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Bénévoles et salariés dans le sport associatif : positionnements et identités sociales

Introduction

Bastion historique du bénévolat, le mouvement sportif semble marqué par un processus de professionnalisation constaté au moins au niveau des associations sportives compétitives fédérées (Loirand, 2003) , et au niveau des dirigeants de certaines fédérations sportives (Bernardeau-moreau, 2004) . Pour autant, le sport associatif reste fortement dominé par le bénévolat, « pierre angulaire du sport en France » (Jeu, 1993), et demeure l’un des plus « faible employeur » du secteur de l’économie sociale au regard des critères économiques de l’emploi associatif en France. Dans un contexte où les bénévoles apparaissent comme les détenteurs du pouvoir légitime, piliers d’une tradition sportive et d’une identité associative historiquement constituées, se pose la question du positionnement des acteurs salariés, celle de leur identité et de leurs stratégies.

I. Le développement de l’emploi associatif. Le cas des clubs sportifs.

Basé originellement sur l’engagement bénévole, le secteur associatif est aujourd’hui un secteur d’emploi à part entière. Sans remettre en cause les principes fondateurs de la loi 1901, les associations se sont progressivement développées en intégrant globalement de plus en plus de professionnels, et ce conjointement au développement parallèle du bénévolat. Selon les sources du CEREQ , sur la période 1990-1995, l’emploi rémunéré a augmenté de 23 % dans le secteur associatif alors que l’emploi total ne progressait que de 6 %. Les données extraites du fichier SIRENE, confirment cette tendance en montrant une augmentation de 37 % de l’emploi associatif entre 1990 et 1999. Tout en couvrant un champ vaste et varié, les associations emploient entre 1,3 (fichier SIRENE, 1990) et 1,6 millions de personnes (enquête MATISSE, 1999), soit environ 907 000 emplois équivalent temps plein, ce qui représente près de 5 % de la population active. Sans rentrer dans ces débats méthodologiques, et notamment sur la place des « équivalents temps pleins », l’ensemble de ces travaux souligne la croissance significative de l’emploi dans le monde associatif français traditionnellement marqué par le poids du bénévolat. Confirmant l’intérêt croissant autour des questions relatives à l’emploi associatif, d’autres travaux développent la notion « d’entreprise associative » pour mettre en évidence le rôle économique de ces organisations. A ce titre, dans leurs travaux sur l’emploi associatif, Viviane, Tchernonog , Matthieu Hely ou encore Emmanuelle Marchal considèrent que certaines associations sont aussi des « entreprises »s dans le sens où, dotées d’une force économique, elles emploient des salariés capables de développer des missions de gestion de service. Cet angle d’approche considère que l’association est non seulement un lieu de sociabilité, de participation et d’apprentissage mais également un acteur économique. Sur la base de cette analyse, ces auteurs développent une typologie des « entreprises associatives » qui différencie les modes de gouvernance et de gestion au sein de ces structures.

Même si le développement global de l’emploi associatif confère à ces organisations une dimension économique incontestable, il semble hâtif d’en conclure que ce processus est en train de transformer l’ensemble des associations en de véritables organisations employeurs. Rappelons tout d’abord que sur une estimation de 730 000 associations, 85% d’entre elles fonctionnent toujours uniquement avec des bénévoles, dont le nombre est estimé à 10,4 millions. Notons également que le paysage du salariat associatif est avant tout constitué de structures importantes, anciennes et fortement institutionnalisées, alors que celui du secteur associatif est très majoritairement composé de petites et moyennes structures n’ayant pas les ressources nécessaires pour embaucher un salarié. L’emploi associatif demeure effectivement concentré dans le sens où seules 20 % des structures regroupent 80 % des salariés. L’exemple type de l’association employeur est représenté par les établissements sociaux fortement financés par les pouvoirs publics, comme les organismes de sécurité sociale. Enfin, l’emploi associatif se caractérise globalement par une sur représentation des femmes et des jeunes, par une moindre qualification et valorisation du travail et une plus grande précarité de l’emploi. Pour exemple, en Basse Normandie, 65 % des emplois associatifs sont occupés par les femmes. Les jeunes y sont sur-représentés, surtout dans les associations tournées vers la culture, le sport et le loisir. De plus, les associations ne proposent que 55 % de leurs emplois à temps complet et le salaire net est de 11 % de moins que la rémunération moyenne nette perçue par un salarié bas normand. Les analyses réalisées par l’INSEE sur d’autres régions françaises confirment systématiquement le cas de la Basse-Normandie. Comment se caractérise plus précisément l’emploi dans le secteur associatif sportif ?

Dans les associations sportives : développement de l’emploi mais domination du bénévolat

A l’instar du processus observé dans l’ensemble du secteur associatif, l’emploi a globalement progressé dans les associations sportives. En effet, l’analyse comparative des Recensements Généraux de la Population de 90 et de 99 montre même une progression spectaculaire de +56% de la croissance du volume des emplois sportifs, tous secteurs confondus. Sachant que près de 77% des emplois sportifs du secteur sport (code 92.6 A & C) se situent dans les associations sportives, nous pouvons en déduire que cette progression a majoritairement alimenté le secteur associatif sportif.

Dans ses travaux sur le sport associatif compétitif fédéré, Gildas Loirand confirme le fort niveau d’accroissement que ces emplois ont connu depuis le début des années 80, et tout particulièrement dans le domaine de l’encadrement sportif technique. On est ainsi passé de 16649 employés sportifs comptabilisés dans l’Enquête Emploi de 1982 à 66658 employés sportifs en 1999 : « Tout porte à indiquer que le sport fédéré a apporté une contribution majeure au développement relativement récent des emplois d’éducateurs sportifs (...) notamment sous l’impulsion de la création du statut « d’emplois jeunes » particulièrement profitable, en matière du développement de l’emploi, aux associations sportives ». (Loirand, 2003) L’essor de travaux récents sur l’emploi sportif atteste d’une focalisation croissante sur les débats et enjeux liés à ce domaine. On peut citer les recherches de Denis Bernardeau Moreau (2004) sur la professionnalisation dans les fédérations sportives, observée notamment aux niveaux du tennis et de l’équitation. L’analyse d’une mutation des valeurs militantes et des modes de gestion des dirigeants bénévoles de ces deux fédérations permet à l’auteur de soutenir le passage marqué d’un militantisme sportif associatif traditionnel à un « modèle managérial d’entreprise fondé sur une déontologie professionnelle ».

Peut-on pour autant parler d’un processus de professionnalisation dans le sport associatif qui transformerait les clubs sportifs en organisations prestataires de services marchands ? De nombreux indicateurs montrent au contraire que le développement de l’emploi dans les clubs sportifs reste soumis à de fortes contraintes. En premier lieu, il existe un important décalage entre la forte présence médiatique et symbolique du sport dans l’espace social, et sa réalité en terme d’emploi. En effet, en dépit de son spectaculaire taux de croissance (+56% entre l’espace de 10 ans), le poids de l’emploi sportif dans le volume total de l’emploi demeure très faible . De surcroît, une forte proportion de ces emplois se concentre dans les associations sportives alors que celles-ci restent fortement dominées par un bénévolat qui ne cesse, lui aussi, de croître. Avec ses 1 million de bénévoles pour moins de 80.000 employés, le secteur associatif sportif se caractérise par un forte domination du bénévolat. Seules environ 30% des associations sportives compétitives emploient un ou plusieurs salariés, soient environ 25.575. Le paysage du sport associatif est constitué principalement de structures de petite taille (80% des associations sportives ont moins de 200 membres), majoritairement structurées autour du « travail » bénévole, De surcroît, le salariat demeure fortement atomisé : 80% des clubs employeurs ont moins de 2 salariés et dont 80% des clubs employeurs comprennent moins de 2 salariés. Comme le souligne G Loirand (2003), il existe un décalage entre le nombre de licenciés du secteur associatif compétitif fédéré et le taux d’encadrement salarié ; si la population salariée d’entraîneurs et d’éducateurs sportifs a significativement augmenté les 20 dernières années, le secteur reste sous la domination du bénévolat et de ses valeurs de gratuité. Par ailleurs, concernant les caractéristiques structurelles de l’emploi sportif, on observe tout d’abord une nette domination de la catégorie « technicien » (48,8%), suivi de la catégorie « employés/ ouvrier » (39,9%) et de la catégorie « managers » (11,3%). Cette réalité fait apparaître un autre décalage entre le niveau de formation d’ensemble des travailleurs du secteur, et la structure de l’emploi, très nettement construite autour des compétences et qualification de technicien, d’employé et d’ouvrier, alors même que le niveau de formation monte très nettement et est supérieur à la moyenne générale : 12% des employés du secteur sportif possède un diplôme supérieur à BAC+2, et seuls 15% n’ont aucun diplôme (contre 20,8% de la population active française globale).

II. Position du problème :

Parler de « professionnalisation » dans le sport associatif pour signifier la conversion en cours, et souhaitable pour certains, de l’amateurisme en professionnalisme, ou le remplacement d’un bénévolat « en crise » par des formes d’encadrement professionnel, semble plutôt relever de l’injonction performative, et ce pour trois raisons majeures :
-   La prégnance quantitative et qualitative des bénévoles dans les clubs sportifs
-   Les usages symboliques de la notion de « crise du bénévolat » qui affaiblissent paradoxalement la légitimité des salariés dans les clubs sportifs
-   La porosité des frontières entre bénévoles et salariés et ses conséquences sur la confusion de leurs identités (salariés bénévoles et bénévoles professionnels), défavorable à la construction d’une véritable identité professionnelle pour les salariés.

En premier lieu, le monde associatif sportif reste un espace d’abord conçu par, pour et avec des bénévoles. Cet état de fait entraîne une domination du bénévolat comme structure et principe dominants de l’organisation du sport en France et crée un déséquilibre entre salariés et bénévoles. Ces derniers disposant d’un triple pouvoir sur leur espace de prédilection :
-  celui d’occuper les positions dominantes, c’est-à-dire dirigeantes dans l’espace associatif. Le cadre de la loi 1901, inaliénable, oblige les associations sportives, quelle qu’elles soient, à élire à leur tête un comité de bénévoles qui présidera aux destinées du club.
-  celui d’être légitimé par leur nombre, ce qui leur permet d’asseoir une position « naturelle » au sein du sport associatif (dont ils sont les héritiers légitimes)
-  celui d’être les détenteurs légitimes du capital moral nécessaire à la domination dans un espace sportif historiquement attaché aux valeurs de l’amateurisme, de la gratuité, de l’éthique sportive. Dans ce « monde à l’envers », les acteurs non bénévoles et liés par une forme salariale au club sportif incorporent, logiquement, cette domination symbolique. Travailler dans le sport associatif suppose d’accepter la primauté de l’éthique bénévole dans la définition de l’identité professionnelle.

En deuxième lieu, la « crise du bénévolat » est invoquée comme un affaiblissement des valeurs et du pouvoir bénévoles ; elle semble peser en faveur de l’accroissement de la professionnalisation des acteurs de l’espace associatif. Tout se passe comme si les bénévoles « en crise » allaient progressivement perdre du terrain et être remplacés par des salariés de plus en plus nombreux. Cette idée ne semble pas correspondre totalement à la réalité. Le sentiment de « crise du bénévolat » est relativement faible au niveau des associations sportives structurées autour de formes salariales. Les clubs sportifs ont d’autant moins de problème de mobilisation bénévole qu’ils possèdent des salariés et qu’ils peuvent asseoir la politique du club sur une base professionnelle. A l’inverse, si la « crise du bénévolat » existe, elle semble plus effective au sein des clubs structurés uniquement sur l’engagement bénévole (Walter, 2001) . Ainsi, au lieu d’être la manifestation et le symptôme d’un possible développement de formes salariales dans les clubs sportifs, la crise du bénévolat est au contraire bien davantage liée à l’absence de toute forme salariale qu’à leur présence. De surcroît, loin d’affaiblir la position des bénévoles, la notion de « crise du bénévolat » la renforce. En effet, l’inscription au pluriel du sport dans la société, tant dans les formes d’organisation que dans les manières de pratiquer, a conduit le sport associatif à perdre sa position hégémonique. Les logiques de la consommation sportive se développent principalement hors du cadre associatif traditionnel. Paradoxalement, ces mutations légitiment la position « morale » des bénévoles qui représentent alors le seul contre pouvoir symbolique capable de résister aux dérives et travers du monde marchand. A l’inverse, du fait même de leur statut et de leur position, les salariés ne peuvent pas représenter les valeurs de la gratuité et du désintéressement sportif. Dans ce contexte, même si la « crise du bénévolat » semble relever davantage d’une représentation ou d’une mise en scène, elle fait partie intégrante du paysage associatif sportif. Elle conduit à définir, en contre point, la place occupée par les salariés.

En troisième lieu, le caractère récent de la professionnalisation dans le monde sportif a modifié la position du bénévole. Ce dernier ne se définit non uniquement comme un employeur mais aussi comme un cadre-dirigeant de l’association. Ce constat interroge alors sur les délimitations des compétences entre les salariés et les bénévoles. D’une part, il est aisé de constater qu’il semble difficile, au sein des associations sportives, de donner un contour précis aux logiques et aux formes « professionnelles ». De nombreux bénévoles sont indemnisés sans enfreindre la loi, et où les « professionnels » se doivent d’être aussi un peu bénévoles. D’autre part, les bénévoles revendiquent un « professionnalisme symbolique » qui serait doté des mêmes compétences et rationalités que celles des professionnels, mais sans s’inscrire dans un échange marchand. Les bénévoles se « professionnalisent », mais restent bénévoles. L’espace associatif sportif n’est pas un espace de valorisation du salariat, il est l’espace par excellence de la valorisation des logiques bénévoles. Les effets de cette confusion profitent davantage aux bénévoles qu’aux salariés car ils peuvent apparaître comme des cadres dirigeants, revendiquer compétences et formations, tout en restant des bénévoles. A l’inverse, les salariés demeurent appréhendés dans une relation marchande dans laquelle ils échangent contre rémunération un savoir spécifique, technique pour la plupart du temps. Même profitable au développement de l’association, leur présence reste ainsi toujours suspectée de pervertir les valeurs du sport associatif.

Ainsi, dans un contexte où les bénévoles sont les garants du mythe sportif mais où les frontières entre bénévoles et salariés demeurent floues, se pose la question du positionnement des acteurs salariés. Tout se passe effectivement comme si les valeurs morales de l’engagement bénévole s’imposaient dans cet espace. L’ambivalence de la condition de salarié dans le sport associatif apparaît pleinement lorsqu’on objective la double contrainte que subissent ceux qui sont à la fois amenés à se définir dans un espace présidé par les logiques et valeurs bénévoles, et de répondre aux impératifs de professionnalisation qui les déterminent.

Pour répondre à cette problématique, l’enquête s’est appuyée sur 45 entretiens semi-directifs auprès d’un échantillon de bénévoles (n=18) et de salariés (n=27). Cet échantillon a été construit à partir de la liste issue du fichier SIRENE des 255 associations employeurs (code 92.6 C) du département de la Marne (51). Au sein de cette population, il a été sélectionné trois domaines sportifs, tennis, activités gymniques et football, qui présentent le nombre le plus élevé d’associations employeurs. Dans chaque domaine, deux groupes ont été distingués : les associations de 3 salariés et plus et celle de 1 ou 2 salariés. Au sein de chacun de ces groupes, trois clubs sportifs ont été retenus, soit un total de 18 clubs. Dans le groupe des associations sportives comprenant 3 salariés et plus (n=9), trois personnes, deux salariés et un dirigeant bénévole, ont été interrogées, soit un total de 27 personnes (9 bénévoles et 18 salariés).
-  Dans le groupe des associations sportives comprenant 1 ou 2 salariés (n=9), deux personnes, un salarié et un dirigeant bénévole, ont été interviewées, soit un total de 18 personnes (9 bénévoles et 9 salariés)

Le guide d’entretien a été construit autour des dimensions suivantes :
-   Structuration du club : ressources humaines, matérielles, caractéristiques et politique associatives et sportives.
-   Dispositions et conditions d’exercice du travail salarié et bénévole : statut, fonctions, formation/ diplômes, trajectoire, organisation du travail...etc.
-   Représentations sur les conditions de salarié et de bénévole dans un club sportif : qualification du travail (vocation, passion, métier, loisir...etc.), compétences, intérêts, contraintes, reconnaissance/ valorisation, rapport à la précarité/ sécurité de l’emploi
-   Représentations sur les rapports employeurs-employés dans un club sportif : types de rapports (hiérarchisés ou non), pouvoir de décision/ initiatives, conflits
-   Représentations sur le sport et les transformations de l’offre associative sportive : la professionnalisation dans les associations sportives, l’évolution de la demande sportive, la transformation des pratiques et des rapports offre/ demande.

III. Résultats

Les résultats montrent que le système de contraintes qui détermine les spécificités du travail associatif, bénévole et salarié, s’organise autour de trois dimensions : l’imposition de la logique du don, le métier comme passion et un choix soumis.

1. L’imposition de la logique du don

En premier lieu, il demeure manifeste qu’au sein de cet espace il existe une prégnance forte de la logique du don, point de convergence entre les acteurs - bénévoles et salariés - du club. Il ne paraît pas surprenant de trouver cette notion auprès des bénévoles pour leur propre engagement. Nos résultats confirment, si besoin en était, que la mise en scène du « don de soi » demeure au cœur de l’identité bénévole. Sous des formes variées et variables, cette posture se décline par exemple à travers la critique des « égoïsmes » contemporains (« les gens sont beaucoup plus individualistes/ ils ne veulent pas participer bénévolement à un travail ») et la célébration de valeurs telles que la disponibilité (« ne pas compter son temps »), le dévouement à l’intérêt général du club (« on ne doit pas accepter les gens qui ne viennent faire du bénévolat que pour soutenir leur gamin et non pas pour l’intérêt général ») et le désintéressement (travailler « pour rien »/ « pour le plaisir d’être avec des gens qu’on aime bien ») . Toutefois, cette notion dépasse le simple cadre du bénévolat pour s’imposer aussi aux salariés. En effet, les bénévoles définissent un « bon salarié » comme une personne comprenant la logique bénévole de l’association sportive, et les salariés incorporent la logique du don comme une condition sine qua non de leur intégration dans l’espace club. Pour ces acteurs, l’intériorisation de cette logique sous entend de dépasser le simple exercice du métier en s’engageant au delà en terme de disponibilité, de dévouement et de désintéressement.

La disponibilité

Première composante de la logique du don, la disponibilité est présentée non seulement comme une qualité (au sens morale du terme), mais comme une « compétence » essentielle pour la construction de l’identité professionnelle des salariés ;
-  Du point de vue des dirigeants bénévoles, elle apparaît comme une exigence à laquelle il convient de se soumettre pour pouvoir être en adéquation avec « l’esprit » du club, et qui leur permet de distinguer les « bons » des « mauvais » salariés : « ce qu’on attend d’un salarié qu’on recrute ? avoir un bon esprit, c’est-à-dire être disponible, à la disposition des enfants (...) parce que le gars qui vient faire ses heures et qui s’en va, il n’a rien compris d’une association » (président d’un club de tennis). L’une des principales « compétence » d’un salarié est donc dans sa capacité à être aussi un bénévole : « le professionnel, qui est censé avoir les compétences, il doit être bénévole dans l’esprit » (vice-président d’un club de gymnastique). Inversement, manquer de disponibilité, c’est-à-dire du don de son temps au delà du cadre de son contrat de travail, stigmatise le salarié, rend suspicieuse son implication dans le club et l’expose au mécontentement des bénévoles-employeurs. Le « mauvais » salarié est ainsi celui qui « ne comprend pas la logique du club », dans le sens où il ne saisit pas, de lui-même, que travailler dans un club sportif suppose d’assister en plus aux réunions du comité directeur, d’être présent lors des manifestations du club pendant les week-end (tournoi, fête....), de « venir « travailler le dimanche, le soir, pendant les vacances des autres : « c’est l’exemple d’une jeune fille à qui on avait donné la possibilité de toucher un demi-salaire. Avant elle le faisait pour rien, c’était donc tout bénéf pour elle. Un jour j’arrive à la salle, il était peut-être six heures, je lui dit reste là encore un instant, il faut qu’on voit pour le déplacement.....elle me dit j’ai fini il est six heures. Et elle me dit pas ça en rigolant ! elle parlait très sérieusement. Je n’ai pas su quoi répondre » (président d’un club de gymnastique). Dans ce contexte, les dirigeants bénévoles considèrent que les conflits employeurs-employés viennent d’une « mauvaise » compréhension, de la part des salariés, de la logique du don de son temps qui préside le travail associatif : « nous on est bénévole, on ne compte pas nos heures, alors la moindre des choses est que les salariés en fassent de même (...) le bénévole il vient parce qu’il se sent concerné par le club, mais le professionnel lui il n’est pas payé, ça lui casse les pieds de venir le dimanche, et là il y a conflit » (président d’un club de tennis).
-  Du point de vue des salariés, la disponibilité est pleinement reconnue comme l’une des principales compétences qui qualifie leur valeur au sein du club sportif : « il faut avoir l’état d’esprit d’être à la disposition des gens en dehors des heures de bureau / tu ne peux pas dire mon boulot c’est tant d’heures, ça c’est pas possible, il y a une part de bénévolat » (salarié d’un club sportif). Associée à une dimension relationnelle constitutive de l’identité professionnelle du salarié associatif sportif, cette disponibilité est présentée comme normale : « Il y a une part de bénévolat ; si il y a un enfant qui n’est pas recherché après un entraînement, je le ramène, je téléphone aux parents, le dimanche s’il y a un tournoi je suis là » (entraîneur salarié d’un club de football). Ainsi, tout en admettant, dans de nombreux cas, que cette exigence de disponibilité est également une contrainte, ils s’y soumettent néanmoins complètement en la reconnaissant comme une nécessité professionnelle. Plus encore, le fait de travailler dans un univers de sport de détente et de loisir est pensé comme un privilège, une chance pour laquelle il convient de faire un certain nombre de sacrifice : « c’est vrai qu’au départ bon, on est là, on aime bien aider, c’est le boulot, et puis après, j’ai l’impression que plus on en fait, plus on en demande, donc bénévolement....mais bon, moi personnellement je n’arrive pas à dire et bien non là je ne viens pas, ce jour là j’ai prévu autre chose....et bon c’est vrai que quelque part ça me gêne en moi mais bon je ne me sens pas capable de dire.....de mettre une limite de moi-même...et puis bon quand on est bien, avec tout le monde qu’on connaît, bon on est là et c’est vrai que ça fait plaisir aussi » (salariée d’un club de gymnastique).

Le dévouement

Autre composante de cette logique du don, le dévouement au club se décline dans la capacité de placer l’intérêt général, collectif, au dessus des intérêts particuliers et partisans. Si la disponibilité suppose le don de son temps, le dévouement comporte une dimension éminemment morale par laquelle le don de soi prend la forme d’une véritable « vocation ». Profondément inscrit dans l’étymologie du terme « bénévolat » (« qui veut bien/ qui veut le bien »), le dévouement s’apparente à une propriété typique des bénévoles, par laquelle se manifeste la volonté d’agir dans le sens du « bien » collectif et une capacité à se mettre prioritairement au service de l’intérêt général du club. Toutefois, nos résultats montrent qu’il s’impose également aux salariés, surtout lorsque ces derniers évoluent depuis leur jeune âge dans le club et s’y trouvent « comme dans une famille ». Pour eux, le dévouement au club et à ses dirigeants bénévoles agit comme une forme de reconnaissance réciproque par laquelle il manifeste un fort attachement à la structure, mais aussi à son tissus relationnel, émotionnel et affectif : « les différences avec le bénévolat c’est quelque chose que j’ai du mal à percevoir parce que bien qu’ayant un statut de salarié et étant confronté à des bénévoles, on a pas ce mode de fonctionnement....je veux dire le relationnel est extrêmement important et les bénévoles dans l’association ce sont des gens que je connais très bien et avec qui je n’hésite pas à sortir et ainsi de suite.....et puis le fait que je sois moi-même bénévole et salarié, ce sont des choses qui s’imbriquent » (salarié d’un club de gymnastique). Tout se passe alors comme s’il se devaient de « rendre », selon les principes maussiens du don-contre-don, les privilèges dont ils s’estiment bénéficiaires : avoir la chance de travailler dans une bonne ambiance, dans un espace convivial, avec des gens qu’on aime et qui vous aiment : « pour moi, quand on est salarié dans une association, il faut accepter le fait qu’on puisse en faire un peu plus....du fait qu’on est confronté à des gens bénévoles qui eux donnent de leur temps en dehors de leur vie professionnelle et familiale...moi, enfin c’est mon éthique personnelle, j’estime devoir leur rendre ça aussi et leur en donner par rapport ça » (salarié d’un club de gymnastique). Plus encore, si le fait même d’être un bénévole s’associe au dévouement, le salarié, lui, doit sans cesse prouver qu’il agit pour l’intérêt collectif du club, dans une logique de dévouement, et non pas pour évoluer professionnellement, « faire carrière » ou défendre ses propres intérêts.

Le désintéressement

Troisième composante de la logique du don, le désintéressement est une caractéristique essentielle de l’identité bénévole dans la mesure où la notion même de bénévolat suppose l’absence de revendication financière. Très attachés à cette dimension, les bénévoles se reconnaissent complètement dans l’idée de « gratuité » associée à leur engagement, et en retirent des profits symboliques importants. Là encore, nous pourrions penser que la notion de désintéressement constitue un point de divergence radicale entre bénévoles et salariés, ces derniers n’étant pas soumis à cette exigence. Mais si les salariés perçoivent évidemment une rémunération en échange de leur travail dans le club, ils se doivent constamment de travailler à « faire oublier » au possible le lien économique qui les rattache au club pour mettre en avant leur désintéressement symbolique. En effet, pour les bénévoles, percevoir une rémunération est plutôt considérée comme un handicap dans l’ordre symbolique de l’association sportive. Si cette dimension ne peut pas être complètement effacée (puisqu’elle existe avec l’existence des salariés), elle doit cependant être refoulée au second plan, et en aucun cas constituer une revendication pour les salariés. Autrement dit, parler d’argent, de salaire, et pire encore, négocier une valorisation salariale ou un réaménagement des conditions de travail est considéré comme un tabou, comme une hérésie qui discréditeraient le salarié au regard de « l’esprit club » : « Moi quand quelqu’un (un éventuel futur salarié) vient me voir et commence à parler argent, je l’arrête tout de suite et on se dit au revoir/ parce que c’est pas la peine, on ne vient pas dans un club pour ça/ ici il faut être « gratuit » dans l’âme ». (président d’un club de football). Mais cette exigence de désintéressement ne s’exprime pas seulement sur un terrain économique (salaire). Elle se décline plutôt de manière générale au niveau d’une « posture morale » dans le sens où toute revendication en rapport avec les intérêts professionnels du salarié, sa formation, l’évolution de sa carrière, ses conditions de travail, l’aménagement de ses activités est suspecte et positionne immédiatement le salarié comme « intéressé », c’est-à-dire hors de la logique du don.

2. Le métier comme passion

En second lieu, une dimension affective et émotionnelle forte liée à l’exercice du travail associatif bénévole et/ou salarié peut être repérée à travers les entretiens. Celle-ci se structure autour de la jonction entre l’univers du sport et les particularités du travail associatif en terme de tissus relationnel et de fonctionnement humain.

Au niveau des bénévoles, l’engagement est presque systématiquement motivé par la « passion » du sport, du club, de la relation, de l’entre soi. « Avoir la passion » est une allocution qui revient constamment dans le discours des dirigeants bénévoles, et semble justifier en finalité toute leur implication. Cette dimension est également totalement incorporée dans les propos des salariés. En effet, se retrouve une description de leur activité professionnelle en terme « d’aventure humaine », « de projets collectifs », « d’esprit festif ». Ce qui importe, c’est d’abord d’être « passionné », aimer rencontrer des gens, vivre des moments intenses : « un match de football doit être une fête. Ce qui est beau, c’est qu’à un moment donné des gens se réunissent pour vivre quelque chose en commun » (directeur administratif d’un club de football). L’ensemble de cette terminologie conduit à caractériser le milieu associatif sportif comme un monde de passionné. Ce trait est sans doute à relier avec les caractéristiques propres à l’activité sportive. Cette dernière se situe dans un registre de l’émotion et de la convivialité. L’engouement populaire autour des résultats de l’équipe de France de football atteste de ces dimensions. Dans une moindre mesure, elle se décline sur des modalités similaires à l’échelon du club. Toutefois, si elle est commune à de nombreux salariés, c’est surtout au niveau des entraîneurs que « le métier comme passion » prend toute sa dimension. L’analyse des trajectoires des entraîneurs montrent de fortes affinités avec l’univers de la pratique sportive, comme si ce métier était le prolongement désiré d’une carrière de joueur, et une stratégie pour demeurer dans le même univers « à vie » : « je suis devenu entraîneur parce que le football était ma passion en tant que joueur » (salarié d’un club de football). Le capital sportif accumulé dans le passé est d’ailleurs une partie intégrante, voire même dominante, des compétences reconnues pour être un bon entraîneur : « Avoir été joueur professionnel, ça impose le respect aux joueurs. Je connais le football, j’ai joué à un niveau plus élevé qu’eux » (entraîneur dans un club de football).

Associé à cette idée de passion, travailler dans le sport associatif suppose un imaginaire de l’aléa et de l’incertitude, en lien avec la dépendance aux résultats sportifs, et parallèlement un rejet de la routine, des habitudes et de la quête de « sécurité ». Interrogés sur les spécificités de leur travail au sein du club, salariés et bénévole évoque tous la diversité des tâches et la variété des situations, qui permet de « rencontrer plein de gens différents » et « de ne pas être dans la routine ». Si elle est commune à tous les salariés interviewés, cette dimension est cependant déclinée différemment selon les cas ; construit autour de la passion comme condition de réussite, le métier d’entraîneur est présenté comme un idéal de vie, traversé par l’imaginaire de l’exception sportive, et soumis à une perpétuelle remise en cause où rien n’est jamais acquis : « je me défini comme un entraîneur, c’est-à-dire quelqu’un qui cherche, qui se met en danger, qui prend des risques (...) il y a un côté aventurier (...) il ne faut pas trop chercher le confort » (entraîneur dans un club de tennis). Elle peut aussi prendre la forme de l’ambition et de la volonté de « bouger » dans le cas de certains : « je poursuis une formation dans la perspective de se donner les moyens d’intégrer un grand club professionnel (...) j’ai de moins en moins d’intérêts par rapport à mon job actuel ; j’en ai fait le tour et je ne suis pas quelqu’un qui va rester 30 ans dans une structure à faire la même chose » (directeur administratif dans un club de football). Là encore, la soumission au diktat de l’aléas et de l’incertitude des lendemains est présentée comme inhérente au monde sportif, comme s’il fallait payer un prix pour avoir la chance de faire parti d’un univers considéré comme « privilégié ». Plus encore, tout se passe comme si cette instabilité professionnelle et l’inconfort matériel et psychologique qui en résulte étaient requalifiés en valeur par le fait même qu’elle est la manifestation d’un rejet normatif de la routine et de la quête de sécurité. Il faut toutefois observer que le métier comme passion se retrouve globalement bien plus du côté des salariés entraîneurs, en concordance directe avec le niveau de pratique, que du côté des salariés occupant des fonctions administratives dans les clubs sportifs.

3. Un choix soumis

En troisième lieu, présenté comme un « choix de vie », le travail des salariés n’en est pas moins soumis à la prégnance de la logique du don et de la passion, et suppose une acceptation volontaire des contraintes du métier. Autrement dit, pour ne pas être soupçonnés d’introduire dans l’espace club des logiques incompatibles avec les valeurs bénévoles, les salariés tendent à minorer les difficultés de leur conditions en refoulant toute revendication. Plus encore, ils présentent ces difficultés comme inhérentes aux lois du sport, et donc comme un choix auquel il se soumette. Pourtant les interviews permettent de saisir l’existence bien réelle de ces contraintes. Ainsi, bien loin de la liberté revendiquée, le métier d’entraîneur se trouve pris en tenaille entre les exigences des joueurs et celles de dirigeants bénévoles « qui se prennent pour des chefs d’entreprise alors qu’ils n’en sont pas « (salarié d’un club de football). Occupant une position centrale dans le club, l’entraîneur est objet de sollicitations incessantes qui vont jusqu’à envahir le fameux temps libre pourtant présenté comme l’un des avantages dont il dispose. Tout en étant « jamais tranquille », il n’a pas la maîtrise complète de son activité puisqu’il doit toujours, en dernier recours, se plier au bon vouloir des dirigeants bénévoles. De plus, si elle est un espace potentiel d’expérience professionnelle, l’association est peu active dans la formation des salariés. La primauté des qualités morales et relationnelles sur la maîtrise de compétences spécifiques propres au métier exercé produit un sentiment de « blocage » et de dépendance chez les salariés les plus ambitieux, et devient alors source d’anxiété, d’inconfort et de précarité potentielle. Mais par un effet d’intériorisation des logiques du sport et du bénévolat associatif, les salariés transforme leur soumission en choix.

Conclusion : une professionnalisation inachevée ?

La domination du bénévolat et de ses valeurs dans le travail associatif (désintéressement, disponibilité, dévouement) projette sur le salarié un soupçon latent perpétuel : celui de ne pas correspondre aux logique du don et de la passion qui structure la dynamique des clubs sportifs : « c’est très fréquent les dirigeants qui critiquent les joueurs ou les entraîneurs qui quittent le club parce qu’on leur propose plus ailleurs....alors que c’est une démarche normale dans n’importe quel travail » (salarié d’un club de football) ; dans ce système où la valeur du comportement moral l’emporte sur les qualités et compétences de professionnel, il est possible de parler de « professionnalisation inachevée » dans le sens où le travail salarié dans l’espace du club sportif reste soumis aux logiques dominantes du bénévolat. Cela ne signifie pas que tous les salariés s’adaptent au comportement que leurs dirigeants bénévoles attend d’eux (c’est tout de même le cas d’une certain nombre d’entre eux) ; mais cela signifie que l’association sportive constitue un espace limité pour ceux qui ont des ambitions de carrière et souhaitent valoriser davantage leurs qualités professionnelles. Ces derniers s’appuient alors sur des stratégies consistant à poursuivre leur professionnalisation hors de l’espace du club, à travers une formation et une quête de reconnaissance par les milieux professionnels de l’espace sportif (exemple d’un professeur BE de tennis qui dirige une école de compétition dans le cadre d’un club sportif, mais dont l’ambition est de se réaliser complètement en devenant un jour coach professionnel auprès d’un jeune joueur de tennis talentueux, voir de monter son propre « team » privé sans être placé sous les contraintes des dirigeants bénévoles et d’une association sportive).