1.La carrière « amateur » : se former et se professionnaliser

La carrière « amateur » dans un club sportif participe aux processus de formation et de professionnalisation dans la mesure où elle permet à l’étudiant de construire un capital social mais également des savoirs, des compétences et des dispositions utiles à l’accès et à l’exercice du métier. Les étudiants STAPS entretiennent souvent des relations très étroites avec le monde sportif (initiation, entraînement, ...) en tant que pratiquant et/ou bénévole. En effet, 97.4% des primo-entrants STAPS pratiquent un sport (Chevalier & Coinaud, 2008), et sont donc engagés dans une carrière « amateur ». Ils complètent souvent leur parcours universitaire par des formations complémentaires comme des diplômes fédéraux , des Brevets d’Etat d’Educateur Sportif , des diplômes d’écoles de commerce, des diplômes dans le secteur de la santé (BTS diététicien,...), diplômes dans le secteur de l’animation (BAFA , BAFD ,...), etc. L’investissement associatif sportif des étudiants semble être vécu comme un « loisir sérieux » (Stebbins, 1992), cette pratique évoluant d’une activité assidue à un travail rémunéré (entraîneur, préparateur physique, dirigeant...). L’intégration des étudiants dans les clubs soit par leurs performances sportives soit par leur engagement en tant que responsable et/ou éducateur, entraîneur participe à leur formation dans la mesure où ils acquièrent de nouvelles connaissances, nouvelles compétences concernant l’entraînement, l’éducation, le monde du travail sportif, etc. Cette carrière « amateur » peut également perturber la réussite dans les études à partir du moment où elle devient trop chronophage et maintient les étudiants dans une condition de « sportivisés » (pratique sportive régulière, compétitive ; rapport au savoir « pragmatique » et peu intellectualisant (c’est-à-dire intérêt pour des savoirs considérés comme « concrets » tels les sciences de la vie, la pratique des APSA et moins pour des savoirs nécessitant une intellectualisation comme les sciences sociales) ; tenue vestimentaire sportive (survêtement, chaussures de sport, etc.). D’autre part, cet engagement contribue à leur professionnalisation dans la mesure où ils construisent un réseau social et des comportements (capacités relationnelles (convivialité, esprit d’équipe, ...), pragmatisme ou « bon sens », ...) utiles notamment dans le processus d’accès à l’emploi. Les étudiants insérés dans les clubs ou dans les fédérations éprouvent moins de difficultés pour trouver un emploi dans le milieu de l’entraînement et de la préparation physique. Les propos d’Alexandre (diplômé d’un Master « entraînement et préparation physique », préparateur physique pour deux clubs de tennis et un comité départemental de la fédération française de tennis) semblent assez révélateur : « je dois vous dire que ce ne sont pas ces diplômes qui m’ont fait obtenir les contrats que j’ai maintenant. C’est mon BEES tennis, mes 12 ans d’expérience d’initiateurs de tennis et le réseau de relation que je me suis construit qui a payé. » Des expériences associatives, notamment les prises de responsabilités comme la présidence ou la trésorerie d’une association, peuvent également être valorisées lors des entretiens d’embauche pour des emplois en relation avec le management. Gaël (titulaire d’une Maîtrise « management du sport », actuellement directeur d’un magasin spécialisé dans la distribution d’articles de sport) nous confie : « j’ai aussi eu un profil qui collait. Aujourd’hui, je le vois en tant que directeur, quand quelqu’un vous dit qu’il a été trésorier d’une association, président d’une association, moniteur de plongée, arbitre de volley-ball ou avec des responsabilités dans le monde sportif en général, ils [les employeurs] aiment bien. Donc après, ils veulent valider au moment de l’entretien que ça concorde avec un profil de commercial et si ça concorde, normalement ils vous embauchent. »

De la même manière que l’étudiant, durant sa carrière « amateur », élabore, modifie voire renforce des dispositions, des compétences utiles à sa professionnalisation, la construction d’une compétence réflexive vient s’ajouter à ce processus.

2.Devenir réflexif

Cette étape de la carrière étudiante se caractérise par une prise de recul de la part de l’étudiant par rapport à cette dernière. Il met en perspective parcours de formation passé et à venir, expériences professionnelles, associatives voire personnelles et projets professionnels afin de s’inscrire dans un parcours de formation le plus pertinent par rapport à l’insertion professionnelle envisagée. Il mobilise également des connaissances (construites au travers de ses expériences professionnelles, associatives, de discussions avec des formateurs, des étudiants, etc.) concernant le marché du travail sportif, les mécanismes de l’insertion professionnelle, les parcours de formation, etc. L’étudiant commence réellement à se soucier de son insertion professionnelle. Il développe ainsi une compétence réflexive nécessaire pour réussir à la fois ses études et son insertion professionnelle. Cette réflexivité se manifeste cependant à des moments et dans des contextes différents selon les profils des étudiants. Trois moments de la carrière étudiante apparaissent propices à ce processus : les années de certification, la période suivant un ou plusieurs échecs à des concours et les premiers temps de l’insertion professionnelle

2.1.Les années de certification, des moments de bilans et de mise en place de stratégies de formation et/ou d’insertion professionnelle : l’exemple de l’année de Licence 3 et l’année de Master 2 en STAPS

David (diplômé d’un Master professionnel « entraînement et préparation physique », actuellement inscrit dans un Master professionnel « management ») entre en STAPS avec le projet professionnel de devenir enseignant d’EPS. Lors de son année de L3, il participe à des enseignements préparant au CAPEPS et obtient de mauvais résultats, notamment à l’oral de natation (sa spécialité sportive). Il se rend rapidement compte de la quantité de travail que représente la préparation au concours et des difficultés qu’il rencontrera pour l’obtenir étant donné son parcours antérieur (BEP, Première d’Adaptation, Baccalauréat Technologique), les caractéristiques du concours (une certaine rhétorique à intégrer) et ses contraintes financières (David a travaillé tout au long de ses études afin de pouvoir les financer et d’être autonome financièrement, ses parents ne pouvant pas l’aider). Il met rapidement en place, pendant son année de Licence 3, une stratégie pour valider à la fois la Licence « enseignement » dans laquelle il s’était inscrit mais également la Licence « entraînement et préparation physique » (David, titulaire du BEES Natation, entraîne au sein d’un club de natation depuis plusieurs années). Il valide ces deux Licences et s’inscrit l’année suivante dans une autre université en Master « entrainement et préparation physique » qu’il obtient en trois ans. Avant la fin de son année de Master 2, David commence à chercher un emploi et se heurte à certaines difficultés. Il prend conscience de la nécessité pour trouver un emploi à temps complet dans une structure sportive professionnelle d’avoir des compétences en management (marketing, communication, gestion de personnel...). A la suite de cette réflexion, il met en place une « stratégie », « se débrouille »pour reprendre ses propos afin de s’inscrire dans un Master 2 « Management du Sport ». Il est actuellement en stage et termine cette formation avec des perspectives d’embauche plus importantes. Il nous dit s’être construit un capital social « huit à neuf plus développé au cours de cette année par le biais des stages mais également des étudiants et anciens étudiants rencontrés ». Ce moment de réflexivité permet aux étudiants de remettre en perspective leur projet professionnel et de construire un parcours de formation (universitaire ou non) le plus adéquat avec l’insertion professionnelle envisagée. Ces étudiants anticipent leur insertion professionnelle. Ils utilisent les stages, leurs différents emplois, leurs expériences bénévoles pour se constituer une expérience professionnelle dans le secteur d’activités professionnelles visé mais également développer leur capital social. Ils semblent par la suite se professionnaliser plus facilement tant dans l’accès à l’emploi que dans l’exercice du métier.

2.2.La période suivant un ou plusieurs échecs aux concours

Cette remise en question se réalise chez Laure (diplômée d’un Master Professionnel « Activités Physiques Adaptées et Santé » et travaillant actuellement en tant que professeur d’APA auprès d’enfants obèses ou malades) suite à son année d’IUFM et à son échec au CAPEPS en 2005. Elle questionne son projet professionnel par rapport au contexte social (peu de postes aux concours, ses finances...) mais également ses expériences d’enseignante en établissement scolaire pendant ses stages de Licence et d’IUFM. Pour elle, ce projet professionnel de devenir enseignante d’EPS ne correspond plus avec une certaine vision du monde et plus particulièrement de l’éducation (pouvoir aider chaque personne en difficulté, « tout le monde peut tout faire »). Elle choisit de s’inscrire en Master dans la filière « Activités Physiques Adaptés » et s’intègre rapidement dans les associations en tant que bénévoles (sensibilisation auprès de personnes à risques cardio-vasculaire...) et multiplient les stages dans des institutions différentes. Pour les étudiants réussissant les concours, leur professionnalisation est fortement liée à la réussite de leur formation. Ceux échouant aux concours remettent en cause ce type de professionnalisation et changent de filière de formation. Ils investissent rapidement le milieu associatif, utilisent au mieux leur statut étudiant pour multiplier les stages afin de se professionnaliser le plus rapidement possible (l’âge commençant à devenir un facteur de pression sociale).

2.3.Les premiers temps d’insertion professionnelle

D’autres étudiants, comme Jérôme (diplômé d’une Licence « Activités Physiques Adaptées » et d’un Master Professionnel spécialisé dans la préparation physique et actuellement au chômage), entrent dans cette période de réflexivité sur sa carrière étudiante et son projet professionnel une fois leurs études terminées. La difficulté à trouver un emploi constitue l’événement déclencheur de cette remise en question. Il n’est inséré dans aucune structure sportive de haut-niveau ni fédération et ne possède ni BEES ni expérience dans ce milieu. De plus, son âge (24 ans), son parcours de formation, une certaine pression sociale (son frère de 21 ans travaille et gagne 1400€ par mois) amènent également Jérôme à se questionner sur son projet professionnel, son parcours de formation passé (et éventuellement à venir) et donc sur son insertion professionnelle. Cette réflexion, Jérôme ne l’avait jamais entreprise auparavant et avait construit son parcours de formation en fonction de la quantité de travail à fournir et des formations dispensées au sein de son université (offre réduite du fait de la taille modeste de la structure qui est une ancienne antenne délocalisée). Focalisé, dans un premier temps, sur des emplois de préparateur physique dans le sport de haut-niveau alors qu’il n’a construit aucun réseau social dans ce milieu, Jérôme commence progressivement à orienter sa recherche d’emplois vers la préparation physique mais dans les salles de remise en forme ou dans le cadre de coaching personnalisé (secteurs professionnels en plein développement) mais il rencontre également des difficultés car il ne possède ni un BEES « Métiers de la forme » ni une Licence avec la mention « Entraînement Sportif (diplômes permettant d’exercer dans ces structures). Il envisage actuellement de partir travailler une année en Angleterre pour devenir bilingue ou de partir à Paris (pour lui, il lui sera plus facile d’y trouver un emploi) pour travailler et éventuellement suivre en même temps une formation dans la publicité. Ces étudiants se préoccupent réellement de leur professionnalisation une fois leurs études terminées. Ils n’ont qu’une faible expérience professionnelle dans le secteur visé qu’elle que bénévole ou salariée. Ils n’ont pas profité de leur stage pour intégrer des structures potentiellement employeuses et commencer à se construire un réseau de relations professionnelles. Une fois leurs études terminées et après avoir pris conscience des processus relatifs à la professionnalisation, ils envisagent de mettre en place des stratégies plus adéquates.

Conclusion :

Pour une insertion professionnelle la plus rapide et optimale possible, l’étudiant se doit à la fois de se former, de réussir ses études mais également de commencer à se professionnaliser durant la carrière étudiante. Les mondes associatif et professionnel constituent également des lieux de formation et de professionnalisation importants. A l’inverse des étudiants des grandes écoles, les étudiants de l’université semblent, pendant leur carrière étudiante, peu les investir et semblent également être peu incités à le faire. Les étudiants STAPS, à l’instar de ceux en musicologie, constituent cependant une population à part au sein du système universitaire du point de vue de leur pratique « amateur » : 97.4% des étudiants STAPS pratiquent un sport alors qu’en moyenne 31.2% des étudiants n’ont pas de pratique « amateur » (Chevalier & Coinaud, op.cit.). Ils constituent une population intéressante pour étudier notamment la place de cette carrière « amateur », des mondes associatif et professionnel (qui peuvent dans certains cas se recouper) dans la formation et la professionnalisation du futur professionnel.

Bibliographie :

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Chevalier V. (1998). « Pratiques culturelles et carrières d’amateurs : le cas des parcours des cavaliers dans les clubs d’équitation », Sociétés contemporaines, n° 29, pp. 27-41.

Chevalier V. et Coinaud D. (2008), « Carrières d’amateurs et cursus univeristiaires :le sens multiple des parcours des étudiants STAPS », In Cart B., Diret

J.-F., Grelet Y. et Werquin P. (Eds.), Derrière les diplômes et certifications, les parcours de formation et leurs effets sur les parcours d’emploi, Relief, n° 24.

Hughes, E.C. (1996). Le regard sociologique. Essais choisis. Paris : École des Hautes Études en Sciences Sociales.

Le Mancq F. (2007), “Des carrières semées d’obstacles : l’exemple des cavalier-e-s de haut-niveau », Sociétés contemporaines, n° 66, pp. 127-150.

Stebbins R. A. (1992). Amateurs, Professionnals and Serious Leisure. Montreal and Kingston, McGill-Queen’s University Press.