domaine des jeux sportifs, en vue de repérer une pertinence dans le phénomène de transmission entre pratiques (dans le passage d’une synchronie à une autre). Quels types de rapprochements pourraient être envisageables ? Opérons un survol conceptuel et analogique.
-  La spéciation désigne la naissance d’une espèce nouvelle à partir d’une espèce ancestrale. Ce mécanisme n’est pas sans faire penser à l’émergence de pratiques sportives filles à partir de pratiques mères, même s’il ne faut surtout pas perdre de vu qu’une activité ludosportive peut naître de rien, spontanément (ce qui n’est pas le cas des espèces vivantes). Les cas ne manquent pas au sein des jeux de paume et de raquette où l’on pourrait relever le signe du passage d’un état initial à un état “dérivé” (ou “transformé”), pour reprendre les termes employés par les paléontologues à travers les notions d’apomorphie et d’autapomorphie.
-  L’apomorphie, ou état transformé d’un caractère, correspond à 1 dans une transformation notée 0→1 (0 étant l’état initial appelé “plésiomorphie”). Peut-être serait-il intéressant de prendre modèle sur cette notion, en considérant par exemple le passage de l’espace dissymétrique symptomatique de la courte paume à l’espace totalement symétrique du tennis (camps égaux) comme la manifestation d’un processus comparable où la dissymétrie spatiale correspondrait à l’état initial (0) et la symétrie à l’état transformé (1).
-  L’autapomorphie est une notion exclusivement considérée par les tenants de la cladistique. Elle correspond à « un état de caractère dérivé particulier, caractéristique d’un groupe » (H. Le Guyader, 2003, p. 119). Dans le domaine des jeux de paume et de raquette, certains traits de logique interne dérivés ne se rencontrent que dans un groupe particulier de pratiques. À titre d’exemple, le caractère surélevé de la surface de jeu (la table), est une particularité du tennis de table, du squash de table, etc. ; l’usage d’un instrument d’envoi incurvé en osier (le chistera) est également une particularité, propre cette fois à quelques spécialités de pelote basque comme la cesta punta, le grand chistera ou encore le joko garbi.
-  L’homologie, « partage d’un même caractère par différentes espèces en raison d’une ascendance commune » (P. Tassy, 1991, p. 314), se divise en homologie ancestrale (ou symplésiomorphie) et homologie dérivée (ou synapomorphie). La symplésiomorphie, similitude due au partage d’un état ancestral de caractère, n’est jamais prise en compte par les cladistes pour l’élaboration d’un arbre phylogénétique, la réunion d’espèces partageant des caractères ancestraux n’étant pas pour eux la preuve d’une proche parenté. En revanche, les phénéticiens lui accordent une importance notable pour leur taxinomie numérique, et certaines correspondances avec notre thème ludosportif valent d’être relevées. Le système des scores basé sur un comptage par jeux de quatre “quinze” peut par exemple être considéré comme une caractéristique ancestrale des jeux de paume médiévaux que ce sont partagés, et se partagent encore, nombre de leurs descendants : tennis, courte paume, jeux de balle picards, pelote valencienne, balle pelote, kaatsen, etc. Il en va de même pour le principe des chasses, un système complexe de gagne-terrain que se partagent toujours de nombreux jeux de paume régionaux jouées en plein air (balle à la main, longue paume, balle au tamis, ballon au poing, llargues, palla elastica, pelota mixteca, etc.), mais aussi la courte paume en salle. La synapomorphie, similitude due au partage d’un état dérivé de caractère, est la seule homologie répertoriée par la méthode cladistique pour constituer des groupes monophylétiques (groupes qui incluent les descendants d’une espèce ancestrale). Cette fois, c’est le système des scores basé sur un comptage direct (sans jeux de quatre “quinze”) qui pourrait être pris comme l’équivalent d’un état de caractère dérivé qu’ont en commun des pratiques comme le fives, le rackets, le squash, le racquetball, mais aussi le tennis de table ou le volley-ball. Cet état de caractère dérivé qu’ils partagent est apparu au sein du fives au cours du XIXème siècle, rompant avec le système orthodoxe basé sur les jeux de quatre “quinze”. Il est particulièrement intéressant de souligner que ces pratiques figurent, selon les schémas de filiations proposés par la perspective diachronique, dans une même lignée remontant à la courte paume et son ancêtre la paume au toit. Le partage d’un trait de caractère dérivé comme celui-ci pourrait confirmer le lien de parenté et conduire à considérer ces activités comme formant l’équivalent d’un groupe monophylétique.
-  L’homoplasie, « caractère, ou état de caractère, présent chez différentes espèces, mais non héritées d’une espèce ancestrale propre » (P. Tassy, 2000, p. 148), est souvent qualifiée de fausse similitude. Là encore, deux cas distincts peuvent se présenter : l’homoplasie par convergence, qui correspond à une ressemblance apparue indépendamment, et l’homoplasie par réversion, qui traduit le retour à un état antérieur (c’est-à-dire le mécanisme inverse de l’apomorphie, noté cette fois 0←1, 0 étant toujours l’état ancestral et 1 l’état dérivé). Le débat évoqué antérieurement au sujet d’un lien de parenté ou non entre le frontenis et le squash-tennis, mais aussi entre le speed-ball et le spirobole, semble par exemple se situer en plein cœur de cette notion. Si les similitudes respectives sont le fruit de pures coïncidences, alors nous serions en présence d’un processus analogue à une homoplasie par convergence (dans le cas contraire, le processus serait comparable à une homologie). En ce qui concerne l’homoplasie par réversion, un exemple intéressant semble aussi concorder avec un tel mécanisme. Le “one wall handball”, variante du handball irlandais à “quatre murs découverts” apparue en 1909, se joue, comme son nom l’indique, contre un seul mur. Or, ce trait de logique interne relatif au rapport à l’espace caractérisait le handball irlandais ancestral tel qu’il fut pratiqué entre 1527 et 1880.
-  Les groupes frères sont des groupes monophylétiques (ou clades) issus d’une pratique ancestrale commune. Le genre Homo, comprenant l’homme, et le genre Pan, incluant le chimpanzé, sont par exemple des groupes frères, ce qui ne signifie pas que le chimpanzé soit l’ancêtre de l’homme (ni l’inverse), mais qu’ils partagent un ancêtre commun exclusif (P. Tassy, 2000, pp. 96-97). Dans le domaine des jeux de paume et de raquette, comme nous l’avons vu dans la perspective diachronique, des groupes de pratiques ont clairement été repérés. Le groupe comprenant le tennis, le tennis de table, le paddle tennis, le platform tennis, le padel, le padder-tennis, le halfcourt et le fun-ball pourrait être considéré comme l’équivalent d’un clade, dans la mesure où ils sont tous les descendants d’une pratique ancestrale commune : la courte paume. Ce clade peut être nommé “tennis et associés”. Un autre groupe est constitué de jeux sportifs dont l’ancêtre est la courte paume ; il s’agit de l’équivalent d’un clade composé de sports d’opposition médiée liés au fives : eton fives, rugby fives, winchester fives, rackets, squash-racquets, squash-tennis, paddleball et racquetball. Nous appellerons ce clade “wall games” (jeux au mur) conformément à une appellation générique souvent employée dans les pays anglo-saxons pour les désigner. Les ensembles “tennis et associés” et “wall games” constitueraient ainsi, si l’on s’appuie sur le modèle de la paléontologie, des “groupes frères” qui ont pour ancêtres communs la courte paume et, de façon plus lointaine encore, la paume au toit. À travers cette visée analogique, il ne s’agit pas de tirer de conclusions prématurées, ni de prendre parti d’emblée pour la cladistique ou la phénétique. Cette exploration conceptuelle n’en est encore qu’à ses balbutiements ; elle sert d’ébauche et mérite d’être approfondie avec toute la prudence nécessaire avant d’envisager une mise en application des outils méthodologique (cladogramme et phénogramme) pour l’élaboration de filiations des jeux sportifs. C’est uniquement si elle s’avère convaincante qu’elle pourra alors s’inscrire dans le champ déjà bien avancé des théories et des modèles qui tentent de relier les sciences de la nature et les sciences sociales, l’évolution biologique et l’évolution culturelle.

Conclusion

La diachronie a certes permis, d’une manière générale, d’aboutir à des filiations intéressantes, concrétisant sous la forme de schémas arborescents le fil conducteur entre jeux de paume et de raquette à travers le temps ; et ce, en concordance avec les typologies de la synchronie basées sur les traits de caractères réglementaires des pratiques. Ce qui témoigne manifestement du fait que les indices de transmission offerts par la perspective diachronique, bien qu’hétérogènes, sont néanmoins majoritairement relatifs à la règle du jeu. Pour autant, cette tendance générale ne doit pas masquer certaines incohérences et incertitudes illustrées par les quelques exemples précédents. Aussi, non seulement la perspective synchronique et l’homogénéité des indices retenus (les traits de logique interne) s’avèrent indispensables pour regarder à la loupe l’identité des pratiques, mais une étape supplémentaire semble en outre nécessaire pour fusionner les deux perspective après avoir filtrer les indices. Pour aboutir à une pertinence filiative des jeux sportifs, il convient de ne pas uniquement envisager la diachronie dans une globalité éclectique (donc hétérogène), ni même comme la simple succession de synchronies homogènes mais figées dans le temps. Il s’agit plutôt de cibler plus précisément le passage d’une synchronie à une autre (c’est-à-dire en somme la diachronie des synchronies) et que le linguiste danois L. Hjelmslev (1935) définit dans sa théorie saussurienne comme une “métachronie”. C’est cette articulation temporelle entre synchronies qui semble précisément coïncider avec la transmission du patrimoine réglementaire d’un jeu sportif ancestral à un descendant direct. Même s’il paraît acquis que cette troisième étape ne pourra pas éclaircir la totalité des zones d’ombre concernant les indices de transmission que la perspective diachronique n’a pu révéler, elle devrait néanmoins permettre au chercheur de porter un regard plus aiguisé sur le phénomène pour bâtir des filiations plus fiables.

Bibliographie

-   Bonhomme G. (1991), De la paume au tennis. Gallimard, coll. « Découvertes », Paris.
-   Callède J.-P. (1993), La pelote basque dans l’espace européen... en faveur d’une utilisation sociologique des notions d’évolution et de diffusion du sport, International Review for the Sociology of Sport (IRSS) n° 28 (2/3), pp. 223-243.
-   Cavalli-Sforza L. (2004), Évolution biologique, évolution culturelle. Odile Jacob, Paris.
-   Crozier M. / Friedberg E. (1977), L’acteur et le système. Seuil, Paris.
-   Desees J. (1967), Les jeux sportifs de pelote-paume en Belgique, du XIVème au XIXème siècle ; aperçus historiques, récits anecdotiques, évolutions. Imprimerie du Centenaire, Bruxelles.
-   During B. (1984), Des jeux aux sports (repères et documents en histoire des activités physiques). Vigot, coll. « Sport + Enseignement », Paris.
-   Elias N. (1939), La civilisation des mœurs. Calmann-Lévy, coll. « Agora », Paris, 1973.
-   Elias N. (1974), La société de cour. Flammarion, coll. « Champs-L’essentiel », Paris.
-   Gillmeister H. (1995), La région franco-flamande : le berceau de nos jeux, in M. Gauquelin, A. Leclercq et J.-M. Silvain, eds., Légendes, mythologies, histoire et imaginaire sportif. Actes des Journées d’Etudes Bernard JEU 19 et 20 novembre 1993, Lille : Centre Lillois de Recherche en Analyse du Sport, Université Charles de Gaulle - Lille III, pp. 81-90.
-   Goldberg J. (1992), Fondements biologiques des sciences humaines ; évolution et complexification des êtres vivants. L’Harmattan, coll. « Logiques Sociales », Paris.
-   Guibert J. / Jumel G. (2002), La socio-histoire. Armand Colin, coll. « Cursus », Paris.
-   Hjelmslev L. (1935), La catégorie des cas ; étude de grammaire générale. Wilhelm Fink Verlag, München, 1972.
-   Le Guyader H. (2003), Classification et évolution. Le pommier, Paris.
-   Lévi-Strauss C. (1958), Anthropologie structurale. Plon, Paris.
-   Mehl J.-M. (1990), Les jeux au royaume de France, du XIIIème au début du XVIème siècle. Fayard, Paris.
-   Morgan R. (1995), Tennis ; the development of the european ball game. Ironbark, Ronaldson Publications, Oxford.
-   Parlebas P. (1986), Éléments de sociologie du sport. P.U.F., Paris.
-   Parlebas P. (2003), Le destin des jeux : héritage et filiation, Socio-Anthropologie n° 13, 1er semestre, pp. 9-25.
-   Rouquette M. (1986), Le livre du tambourin ; un grand sport international en plein essor. C.R.D.P., Montpellier.
-   Tassy P. (1991), L’arbre à remonter le temps. Christian Bourgeois, coll. « Épistémè Essais », Paris.
-   Tassy, P. (2000), Le paléontologue et l’évolution. Le Pommier-Fayard, coll. « Quatre à quatre », Paris.
-   Waser A.-M. (1995), Sociologie du tennis ; genèse d’une crise (1960-1990). L’Harmattan, coll. « Logiques Sociales », Paris.