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La découverte de la relation employeur/employé dans les clubs sportifs amateurs

Introduction

Le processus de salarisation que connaissent les associations sportives depuis les années 90 apparaît comme la conséquence de deux facteurs combinés. D’une part, la mise en place de contrats aidés a largement facilité l’embauche de salariés dans les associations sportives. D’autre part, les clubs sportifs ont vu progressivement leur rôle évoluer vers celui de prestataires de services sensés combiner aussi bien la recherche de résultats sportifs, l’encadrement de pratiques de loisir, que la mise en place de projets éducatifs. Cela a pour conséquence de faire évoluer les références traditionnelles autour du loisir vers des références à l’univers du travail .

Cependant, l’encadrement sportif bénévole ou non, qui jusqu’à ces dernières années a pris en charge la pratique au sein des clubs, est formé avant tout dans une perspective technicienne. L’intégration d’un public qui ne partage pas forcément ces objectifs implique, lorsque les dirigeants en ont la volonté, une réorganisation du fonctionnement du club aussi bien pour la répartition des créneaux horaires d’utilisation des équipements sportifs, que pour les profils des entraîneurs-animateurs chargés de les accompagner. Dans cette démarche, qui s’apparente alors à celle d’un prestataire de services, “les dirigeants proposent des services qui sont difficilement assumés par des bénévoles. La stratégie est alors la professionnalisation des fonctions : animateurs sportifs et cadres administratifs” . Cette nécessité de répondre à des attentes qui se diversifient, liée aux difficultés que rencontrent certains dirigeants à assumer de lourdes responsabilités administratives et juridiques, semble être, au moins en partie, à l’origine du phénomène d’embauche de salariés par les clubs. Toutefois, il est permis de se demander dans quelle mesure la création d’un emploi dans ces structures, surtout dans les plus petites, ne constitue pas en elle-même une charge supplémentaire pour leurs dirigeants. D’autre part, le secteur sportif associatif “est [...], depuis peu, pensé (politiquement) comme un secteur économique générant des flux financiers, produisant de nouveaux services et créant potentiellement des emplois” . A l’image de l’ensemble du secteur associatif, il a donc été sollicité pour participer à la mise en œuvre des différents dispositifs d’aide à l’emploi évoqués précédemment. Ainsi, afin de contribuer à la lutte contre le chômage, le Ministre de la jeunesse, des sports, et de la vie associative a récemment présenté un plan d’accompagnement dans le secteur associatif visant à la création de 45 000 nouveaux emplois . Pour ce qui concerne les associations sportives, un accord cadre à d’ors et déjà été signé le 05 octobre 2005 entre les pouvoirs publics et des représentants du secteur “sport” afin de recruter 10 000 personnes sur trois ans en s’appuyant notamment sur les Contrats d’Avenir et les Contrats d’Accompagnement vers l’Emploi . Pour les dirigeants de ces associations, en plus d’un rôle d’organisation et de gestion, il s’agit de gérer des ressources humaines et de mettre en place les conditions nécessaires à la formation des salariés recrutés ainsi qu’à la pérennisation des emplois créés . Comme cela sera détaillé par la suite, cette situation conduit à repenser la fonction de dirigeant de club en tenant donc compte, en plus de l’aspect sportif, des responsabilités de gestionnaire et d’employeur qui peuvent lui incomber. Pour les salariés, il s’agit de combiner à la fois les règles de la vie associative, basées traditionnellement sur l’engagement bénévole, et une position de salarié soumis aux directives de son employeur. Plus globalement, l’embauche de salariés par les associations sportives apparaît comme une stratégie visant à répondre à un ensemble d’opportunités (les contrats aidés en particulier) et de contraintes (la bureaucratisation du fonctionnement des clubs, et l’évolution des attentes des pratiquants sportifs) qui s’imposent à ces organisations. Or, l’association sportive est envisagée ici comme un système d’action concret (Crozier&Friedberg,1977) dans lequel les acteurs coopèrent pour atteindre des buts collectifs mais aussi individuels. Dès lors, l’embauche de salariés dans ces organisations gérées par des bénévoles apparaît ici comme une source de changement impliquant de nouvelles formes d’action collective. Il s’agit donc d’un processus d’apprentissage collectif qui est analysé à travers les stratégies des présidents et des salariés de ces clubs.

L’enquête qui sert de support à cette étude à été réalisée auprès de vingt associations sportives de six disciplines différentes (tennis, athlétisme, basket-ball, rugby, badminton et surf). Dans chaque club, quatre par discipline excepté pour le surf et le rugby , le président ou un vice-président et le ou l’un des salariés a été interrogé au cour d’entretiens semi-directifs d’une durée de quarante cinq minutes à une heure trente. Après avoir analysé les conditions de recrutement et de travail des salariés, seront abordés la manière dont les dirigeants appréhendent leur position d’employeur ainsi que les conditions dans lesquelles chacun élabore mais aussi s’adapte à un nouvel équilibre au sein du club.

1. Des salariés issus du secteur sportif associatif pour assumer des tâches multiples

Le choix du profil des personnes qui devront être recrutées est la première étape dans la démarche de salarisation de l’association. Il s’agit pour les dirigeants de clubs de s’adjoindre les services de quelqu’un qui connaisse déjà ou qui pourra s’adapter aux spécificités du secteur sportif associatif. De plus, les objectifs sportifs, éducatifs ou sociaux de la structure peuvent aussi entrer en ligne de compte pour choisir le salarié.

1.1. Entre recherche de performance et soucis d’intégration sociale

Pour répondre à ces attentes, trois types de recrutement peuvent être repérés dans l’échantillon retenu pour cette étude : celui d’un joueur de bon niveau qui viendra renforcer l’équipe phare du club et s’inscrira dans une recherche de performance sportive, celui d’un diplômé de l’encadrement dont la mission principale sera d’améliorer l’offre de services du club, et enfin, celui d’un ancien bénévole de l’association elle-même ou d’une autre, et dont on peut supposer qu’il a déjà intégré les modalités de fonctionnement d’une association sportive

En se lançant dans le recrutement d’un salarié, les dirigeants de clubs cherchent à atteindre plusieurs objectifs à la fois. Tous aspirent à une amélioration de leur offre sportive, mais ils y associent souvent le désir d’atteindre un niveau de compétition sportive supérieur, et l’envie d’aider une personne à s’insérer professionnellement. Les dimensions économiques, sociales et sportives seraient alors associées dans une même démarche. Les attentes vis-à-vis du salarié et de ce qu’il peut apporter au club sont donc multiples et parfois divergentes. Or, dans la lignée des travaux de Léon Festinger , Erhard Friedberg explique que “Les préférences et les buts des acteurs ne sont pas figés, mais se découvrent et se modifient au contraire dans et par l’action” . La réussite du projet de salarisation de l’association est en effet plus difficilement perceptible dans la mesure où les espoirs qui y sont rattachés ne sont pas toujours clairement définis. Selon les évolutions des relations du club avec son environnement, ou encore les résultats sportifs obtenus, le rôle du salarié peut changer, les attentes des dirigeants vis-à-vis de ce qu’il peut ou doit apporter à la structure seront alors modifiées a posteriori. Dès lors, afin de retrouver une “consonance cognitive” , une cohérence entre leurs décisions et leur discours, les dirigeants de clubs peuvent être conduits à revoir leurs priorités. De plus, les conditions de travail observées au sein de ces associations sportives révèlent une multiplicité des tâches assumées par les salariés. En effet, comme cela sera détaillé par la suite, l’organisation de la pratique sportive au sein des clubs recèle des facettes diverses. Ainsi, face aux impératifs de la compétition sportive, aux attentes parfois divergentes des représentants du mouvement sportif, des collectivités locales mais aussi des adhérents, les rôles dévolus aux salariés sont soumis à de nombreuses variations.

En décidant d’introduire un nouvel acteur au sein du système d’action “club”, les dirigeants engagent leurs associations dans des changements qui ne sont pas et ne peuvent pas être totalement prévisibles. D’une part, les raisons qui précèdent au recrutement des salariés sont à la fois multiples et dans une certaine mesure, confuses. D’autre part, les évolutions qui découlent de ce processus de salarisation des associations sportives se font à travers l’échange négocié entre des acteurs qui découvrent et construisent à la fois de nouvelles règles du jeu. La définition des tâches, et par extension des rôles de chacun est ainsi l’un des enjeux principaux de ces négociations, car elle révèle mais aussi influence la répartition des pouvoirs au sein de l’organisation.

1.2. Des tâches multiples attribuées aux salariés selon leurs clubs

D’un club à l’autre, les conditions de travail des salariés peuvent considérablement varier. Selon le type d’APS pratiqué, la taille de la structure, le budget, mais aussi les profils des dirigeants de l’association et les objectifs affichés, le poste occupé pourra correspondre à l’accomplissement de tâches très différentes les unes des autres, et à des degrés de responsabilités divers.

Les tâches confiées aux salariés Discipline sportive Tennis Athlétisme Basket-Ball Rugby Badminton Surf Total Entraînement des adhérents du club 4 4 4 1 4 3 20 Intervention en-dehors du club (CLSH, section sportive scolaire, école primaire) 0 1 3 1 4 3 12 Organisation de manifestations sportives 4 3 4 0 3 3 17 Secrétariat 3 4 4 1 3 3 18 Recherche de sponsors 1 1 0 0 0 1 3 Relations avec les collectivités locales 1 1 0 1 1 3 7 Relations avec les organes locaux des fédérations 1 2 1 1 2 3 10 Gestion de personnel 2 1 0 0 1 3 7 Nombre de clubs 4 4 4 1 4 3 20 Tableau 3 : Les tâches confiées aux salariés

Les emplois proposés dans les clubs sportifs varient en fonction du type de tâches attribuées aux salariés. La première distinction concerne les sections de clubs omnisports et les clubs unisport. Dans le premier cas, deux rôles distincts peuvent être repérés : celui d’animateur d’un centre de loisir sans hébergement (CLSH) dépendant de l’omnisports, et celui d’entraîneur et parfois de gestionnaire de la section de rattachement. Dans le second cas, les salariés ne sont concernés que par l’activité du club ou de la section de club qui les emploie. Toutefois, dans les deux cas, la polyvalence des salariés semble nécessaire. Ils doivent être capables à la fois d’organiser la pratique, au sens administratif du terme et de l’encadrer.

Cependant, le directeur du service des sports du Conseil Régional d’Aquitaine remarque qu’ “Au lieu de recruter des développeurs, on (les associations sportives) a embauché des entraîneurs. [...] on a souvent recruté dans une logique sociale alors que pour être développeur il faut des jeunes diplômés car cela nécessite la polyvalence des compétences, de bien comprendre l’environnement institutionnel et juridique”. Ainsi, le recrutement des salariés est réalisé par les dirigeants de clubs dans la perspective d’améliorer son fonctionnement, de manière générale, tout en préservant les traditions de fonctionnement de la structure. Il s’agit, comme cela a déjà été évoqué, d’embaucher une personne qui adhère à ce que William Gasparini appelle “l’orthodoxie associative”, liée à “la reconnaissance tacite de la valeur de l’éthique sportive associative et de sa culture organisationnelle (gratuité de l’activité sportive, effort et mérite, références aux valeurs de l’olympisme, apolitisme des associations sportives, modèle du club et respect de la hiérarchie fédérale, bénévolat des dirigeants...)” . Or, recruter des “développeurs” diplômés plutôt que des entraîneurs aux tâches élargies impliquerait de s’engager dans une remise en cause, au moins partielle, de cette culture organisationnelle, et dans une stratégie de l’action que certains clubs n’ont pas encore mise en place. Surtout, de tels acteurs au sein des associations auraient vocation à repenser l’organisation de la structure, à planifier de nouvelles actions, ce qui relève statutairement et traditionnellement des prérogatives des dirigeants élus. De tels salariés pourraient alors être perçus comme capables de remettre en cause, en partie, l’autorité de ces derniers. Or, cette question de l’équilibre entre l’autonomie octroyée aux salariés d’une part, et le rôle de décideurs des dirigeants élus d’autre part, est centrale dans la relation employeurs-employés observée ici. Ainsi, comme cela sera détaillé par la suite, si les premiers sont en attente à la fois de responsabilités mais aussi de cadres pour guider leur action, les seconds cherchent des personnes capables de prendre des initiatives tout en se conformant à des directives strictes. Un président de club de basket explique à ce sujet : “Les salariés réclament des “tableaux de bord” mais le risque c’est qu’ils restent uniquement dans le cadre qui leur serait attribué”. C’est la difficulté de trouver un compromis entre la marge de liberté laissée au salarié et le nécessaire contrôle de son travail par l’employeur. Trop de règles et de cadres pourraient ainsi se retourner contre les dirigeants du club qui ne peuvent ou ne veulent pas toujours définir exactement le rôle du salarié afin de ne pas limiter ses champs d’intervention.

Par ailleurs, l’encadrement de la pratique sportive implique d’exercer l’activité plutôt le soir et le week-end, surtout lorsque la compétition fait partie des objectifs du club. Dès lors, les emplois du temps sont à la fois décalés par rapport aux horaires “classiques”, et souvent flexibles étant donné les modalités d’organisation des rencontres sportives qui se déroulent rarement aux mêmes heures et aux mêmes endroits, et dont la durée n’est pas toujours prévisible. La compétition sportive tient une place centrale dans l’organisation de la vie des clubs rythmée par les entraînements ainsi que les rencontres organisées par les ligues et comités sportifs. Bien que le rôle social, voire éducatif de ces associations ne soit pas occulté, les résultats sportifs apparaissent comme un outil précieux à la fois pour assurer une visibilité du club auprès des pratiquants mais aussi auprès des partenaires et des collectivités locales en particulier. Le président d’un club d’athlétisme affirme à ce sujet : “Il ne faut pas montrer que la compétition, mais montrer aussi qu’on fait du travail de proximité. Mais c’est vrai que les résultats apportent aussi sur le plan du soutien des collectivités locales”. Dès lors, il s’agit pour les dirigeants de clubs qui ont choisi d’embaucher des salariés d’organiser les emplois du temps de ces derniers en fonction de ces contraintes. En tant que membres à part entière de l’association, les salariés sont souvent encouragés à participer à la vie du club, au-delà de leurs heures de travail. Nombreux sont ceux qui affirment que “c’est normal” car cet investissement “extraprofessionnel” est inhérent au fonctionnement d’une association sportive : “[A propos du suivi des jeunes en compétition] j’ai du mal à dire bénévolat parce que quand même, j’estime que moralement ça fait partie de sa charge. Mais ça n’est pas rémunéré”. De même, un professeur de tennis reconnaît : “C’est une association donc on est salarié mais on a une part de bénévolat, c’est normal. Mais il ne faut pas que ce soit trop prenant, alors parfois on est un peu en conflit, c’est pas facile”. En outre, l’idée que sans bénévolat au-delà des heures de travail officielles, le poste sur lequel ils ont été embauchés ne pourra pas être pérennisé, est très répandue. A ce sujet, un salarié affirme : “ on ne sort pas du lot si on ne le fait pas”. C’est donc la pérennisation du poste qui peut être remise en cause. Certains salariés, cependant, sont plus réticents à accepter de participer à l’organisation de manifestations, à des réunions ou au suivi de compétitions en-dehors de leur temps de travail. Toutefois, ils craignent aussi les reproches de leurs dirigeants et préfèrent souvent se plier à leurs demandes : “Moi je suis pas d’accord, mais y a une très grande partie de bénévolat. Et si on fait pas ce bénévolat on nous fait des reproches parce qu’on pense que çà fait partie du travail”. Là encore, de par le lien affectif qui les lie à leur club employeur, les salariés tendent à considérer qu’il sont redevables envers les dirigeants qui les ont recrutés. Pierre Chazaud évoque pour sa part une “[...] intériorisation des normes bénévoles par des professionnels salariés cooptés, mais devenus les otages de dirigeants emblématiques” . Or, bien que les salariés soient souvent recrutés au sein de la sphère associative, ils se construisent au fil du temps, en tant qu’employés, autant, voire plus, que membres d’un club. Ils développent alors un point de vue dans lequel leurs conditions de travail notamment, prennent une grande importance. Face à des dirigeants qui évoluent dans un environnement bénévole aux contours fluctuants, apparaît dès lors une dissonance cognitive. Elle peut être illustrée par le discours du président d’un club de basket qui considère que “Les salariés des clubs sportifs sont plutôt des gens qui font çà par passion. Leurs heures supplémentaires ne sont pas payées mais ils ne sont pas plus sollicités que les bénévoles”. Ainsi, le rôle de salarié n’est pas toujours clairement défini. S’il peut prendre un sens différent d’un club à l’autre, il est aussi l’objet d’une négociation constante entre employeur et employé.

2. Les relations entre salariés et présidence : entre liens de subordination et échange négocié

L’environnement des salariés est avant tout composé des pratiquants sportifs et des dirigeants bénévoles. Ces derniers, et tout particulièrement le président, sont en position d’employeurs et jouent dans de nombreux cas le rôle d’interlocuteur privilégié et obligé du ou des salarié(s). La qualité de cette relation peut donc avoir une véritable incidence sur le travail fourni par le salarié et la manière dont il vit son emploi.

2.1 Des dirigeants bénévoles en position d’employeurs

Afin de clarifier quelque peu les différentes situations qui peuvent être recensées, il semble qu’une catégorisation des différents profils de président de club puisse s’avérer éclairante. Cette classification n’est pas exhaustive, tout comme les catégories présentées ne sont pas exclusives les unes des autres. Il s’agit avant tout de repérer des modalités de fonctionnement plus ou mois spécifiques au secteur sportif associatif.

Le patriarche Le premier profil correspondrait à celui du patriarche ayant une longue ancienneté dans le club. L’objectif de ce type de président est d’allier une ambiance “familiale” avec un fonctionnement relativement rigide où tout doit passer par lui. Au sujet d’éventuels conflits entre des membres de l’encadrement du club, l’un d’entre eux explique : “Moi je n’y attache pas trop d’importance. Je règle ça en levant le ton”. Dans le discours, la confiance dans sa relation avec le salarié est primordiale, et plus qu’un employeur, il se considère comme un guide présent pour aider l’employé à pérenniser son poste. Toutefois, si un conflit, même mineur, apparaît entre les deux acteurs, la relation hiérarchique ressurgit rapidement. Le président de l’un des clubs d’athlétisme l’illustre d’ailleurs en affirmant : “Je ne me sens pas ici comme un patron mais on a bien défini le fait que c’est moi, en tant que président, qui reste l’employeur”.

Le chef d’entreprise Le deuxième profil est celui de “l’entrepreneur” qui utilise le club pour élargir son réseau tout en mettant le sien à profit afin de favoriser le développement de l’association. La recherche d’efficacité est souvent évoquée et il se considère comme un employeur à part entière qui doit conduire le club à atteindre des objectifs définis. Pour l’exemple, un président de club explique : “Un client mal servi c’est un client qui disparaît. Un adhérent mal servi c’est un adhérent qui disparaît aussi”. Le salarié doit alors répondre à des attentes précises en terme de compétences et de disponibilité. Cependant, un autre de ces dirigeants remarque : “La relation est différente entre l’emploi associatif et l’emploi dans une entreprise même si on essaie d’aborder le problème de la manière la plus professionnelle possible en mettant en place des fiches de postes, en définissant des tâches précises et en fixant l’emploi du temps des salariés”. Ainsi, ce profil de responsable de club est confronté à la difficulté d’accorder ses principes issus du monde de l’entreprise avec les spécificités de la vie associative où les relations entre employeurs et employés ne sont pas encore codifiées, restent à construire.

L’ancien “bénévole de base” Le troisième profil concerne les anciens “bénévoles de base” dont la volonté affichée est de rendre service au club sans aucune ambition personnelle. Ce type de président est celui qui a, semble-t-il, le plus de difficultés à assumer le rôle d’employeur. L’un de ces dirigeants raconte ainsi que “C’est pas toujours très facile parce que moi je suis salarié d’une entreprise donc je me mets un petit peu plus à la place du salarié du club. Donc de temps en temps on peut avoir un peu de mal à remettre les choses dans l’ordre si ça ne va pas très bien. J’essaie de faire en sorte que ça se passe le plus facilement possible, sans qu’il y ait trop de heurts”. Ces bénévoles conçoivent le club comme un lieu de convivialité où “chacun aime venir rencontrer ses amis”. Dès lors, le salarié, qui comme on l’a déjà évoqué est souvent issu de la sphère proche du club, est parfois considéré comme un membre de l’association au même titre que les autres. Ce dernier peut alors se sentir quelque peu livré à lui-même, alors que de son côté, le président n’ose ou ne souhaite pas se comporter en “patron” et donner des ordres.

2.2. Une ambiance conviviale qui ne masque pas un lien hiérarchique incontournable

La relation employeur-employé est basée sur la signature d’un contrat de travail. Cela implique, par conséquent, un lien de subordination entre les deux parties. L’employeur décide des tâches à accomplir et de la manière de le faire puisqu’il dispose de la compétence du salarié. Ce dernier est sensé appliquer ce que l’employeur lui demande, dans le cadre de ce qui est précisé dans le contrat de travail. Le salarié d’un club de tennis déclare à ce sujet : “Entre nous, il y a quand même un lien hiérarchique fort, il a l’habitude d’être patron et de diriger du personnel, mais dans la bonne humeur”. Dès lors, et malgré la volonté de voir une ambiance conviviale prédominer dans le club, en cas de désaccord, cette relation hiérarchique peut ressurgir. Un dirigeant de basket raconte ainsi : “Je gère du personnel dans ma vie professionnelle mais je ne le transférait pas dans le vie du club au début. Cela ne m’apparaissait pas comme une priorité, mais aujourd’hui si, et cela me permet de mieux fonctionner” et un autre que : “Maintenant, les employés, je ne leur fais pas la bise, je les vouvoies et eux aussi me vouvoient”. Ceci peut donner lieu à des incompréhensions puisque d’une relation amicale, et d’égal à égal, il est possible de passer à une relation de subordination. Une sorte de confusion peut apparaître. De par leur statut de bénévoles, les dirigeants ne sont pas présents dans le club à plein temps (ou rarement). Dans certains cas, le salarié se sent livré à lui-même. De plus, il dispose d’une marge de liberté conséquente et il peut orienter, en partie au moins, son action selon sa propre vision des choses. Le salarié d’un club d’athlétisme explique : “Ici j’ai beaucoup d’autonomie, mais le président de l’omnisport essaie de limiter un peu çà”. Selon la pertinence des zones d’incertitude qu’ils parviennent à maîtriser, les relations de pouvoir entre dirigeants et salariés peuvent prendre des configurations différentes.

Souvent, les salariés ont un contact privilégié avec les adhérents du club et peuvent transmettre et recevoir les informations relatives à l’organisation de la pratique sportive. Dès lors, le rôle d’“aiguilleur” qu’ils sont conduits à assumer peut être considéré comme une source de pouvoir dans leurs relations avec leurs employeurs. De même, le salarié de l’un des clubs de basket est aussi formateur au comité départemental. Le président du club reconnaît que “Sur beaucoup de points, le salarié connaît mieux les rouages de la fédération que nous. Il sert même de référence sur certains points”. Il incarne alors le rôle “d’intégrateur” ou de marginal-sécant, et peut d’autant plus facilement faire circuler l’information du comité vers son club. Or, cette maîtrise de l’information apparaît comme une source de pouvoir dans la mesure où celui qui la possède peut choisir ou non de la diffuser . Ainsi, certains dirigeants craignent de voir le salarié prendre une place trop importante dans le fonctionnement du club. Non seulement il y a le risque de ne plus pouvoir s’en passer, mais il y a aussi, même si c’est moins clairement évoqué, la crainte de voir leur propre pouvoir diminuer. Le président d’un club de badminton reconnaît ainsi : “Il a un rôle technique mais il aide aussi sur les tâches administratives et politiques, je lui fait confiance. [...] Le problème c’est que parfois il prend le dessus sur mes responsabilités”. Bien que ce dirigeant apparaisse comme une exception en admettant le rôle prépondérant pris par le salarié de son association, il exprime l’une des difficultés rencontrées à la fois dans les clubs de petite taille, et dans les structures où les dirigeants ne peuvent pas être présents régulièrement. En effet, la maîtrise des relations avec l’environnement, et surtout celle des flux de communication au sein d’une organisation sont des sources de pouvoir traditionnellement maîtrisées par les dirigeants bénévoles des clubs (président et secrétaire général). Or, lors d’un entretien, l’un des salarié explique au sujet des bénévoles dirigeants : “Il est là pour avoir un pouvoir le bénévole, c’est une motivation, et il ne faut pas lui enlever sinon il ne reste pas”. De même, dans son rapport sur l’avenir de la fonction de dirigeant associatif, Bernard Derosier évoque un “équilibre fragile parce que la technicité croissante des tâches confère un pouvoir chaque jour plus grand aux salariés” . En l’occurrence, c’est l’expertise des salariés qui pourrait être perçue comme une menace par certains dirigeants de clubs. Or, si beaucoup de présidents souhaitent que les salariés prennent des initiatives tout en restant conformes au cadre général qui leur est fixé, les salariés aspirent à de plus grandes responsabilités. Cependant, si les rôles de chacun ne sont pas précisément définis, cela peut aboutir à des confusions dans la mesure où les dirigeants peuvent percevoir les prises d’initiatives des salariés comme un débordement de leur fonction : “Le problème avec les salariés c’est qu’une fois formé ils veulent d’autres responsabilités”.

Pour faire face à ces difficultés, certains salariés élaborent des stratégies afin de se ménager une marge d’autonomie tout en préservant la qualité des relations entretenues avec leurs dirigeants. Un des salarié explique ainsi : “J’arrive avec mon idée, je leur transmets l’idée, j’essaie d’éclaircir, de baliser le terrain et laisser mûrir, c’est-à-dire que c’est eux qui ont les idées. Sinon j’ai parfois l’impression qu’ils pensent que je me mêle de ce qui ne me regarde pas”. Dans chacun des clubs, les spécificités de l’APS pratiquée ainsi que les caractéristiques personnelles de chacun des acteurs engagés dans se processus de salarisation impliquent donc des ajustements afin que le rôle de chacun soit défini.

Conclusion

Face aux évolutions de la demande sportive, et aux exigences des partenaires publics et privés des clubs, la présence de salariés apparaît comme le moyen d’offrir des services sportifs de qualité. Cependant, la position d’employeur que les dirigeants de ces clubs sont conduits à assumer implique pour eux d’entrer dans une logique de rationalisation du fonctionnement de leurs associations. Dès lors, il est permis de se demander dans quelle mesure la création d’un emploi dans ces structures, surtout dans les plus petites, ne constitue pas en elle-même une charge supplémentaire pour leurs dirigeants. Les conditions de travail des salariés, ainsi que les missions qui leur sont confiées dépendent de nombreux facteurs, organisationnels et humains. Toutefois, il apparaît que les attentes des dirigeants d’associations sportives, quel que soit leur profil, sont globalement les mêmes vis-à-vis des salariés. Au-delà de la disponibilité et de la motivation, les présidents de clubs évoquent régulièrement deux qualités indispensables à leurs yeux : la capacité à prendre des initiatives, et l’aptitude à respecter les décisions prises par les dirigeants.

La volonté de voir les salariés s’investir dans leurs clubs employeurs selon les mêmes logiques de don de soi que les bénévoles conduit à s’interroger sur les spécificités du secteur sportif associatif et les conditions dans lesquelles le salariat peut s’y développer. En outre, tout se passe comme si en acceptant de s’engager ou de participer à un processus d’embauche de salariés, les dirigeants de clubs refusaient certains des changements que cela induit. Cette récalcitrance peut-être illustrée par leur volonté de voir les salariés adopter les mêmes modes de fonctionnement que des bénévoles du club bien qu’ils soient pour leur part, et contrairement à des bénévoles, engagés avec leurs dirigeants dans un lien de subordination induit par la nature même du contrat de travail. Cela rejoint les observations de Michel Crozier et Erhard Friedberg qui évoquent “L’extraordinaire capacité de tout ensemble humain à absorber tout changement formel en maintenant ses caractéristiques essentielles [...]” . Ce nouvel équilibre à construire implique dès lors la découverte et l’élaboration d’un ensemble nouveau de comportements (qui forme alors un système) par tous les acteurs de l’organisation. A l’échelle de cette analyse centrée sur le duo président-salarié, cela suppose de s’approprier des rôles qui sortent des schémas traditionnels du monde sportif associatif. Or, Philippe Bernoux nous rappelle que “La difficulté vient de ce que l’apprentissage de la nouvelle pratique sociale se fait à l’intérieur de l’ancienne, de ce qu’il faut inventer des relations différentes dans un système qui vit une certaine pratique” . Ainsi, si les salariés doivent s’adapter aux particularités du bénévolat, des valeurs qu’il véhicule et des comportements qu’il induit, le processus de salarisation tend à faire évoluer le profil même des dirigeants des clubs sportifs. La bonne volonté ne semble plus suffire pour assumer des responsabilités de gestionnaire et surtout d’employeur.