La pratique sportive, une résistance sociale et physique.
mardi 3 mars 2009, par Patrick Trabal
Auteur : Amélie Fuchs
Le cas des personnes atteintes de mucoviscidose.
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Commentaires
Ce thème est fort intéressant mais comme nous l’évoquions lors du congrès, quelques précisions permettraient de mieux saisir votre travail :
pouvez-vous raconter un peu, comment vous avez analysé vos entretiens ? A plusieurs reprises, on a du verbatim qui nous permet assurément de mieux saisir la réalité de vos acteurs, mais du même coup, on ne voit pas toujours l’apport sociologique.
peut-être qu’en précisant cela, vous pourriez revenir sur la construction de votre objet. Pourquoi, pourrait-on se demander, faut-il s’intéresser à cette question ? En quoi permet-elle d’éclairer la connaissance de la thématique et de la sociologie ?
Comment les acteurs gèrent-ils leurs efforts ? Comment imputent-ils les difficultés et les améliorations à leur pratique ? Bien cordialement Patrick Trabal
Bonjour, et merci pour vos remarques.
Pour commencer, revenons sur la construction de l’objet : il s’agit ici d’une démarche compréhensive, visant à saisir les significations de l’engagement dans le sport pour des personnes atteintes d’une maladie chronique à caractère létal.
Face à l’urgence de traiter les problèmes pulmonaires, l’activité physique dans la mucoviscidose n’a été prise comme objet d’étude que dans les années 1980. Grâce à une meilleure connaissance des symptômes de la mucoviscidose, une amélioration des traitements et une nouvelle organisation de la prise en charge des patients, les physiologistes se sont alors intéressés à l’exercice en tant que composante des soins dans la mucoviscidose. Cependant, cette approche biomédicale ne prend pas en compte le sens de la pratique sportive pour les personnes concernées. A l’aide d’un discours sociologique se démarquant, à l’image de Becker (1998), de la parole « savante » (les experts « par profession », ici les médecins, infirmières, kinésithérapeutes, psychologues, diététiciens, etc.) et du point de vue du patient (les experts « par appartenance », ceux qui sont familiers personnellement avec l’objet en question), je souhaite saisir les significations de cet engagement mental et physique dans une pratique sportive régulière. Les personnes qui m’intéressent pratiquent le sport au-delà d’un complément thérapeutique ou d’un simple loisir adapté et je souhaite définir leurs motivations sociales à solliciter au premier plan un corps empêché par la maladie.
Pour cela, je procède en 3 temps :
1) déterminer quels sont les logiques sociales du sport dans la mucoviscidose (à l’aide d’observations au sein de l’association Etoiles des Neiges, association proposant des stages éducatifs ou de loisirs à des jeunes atteints de mucoviscidose). Qu’est ce qui détermine cette expérience sportive ? Qu’est ce qui l’engendre ?
2) décrire ces expériences. Définir les phases, les étapes qui se retrouvent dans les différents parcours : modes de socialisation spécifiques, interactions spécifiques, type de relations développées, moments d’inflexion, etc.
3) saisir la signification que l’individu donne à son action : quelles sont les motivations essentielles des individus lorsqu’ils agissent ? Comprendre la place, l’expérience du sport dans des trajectoires de P.A.M. Organisation de l’emploi du temps en fonction de l’activité, approfondissement du goût de l’effort, appropriation de l’entraînement, etc. ; quelles sont leurs motivations sociales à solliciter au premier plan un corps empêché par la maladie ?
Concernant l’analyse de mes entretiens, je n’en suis qu’au début, et c’est sans doute cela qui vous a conduit à voir à certains endroits du verbatim plutôt qu’une analyse sociologique. Néanmoins, je suis en train de réaliser une analyse de contenu (Bardin) permettant d’observer à la fois les thèmes abordés, la progression du raisonnement, les significations des entretiens (divisés en séquences) et leur transversalité.
Les thèmes et significations principaux observés sont les suivants :
Thèmes (et sous-thèmes)
Sport : élément structurant du mode de vie.
organisation de l’emploi du temps en fonction du sport
adaptation globale d’un mode de vie sain.
importance de l’association choisie, 2ème famille
Goût de l’effort
Perception des effets positifs et négatifs
Sensations, adrénaline, apprentissage du goût, etc. (Outsiders)
Rapport au corps
transformation du corps
apprentissage des limites corporelles : tenir le coup en faisant l’expérience de la limitation des capacités
gestion du capital corporel de manière rationnelle// sportifs de haut niveau
attention au corps beaucoup plus aigüe au fil de l’avancée dans la carrière
rôle du sport sur le rapport au corps/ sur la maladie
Interactions :
culture familiale
rôle de l’entourage familial, social, médical
rencontres spécifiques (association, entraîneur, autres personnes malades)
Type de pratique : quelle pratique ils ont ? comment ils font ?
En club, famille, seul, etc.
Culture sportive
Socialisation dans la pratique
Quel sport ? Pourquoi ce sport ? Quelle différence entre tel et tel sport ?
recherche approfondissement connaissances en termes d’entraînement
intensification de la pratique
réflexion sur l’activité, besoin de comprendre les choses et de les mettre en œuvre
techniques de l’entraînement : comment ils font ? Imprévus liés à la maladie (ex : quel élément déclencheur a fait qu’ils ont pris du recul, bifurqué de trajectoire)
Doutes
Prudence, prévenir la blessure ou les risques.
Manque de temps liés à traitements, etc.
Déception éventuelle :
maladie trop invalidante
diminution, arrêt, durée, conséquences.
échecs
Rôle du sport dans la gestion de la maladie.
Reprise du sport après la greffe.
Significations :
Intention socialisatrice
intégration dans une association, club, etc.
participation sociale, partage de moments, etc.
Résistance au pouvoir médical
Volonté d’autocontrôle de son propre corps
Volonté de gestion de ce corps
Besoin d’appropriation, prise de la pratique et de sa maladie en général
Stratégie d’affirmation identitaire par la recherche de la performance
Idée de « devenir quelqu’un » : être reconnu comme un être d’exception
éloignement de l’image du malade, stratégie d’affirmation identitaire par rapport à identité de patient, maladie invalidante
Idée de se réaliser
Défi, tester ses limites, s’étonner soi-même+ compensation autres rôles dans la société
Stratégie d’affirmation défensive (sport, preuve de bonne santé)
Le sport par préconisation et non par goût. Pratique médicale, maintien de sa santé grâce au sport
contrôle du corps qui échappe grâce à stratégie de gestion de ces symptômes, grâce à A.P
connaître ses capacités, ses limites et pouvoir se gérer
renforcement de l’endurance
Rapport à la nature, à l’environnement.
S’engager par le sport. Revendication utilitaire. Pratique engagée.
Voilà pour l’instant l’état de mes réflexions en matière de l’analyse des entretiens. Je vous remercie d’avoir pris le temps d’observer de plus près ma recherche.Bien cordialement, Amélie Fuchs.