Le centre de formation du club professionnel : voie unique pour devenir professionnel ?

Les croyances populaires ainsi que les récurrentes histoires journalistiques font souvent état de la toute puissance des centres de formation des clubs professionnels pour mener à bien une carrière de très haut niveau. Cela pourrait être doublement justifié. Premièrement à partir du discours de certains praticiens. Ainsi, Jean-Michel Vandamme, directeur du centre de formation du LOSC, répondait par l’affirmative à la question que posait le titre de son intervention lors du troisième colloque international « football et recherches » de l’Université de Valenciennes en mai 2008 : « Est-il indispensable de passer par un centre de formation pour réussir une carrière de footballeur professionnel ? ». Deuxièmement, cela pourrait se justifier au regard des statistiques concernant les effectifs insérés dans la formation au métier de footballeur. Voici quelques chiffres questionnant directement l’efficience des structures de formation et permettant de prendre conscience de la difficulté et de la rareté de l’accès au statut de footballeur professionnel : 25 000 joueurs de moins de 15 ans dans des filières d’accès au haut niveau sur 148 000 licenciés dans cette catégorie d’âge ; le ratio des futurs professionnels est de 1 sur 6. Il chute à 1 sur 60 en ce qui concerne les moins de 18 ans (3000 jeunes dans les sections scolaires ou les centres de formation pour 172 000 licenciés de moins de 18 ans). Ce même ratio est proche de 1 sur 500 lorsque l’on compare l’effectif professionnel (1074 joueurs en 2007) à la totalité des licenciés senior. Deux paliers semblent donc décisifs dans l’accès au plus haut niveau : l’entrée en centre de formation et la signature du premier contrat. Pour autant, ces deux moments clés ne semblent être que des révélateurs de compétence- ou plutôt de non compétence dans le cas présent - qui ne contiennent pas en eux mêmes toutes les raisons de la réussite ou de l’échec du joueur. Ces deux moments constituent en réalité plutôt des rites d’institution intégrés dans un fonctionnement plus large dans le sens où ils constituent des dispositifs permettant de révéler des dispositions tout en mettant le jeune aspirant en conformité avec les membres du groupe de référence.

Une multiplicité de structures pour devenir footballeur professionnel

Malgré ce triple argument sur la toute puissance des centres de formation, les premiers entretiens exploratoires [2] font état, de manière récurrente, de parcours biscornus, diversifiés pour atteindre le plus haut niveau. La plupart des acteurs interrogés font ainsi référence au parcours atypique de Franck Ribery, exclu dans un premier temps du centre de formation de Lille, il rebondit ensuite successivement à Boulogne, Alès, Brest, Galatasaray, Marseille et Munich, où il s’impose comme l’un des meilleurs internationaux français. Si l’objectif du travail de thèse est de comprendre comment l’on ne devient pas professionnel, il convient dans un premier temps de mettre à plat l’ensemble des structures impliquées dans la production de l’excellence footballistique. Erving Goffman disait « Pour comprendre la différence, ce n’est pas le différent qu’il convient de regarder, mais bien l’ordinaire. La question des normes sociales demeure certes au centre de l’étude, mais notre intérêt ira moins à ce qui s’écarte extraordinairement du commun qu’à ce qui dévie communément de l’ordinaire » [3]. Cela revient à se poser un certain nombre de questions relativement simples : la première question immédiatement saillante lorsque l’on analyse la production des footballeurs d’élite est : comment sont formés les footballeurs professionnels ? De cette question initiale découle un ensemble d’interrogations : existe-t-il des structures spécifiques qui prennent en charge l’apprentissage des joueurs ? A quel âge y entre-t-on ? Pour y faire quoi ? Quels sont les débouchés ? Quel nombre de jeunes cela concerne-t-il ? Ce qui frappe immédiatement lors d’une première analyse est la multiplicité des voies possibles dans l’accès au haut niveau. Jusqu’à l’âge de dix ans, le jeune football évolue généralement dans une structure unique : le club amateur. La diversification des voies possibles coïncide avec l’entrée au collège. Dès l’âge de onze ans, ce sont globalement quatre voies qui s’ouvrent au jeune : l’amateurisme, la branche fédérale, scolaire ou professionnelle. Voici globalement les parcours possibles lors de la phase de préformation :
-   Club amateur (amateur)
-   Classe à Horaires Aménagés (Scolaire)
-   Section Sportive Scolaire probatoire, locale ou régionale (Scolaire)
-   Section sportive « élite » (Professionnel et Scolaire)
-   Centre de préformation des clubs professionnels (Professionnel)
-   Centre de préformation fédéral (Fédéral)
-   Centre de perfectionnement des moins de treize ans (Fédéral et Amateur) Les parcours dans ces différentes structures peuvent se combiner ou s’emprunter de manière unique et totale. Il en est ainsi du club amateur qui peut être le seul support de la formation mais également possiblement couplée avec les sections scolaires, le centre de préformation fédéral ou les centres de perfectionnement. Pour l’ensemble des structures, les jeunes peuvent rester dans leur club d’origine et continuent de loger chez leurs parents. Nous pourrions avancer qu’ils ne reçoivent qu’un complément de formation footballistique. Cela est différent pour la section sportive « élite » où les jeunes se licencient au club professionnel et sont généralement logés dans les installations du club ; mais également pour le centre de préformation fédéral - généralement appelé pôle espoir - où les jeunes peuvent conserver leur inscription à leur club d’origine mais où ils logent et évoluent toute la semaine dans les locaux du pôle. Lors de l’entrée en lycée, pour les jeunes de 15 ans et plus, le nombre de structures possibles diminue. Ne sont alors envisageables que trois parcours : le club amateur, la section scolaire ou le centre de formation d’un club professionnel. Quantitativement, en ce qui concerne la région Nord / Pas de Calais ce sont près de 1900 jeunes qui transitent dans les sections scolaires (collèges et lycées), 80 dans les sections élite, 40 dans le centre de préformation fédéral et une cinquantaine dans les centres de perfectionnement des moins de 13 ans. Cela permet de faire la synthèse entre les discours valorisant la surpuissance des centres de formation et ceux prônant la variété des parcours possibles. Ces discours ne se placent en effet pas sur le même registre de développement (préformation ou formation) ni sur les mêmes tranches d’âges. Si les centres de formation des clubs professionnels apparaissent comme la voie quasi-inévitable pour amener au contrat professionnel - il faudrait également interroger cela puisque, même si cette proportion tend à augmenter chaque année, Didier Demazière et Benoit Csakvary [4] notent que seuls 90% des professionnels passent par les centres de formation - il convient de questionner la surabondance de structures à l’entame de la carrière de joueur.

Des logiques de fonctionnement différentes pour tenter d’expliquer la multiplication des structures de formation dans le football.

Dès lors, pourquoi assiste-t-on à une telle multiplication des structures ? Chacune d’entre elles se devrait de posséder des caractéristiques propres la différenciant de ses voisines. Les académies de football répondraient alors à une logique entrepreneuriale axées à la fois sur le football et l’entreprise. L’Etat (section scolaire) répondrait davantage à une logique éducative demain. La position des clubs professionnels (centre de préformation et de formation) serait plutôt celle d’une logique compétitive où l’accent serait mis en priorité sur les résultats sportifs. La logique paternaliste correspondrait davantage au comportement de la Fédération (pôle espoir) en espérant former un footballeur français de très bon niveau se sentant redevable des instances de formation nationale et, de fait, désireux de rester dans le championnat de France. Le fonctionnement du club amateur (centre de perfectionnement) se rapprocherait davantage de la logique désintéressée. Mais les logiques de chaque instance ne sont pas aussi tranchées. Le club amateur possède un intérêt à montrer ses meilleurs éléments et à tisser des liens avec le club professionnel voisin, tout comme le club professionnel possède un intérêt à nouer un partenariat avec l’Education Nationale pour séduire les classes moyennes et/ou améliorer son recrutement. Les liaisons entre l’Etat et la Fédération, permettant ainsi de tenir à distance les intentions mercantiles et libérales des clubs professionnels, ne sont pas non plus dénuées de sens.

Une multiplication de structures propre au football ?

La comparaison avec d’autres sports montre une évidente particularité du football quant à l’organisation de sa formation professionnelle. Quatre modèles peuvent ainsi se dégager :
-   L’organisation hyper fédéralisée de la gymnastique ou du tennis de table
-   L’organisation fédérale à tendance privée en athlétisme mais surtout en tennis
-   L’organisation fédérale de la préformation et de la formation au service de l’équipe de France puis des clubs en Volley-ball
-   L’organisation fédérale de la préformation au service des clubs et de l’équipe de France en Basket-ball. Il ne s’agit que d’une première piste de comparaison, mais le football apparaît, essentiellement dès la période de préformation, comme tiraillé entre plusieurs logiques contradictoires. Tout se passe comme si la surreprésentation du football au niveau national, ainsi que son impact médiatique et économique, précipitait la mise en concurrence des diverses instances pour obtenir un part des retombées éventuelles, qu’elles soient éducatives, symboliques, financières, etc. Dans un article de 2002 [5] , Hassen Slimani démontre de quelle manière la fédération doit sans cesse lutter pour tenter de conserver une certaine forme de domination sur le monde du football. En instaurant dans un premier le principe de la formation puis, à l’aune des années 90, celui de la préformation.

Conclusion : l’existence d’un parcours optimal ?

En imaginant que l’efficacité d’une structure soit directement dépendante de deux facteurs - à savoir l’exigence des procédures de sélection et le nombre de candidats retenus -, nous pourrions supposer que les centres de préformation fédéraux seraient les plus à même de former les meilleurs joueurs. Viendraient ensuite les sections sportives « élite », puis les centres de préformation des clubs, les sections sportives scolaires et enfin, pour les enfants présentant des qualités non négligeables mais, pour autant, non retenus dans l’une de ces voies spécifiques, les centres de perfectionnement des différents districts. Le parcours idéal d’un futur professionnel pourrait donc être celui-ci : section sportive scolaire pour les classes de sixième et de cinquième, soit jusqu’à l’âge de douze ans ; ensuite, participation à un centre de préformation fédéral dans le but de se faire enrôler dans un centre de formation d’un club professionnel. La signature du premier contrat professionnel représente l’étape ultime d’un tel cheminement. Un footballeur se doit donc de réussir au mieux les différentes étapes qu’il se voit proposer pour réussir une carrière : la préformation, la formation, le premier contrat professionnel, le second contrat professionnel. Mais cela n’est pas aussi évident. Il lui faut tout d’abord naviguer entre les différentes instances existantes et se frayer le chemin qui lui correspond le mieux. Il se doit également de faire état de compétences certaines dans de multiples domaines. Il sera évalué lors de son parcours sur son physique, sa technique, sa technique au service du jeu, sa tactique, son rendement dans le collectif et sur son mental. Ces éléments, aisément identifiables, objectivables, mesurables, et globaux en début de parcours se révèlent de plus en plus fins, critériés, subjectifs et difficilement identifiables.

[1] Chovaux, O., (2001). « Football minier et immigration. Les limites de l’intégration sportive dans les années trente » in STAPS, 3, n°56, pp 9-18.

[2] Plus d’une vingtaine d’entretiens menés auprès des différents acteurs de la formation au métier de footballeurs dans la région Nord / Pas-de-Calais. CTR, CTD, Directeur de centre de préformation, directeurs de centres de formation, enseignants, éducateurs, recruteurs, etc.

[3] Goffman, I., (1963, 1975). Stigmate. Les usages sociaux des handicaps. Paris, Les Editions de Minuit, 180 pages.

[4] Demazière, D., & Csakavary B., (2002). « Devenir professionnel » in Demazière, D., & Nuytens, W., Revue Panoramiques, n°61, pp 85-91.

[5] Slimani, H., (2002). « Le système de formation à la française » in Demazière, D., & Nuytens, W., (2002). Panoramiques. Un monde foot, foot, foot. Corlet, 160p.