« Ceux d’entre nous qui colportent un savoir managérial doivent

dire la vérité. Nous devons reconnaître que nous ne proposons

pas de solutions miracles, juste des idées susceptibles

de rendre le travail des managers un peu plus facile. »

J.Pfeffer et R.Sutton, Faits et foutaises, Vuibert, 2007

 

Il y a plus de 15 ans nous constations que les échanges entre le sport et l’entreprise en matière de gestion des ressources humaines pouvaient être réciproques en raison de logiques convergentes (Barbusse, 1997). Une analyse socio-historique nous avait permis de montrer que des entrepreneurs dès la fin du 19ème siècle s’inspirait du sport en matière d’encadrement des salariés. L’idée de rapprocher ces deux mondes que sont l’entreprise et le sport n’est donc pas nouvelle. Ce qui en revanche a évolué c’est l’importance prise par cette thématique au sein du monde entrepreneurial.

L’intervention d’entraineurs sportifs ou de coachs sportifs en entreprise est une des modalités d’usage du sport par l’entreprise (Barbusse, 1997, 2002, 2009 ; Pierre, Pichot, Burlot, 2011) qui est devenue si courante qu’un marché autour de cette activité s’est constitué. Du côté de la demande, nous trouvons des entreprises, et du côté de l’offre des intermédiaires spécialisés en événementiel, marketing sportif, communication, gestion de marque ou de célébrités, dont une des activités consistent à proposer les services ponctuels de nombreux entraineurs sportifs ou athlètes.

Dans cette communication, nous nous limiterons à interroger l’intervention en entreprise des entraineurs ou coachs sportifs. Plus qu’à la figure de l’entreprise en tant que forme organisationnelle, c’est à l’ensemble de la fonction managériale que les coachs sportifs s’adressent comme le montrent de nombreux ouvrages (Missoum, Minard, 1990, Whitmore, 1994, Bellenger, 2003, Villepreux, Lafon, 2007, Delmas, F.Leccia, L.Roche, 2007, Bouvet, 2009).

Dans cette communication nous interrogerons la pertinence de ce phénomène. Après avoir caractérisé la réalité du phénomène, il s’agira en effet de prendre de la distance par rapport à cette pratique de l’intervention en entreprise et plus particulièrement par rapport au coaching sportif que l’on confond si souvent avec le management sportif. Est-il pertinent que des entraineurs sportifs ayant réussi sportivement témoignent auprès de managers d’entreprise ? Que révèle ce rapprochement sur l’entreprise mais aussi sur le sport professionnel français ?

Sur le plan méthodologique, nous nous appuierons sur une analyse d’entretiens formels d’entraineurs sportifs professionnels que nous avons menés pour la parution d’un livre sur le métier d’entraineur[1] et notre posture de participation observante que nous avons pu assurer pendant six ans[2] au cœur du sport professionnel ainsi que sur une enquête menée entre 2002 et 2005 au sein d’un staff professionnel (Barbusse, 2006).

 

L’intervention des coachs sportifs en entreprise : une réalité plurielle

 

Les entraineurs de football Gérard Houillier, Michel Hidalgo, Guy Roux font partie des précurseurs. Ils ont commencé à intervenir en entreprise dès la fin des années 1980 et au début des années 1990. Puis à la fin des années 1990, d’autres entraineurs sont venir grossir les rangs de ceux qui pouvaient prétendre venir discourir sur leur expérience sportive : Aimé Jacquet (football), Daniel Herrero (rugby), Jean-Pierre de Vincensi (basket), Jean-Claude Perrin (athlétisme), Pierre Villepreux (rugby), Yannick Noah (tennis)…Dans les années 2000, le phénomène s’est davantage amplifié avec l’arrivée sur le marché de l’intervention en management de Daniel Costantini (handball), Bernard Laporte (rugby) puis Guy Novès (rugby), Claude Onesta (handball), Marc Lièvremont (rugby), Fabien Galthié (rugby), Stéphane Traineau (judo)…pour les plus connus. Car on constate en effet une segmentation du marché de l’intervention sportive et en particulier la formation de deux marchés.

Le premier est aujourd’hui parfaitement institutionnalisé. Il s’est organisé avec l’arrivée d’intermédiaires[3] dont une des façettes du métier est de placer les entraineurs sportifs en répondant aux demandes d’entreprises. Toutes ces entreprises proposent un stock d’entraineurs sportifs et de personnalité sportives qui peuvent intervenir en entreprise en fonction d’un besoin singulier. Une minorité d’entre eux ont créé leur propre structure[4].

Pour la majorité de ceux qui ne sont plus entraineurs (certains sont à la retraite, d’autres occupent une autre fonction dans le sport ou non), cette activité représente une source de revenu non négligeable qui dépasse largement les salaires qu’ils ont pu toucher auparavant. Ils peuvent faire entre 30 à 40 interventions par an. Pour ceux qui exercent encore leur métier d’entraineur, cela constitue un complément de salaire et une source de capital social qui leur sera peut-être utile quand ils arrêteront leur carrière[5]. Dans ce cas, ils peuvent aussi réaliser entre 30 à 40 interventions par an. Les tarifs pratiqués sont variables en fonction de la visibilité de l’intervenant et des interlocuteurs. Cela peut aller de 5000 euros à 15000 euros pour des interventions de 1 à 3 heures.

On constate ces dernières années une professionnalisation de ce type d’activité. Avec le temps, ils se spécialisent sur des thèmes particuliers : gestion du stress, de la réussite, de l’échec, des conflits, management d’une équipe, d’un projet, gestion des talents… Ils préparent longuement leur intervention, structurent leur propos, identifient les meilleurs anecdotes à raconter, celles qui feront réagir l’auditoire, les formules à répéter, celles que le client retiendra et finissent par acquérir à force de répétitions des compétences de conférenciers. Ils reconnaissent d’ailleurs volontiers que c’est un métier à part entière qui nécessite un apprentissage, un entrainement avant de devenir un professionnel de l’intervention.

Sur le deuxième marché on trouve des entraineurs professionnels qui interviennent plus occasionnellement et localement. Ils sont moins connus du grand public mais fort d’une visibilité locale, ils interviennent en entreprise souvent à la demande de leur club. L’intervention des entraineurs professionnels fait en effet de plus en plus partie des modalités d’activation du contrat de sponsoring qui lie un club à une entreprise. Dans ce cas, ils sont bien souvent non rémunérés car cela fait partie du contrat de sponsoring mais on peut trouver des cas de figure où il s’agit d’une prestation de service indépendante. Dans ce cas, l’entraineur intervient grâce à son club-employeur mais en son nom personnel ou non. Il peut alors toucher une rémunération mais qui est très inférieur aux tarifs du premier marché.

Quel que soit le marché considéré, il s’agit d’une activité exclusivement masculine. Cela s’explique par le fait que le métier d’entraineur sportif est à dominante masculine (Barbusse, 2012). Si ce sont tous des hommes, on peut souligner également qu’ils encadrent ou ont encadré également exclusivement des hommes. On peut également constater que ce sont les entraineurs de sports collectifs, et parmi eux ceux de rugby, qui sont les plus prisés.

 

Un rapprochement pertinent ?

 

            Le mensuel de ressources humaines,Liaisons sociales,n’hésitait pas au début des années 2000 à présenter Aimé Jacquet comme étant « le coach idéal »[6], celui qui pouvait inspirer les managers contemporains. Ce type de raccourci est révélateur de la non connaissance du milieu sportif et contribue à installer une confusion courante entre coaching sportif et coaching d’entreprise.

            En effet, le coaching en sport n’a rien à voir avec le coaching en entreprise. Dans sa première acception, le coaching dans le sport, ce qu’on appelait autrefois « le managérat », c’est l’art de savoir intervenir pendant la compétition sportive. C’est donc en quelque sorte une réactivité de l’instant. Dans certains sports, comme les sports collectifs, il est plus facile de faire du coaching car les entraîneurs ont l’autorisation d’intervenir en compétition (en parlant aux sportifs, en donnant des consignes, en réalisant des changements de joueurs). Dans les sports individuels, comme l’athlétisme, le judo, le ski ou la natation, où la confrontation ne dure pas longtemps et où le contact avec l’entraîneur est compliqué par la distance ou la brièveté de l’événement, le coaching est nécessairement limité voire absent. Dans des disciplines comme le tennis, il est interdit sauf quand il se pratique en équipe comme dans le cas de la Coupe Davis ou la Fed Cup. Dans d’autres encore comme le cyclisme ou la F1, il peut être facilité par l’usage des technologies de la communication. En tout état de cause, le coaching en sport n’a rien à voir avec le coaching d’entreprise que l’on peut définir comme étant un accompagnement personnalisé dans le cadre professionnel qui vise à accroitre les compétences du coaché. Celui-ci se fonde exclusivement sur la méthode interrogative et non impérative (Whitmore, 1994) à l’opposé du coaching en sport. Un coach n’est pas celui qui dicte le comportement du coaché mais au contraire celui qui le guide en l’aidant à progresser par lui-même et c’est d’ailleurs pour cette raison que le questionnement est la technique de prédilection du coach d’entreprise.

Par conséquent et pour résumer, si l’entraineur est parfois dans un rôle de coach il ne s’agit en rien d’un coach d’entreprise. Bien au contraire comme nous avons pu le montrer ultérieurement (Barbusse, 1997, 2012 a), les entraineurs sportifs développent souvent un mode de management autoritaire. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’un nombre de plus en plus important d’entre eux suive des formations au coaching. Mais il faut surtout rappeler qu’un des initiateurs du coaching, Timoty Gallwey, a imaginé cette nouvelle manière de faire pour pallier les insuffisances managériales des entraineurs sportifs (Whitmore, 1994) ! Si le coaching vient du sport ce n’est pas en tant que modèle d’encadrement mais en tant que grand absent. Et d’ailleurs, lorsque les premiers entraineurs ont été sollicités par les entreprises, ils avouent qu’ils ont été les premiers surpris par l’intérêt que leur portait cet univers inconnu pour eux.

            Mais le coaching dans le sport peut prendre une deuxième acception. C’est aussi ce que l’on appelle aujourd’hui le coaching sportif qui n’est ni plus ni moins une activité d’entrainement sportif. Ce sont souvent des entraineurs ou des préparateurs physiques qui œuvrent en dehors du milieu sportif (à domicile, en entreprise, en association…) dans le cadre d’une activité indépendante. Là aussi rien à voir avec le coaching d’entreprise.

            Comme on peut le voir, le manager d’entreprise n’a pas plus besoin du coaching tel qu’on l’entend dans le sport que du coaching sportif. S’il y a pertinence à rapprocher le sport de l’entreprise en matière de management ce n’est donc pas l’entraineur-coach ou le coach sportif auquel il faut faire appel mais au manager sportif. Et les auteurs d’ouvrage qui traitent de la question ne s’y trompent pas en faisant référence depuis le milieu des années 2000 (Villepreux, Lafon, 2007 ; Delmas, Leccia, Roche L, 2007 ; Bouvet, 2009) à la figure du manager ou du leadership et non plus à celle du coach. Cela correspond au moment où le métier d’entraineur a évolué considérablement (Barbusse, 2012 b) vers celui de manager sportif. Cette évolution s’est produite surtout dans le cadre des sports collectifs ou de sports individuels pratiqués dans un cadre collectif. Dans ce cas nous avons donc des managers qui s’adressent à des managers.

Mais pour autant pouvons-nous considérer qu’ils font le même métier ? Si leur activité consiste à encadrer des individus en vue d’obtenir d’eux un certain type de résultats, leurs contextes d’action sont-ils totalement comparables ?  Les cadres sociaux d’action[7] au sens de Goffman (1991) sont-ils à ce point similaires que la pertinence du rapprochement devienne une évidence que l’on n’a pas besoin d’interroger ?

Pour répondre à ces questions, nous devons partir des singularités du milieu sportif professionnel. Quand on identifie les raisons avancées pour légitimer les rapprochements sport-entreprise, on constate que ce sont les similitudes qui sont mises en avant : recherche de la performance, contexte d’incertitude, de compétition, esprit d’équipe…Les différences sont rarement évoquées alors qu’elles sont nombreuses. Tout se passe comme s’il n’était pas indispensable de caractériser précisément les particularités du sport professionnel, comme si ces dernières n’avaient aucune importance sur le mode d’encadrement mis en œuvre dans cet univers.

En nous appuyant sur notre longue période d’immersion dans le sport professionnel, nous avons constaté trois singularités importantes sur le plan managérial qui relativisent de facto la pertinence des interventions d’entraineurs sportifs auprès de managers d’entreprise. La première concerne les individus encadrés. Dans le sport professionnel, les managers sportifs encadrent des experts c’est à dire des individus qui ont un haut degré de qualification. Parmi eux, on trouve bien sûr les sportifs mais aussi tous ceux qui font partie du staff (médecins, kinésithérapeutes, préparateurs physiques, analystes vidéos, préparateurs mentaux, diététiciens, ostéopathes, nutritionnistes, entraineurs spécialisés…). Qu’ils soient sportifs ou non, ce sont les meilleurs dans leur « art » que les managers encadrent. Ils ont aussi comme point commun d’être tous des passionnés de sport au point qu’ils n’ont pas l’impression de « faire un travail » comme les autres mais plutôt la chance de vivre de leur passion. Ils ont par conséquent tous un haut niveau d’engagement dans leur travail. Cette hyper-implication facilite grandement la recherche de performance. Même s’il existe une convention collective du sport et des accords sectoriels, il est en effet fréquent de ne pas les respecter au niveau des horaires de travail car la compétition et l’amélioration continue des performances sportives l’exigent. Un sportif peut ainsi de son plein gré rester après un entrainement pour répéter ses gammes ou faire une séance supplémentaire de musculation, ou de récupération, travailler pendant des jours fériés. Pour ceux qui composent le staff, il en va de même. Tous se subordonnent à l’exigence de résultats sans que l’employeur ou le manager sportif n’aie besoin de demander quoi que ce soit. Dans ces conditions, il est « naturel » d’exiger parfois l’impossible des salariés encadrés[8] car cela fait partie de la culture sportive de haut-niveau, l’hyper-implication étant la norme avec tous les inconvénients qui en découlent.

La deuxième particularité tient aux modalités de reconnaissance en œuvre. Sur le plan salarial, les sportifs professionnels, et encore plus les internationaux qui sont les meilleurs des meilleurs, ont des niveaux de salaire particulièrement élevés par rapport à certains encadrants d’entreprise qui font partie du « middle management » et ce même s’il existe des différences importantes selon les disciplines sportives. Par ailleurs, ils peuvent avoir de nombreux avantages en nature (appartement, voiture, emploi pour leur compagne, téléphone portable…). Sur le plan symbolique, il faut rappeler que l’on se trouve dans un secteur particulièrement médiatisé nationalement et localement. Il est fréquent pour un sportif, son équipe de figurer dans la presse, d’être interviewé par un journaliste, de passer à la télévision. Il existe également dans le sport de nombreuses occasions de recevoir un prix, un trophée collectif certes mais aussi individuel. Autant de leviers de reconnaissance sociale que l’entreprise ne peut pas proposer à ses salariés et qui sont des contreparties symboliques permettant aux sportifs de supporter les nombreuses souffrances (mentales et physiques) endurées durant le processus de production de la performance[9].

Enfin les conditions managériales sont pour beaucoup différentes de l’entreprise. Sur le plan de la gouvernance, une organisation sportive (fédération, club) dispose d’une structure hiérarchique relativement plate. Il existe au maximum 4 niveaux hiérarchiques entre le sportif et le président. Les injonctions paradoxales sont donc rares. On peut noter également qu’il existe un fort respect de la hiérarchie (Président, Coach, Capitaine). Enfin, au niveau du collectif de travail, les interactions interpersonnelles sont quotidiennement permanentes même si elles sont variables d’un sport à l’autre compte tenu de la différence quantitative d’individus composant une équipe sportive. Par conséquent, les personnes se connaissent parfaitement sur le plan comportemental car ils passent beaucoup de temps ensemble dans des situations extrêmement variées (de réussites, d’échecs, de souffrances, de joies…). Enfin, il faut rappeler que le mode de management prédominant dans le sport professionnel est de nature plutôt autoritaire et dirigiste que participatif et impliquant. Il n’est pas rare d’entendre hurler sur un terrain, au bord d’un bassin, dans un vestiaire, pendant des temps morts parce que des consignes n’ont pas été appliquées comme il aurait fallu, des scènes que l’on ne voit pas ou rarement en entreprise. Dans le même registre, le code sémantique utilisé est plus proche du vocabulaire militaire que de celui de l’entreprise.

Autant de singularités qui expliquent pourquoi on ne peut pas faire du « copier/coller » entre le management sportif et le management en entreprise.

                       

Ce que le rapprochement révèle sur le sport professionnel et l’entreprise

 

A la recherche de nouveaux modèles managériaux l’entreprise n’hésite plus à franchir ses frontières à la recherche de nouvelles figures de la performance. On peut noter en effet que tous ceux qui interviennent ont gagné de nombreux titres dans un contexte concurrentiel et compétitif fort[10]. Ce faisant, l’entreprise souhaite favoriser une analyse réflexive des modes managériaux à partir de savoirs expérentiels car ce sont en effet avant tout des savoirs pragmatiques qui sont diffusés (Pierre, Pichot, Burlot, 2009).

Pour autant, les variables de l’expérience et de la réussite ne suffisent pas pour légitimer ce type d’intervention. En effet, le capital de visibilité (Heinich, 2012) est essentiel pour ne pas dire premier. Il faut avant tout être connu et reconnu pour intervenir en entreprise notamment sur le premier marché. Comme cela a été souligné lors de l’enquête par une société de placement de « personnalités » sportives : « il faut avoir un nom »[11]. Et d’ailleurs, la plupart de ces sociétés n’hésitent pas à vendre de plus en plus des « personnalités » et des « célébrités ». Un certain nombre de détails montrent que tout se passe comme si le fait de créer l’événement-spectacle comptait davantage que la diffusion de savoirs : l’importance du charisme de l’intervenant, la mise en scène de l’événement (lieux prestigieux, sacralisation du moment…) (Pierre, Pichot, Burlot, 2009), la forte notoriété de la personnalité, les séances de signatures d’autographe. Peu importe que les discours des intervenants ne soient pas de type performatif au sens d’Austin (Pierre, Burlot, Pichon, 2011) ou qu’il soit déformé, incomplet[12] car ce mode d’action renvoie à La société de spectacle de Guy Debord : « Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images » (Debord, 1992, p. 16.). L’intervention des entraineurs sportifs (et plus largement des « personnalités sportives ») au service d’un activisme communicationnel relèverait alors de pratiques manipulatoires des individus (Le Goff, 1995) visant à diffuser « des prêt-à-penser, à-parler et à-faire » pour le compte de l’idéologie managériale (Mispelblom Beyer, 2006).

En outre, le contenu délivré (Pierre, Pichon, Burlot, 2009, 2011) n’a rien d’exclusif à l’univers sportif. On retrouve en effet les mêmes compétences mises en valeur par des cadres et ingénieurs d’entreprise (Le Goff, 1996).

Du côté du sport, on constate que ses acteurs ont bien compris l’intérêt pécuniaire qu’ils ont à intervenir dans l’entreprise et certains, comme Claude Onesta, ne s’en cachent pas. C’est un pas de plus vers la marchandisation du sport. Officiellement c’est de l’expérience sportive qui est vendue ici mais on a constaté plus haut que c’est un capital visibilité qui est rentabilisé. C’est donc également un levier de reconversion professionnelle et/ou d’activité lucrative non négligeable qui ne manque pas de renforcer le capital de visibilité de ces figures idéalisées de la performance.

 

Au bout du compte, comme nous le suggérions déjà en 1997 dans notre thèse, « il semble prudent de s’extraire des discours manichéens qui vantent systématiquement les atouts du sport » (Pierre, 2011, p 50). Le management sportif n’est pas plus vertueux que les autres types de management. L’intervention des entraineurs sportifs en entreprise reste d’abord au service de l’idéologie managériale. Cela ne signifie pas qu’il ne peut pas y avoir d’échanges entre ces deux univers sur le plan managérial. Mais si tel est le cas, il ne faut pas oublier de rappeler qu’il n’y a pas de modèle managérial idéal, pas plus dans le sport qu’ailleurs. « En matière d’encadrement il n’y a pas de droit chemin. (…) il n’y a pas d’encadrement parfait, pas d’encadrement sans erreurs, pas d’encadrement qui n’aille un peu de travers » (Mispelblom Beyer, 2006, p 279).

           

 

Bibliographie

 

Barbusse B., « De l’entraineur au manager sportif », Jurisport N°124, Octobre 2012, p 44-47, 2012 a.

Barbusse B., Etre entraîneur sportif, Editions Lieux Dits, Collection Être, Lyon, 2012 b.

Barbusse B., « Entre sport et entreprise, une attirance réciproque », L’Expansion Management Review, n°134 septembre 2009.

Barbusse Béatrice, « Le management des professionnels du sport. Le cas d’un club de handball », Revue Française de Gestion, « Le management des professionnels (coordonné par M.Thévenet), numéro 168-169, novembre-décembre 2006, p. 107-123.

Barbusse B., « Sport et entreprise : des logiques convergentes ? », L’Année Sociologique, « Sociologie du sport en France, aujourd’hui », Volume 52/2002-n°2, p.391-415.

Barbusse B., 1997, Sport et entreprise : des apports réciproques en matière de gestion des ressources humaines, Thèse de doctorat en sociologie, Université Paris V.

Bellenger L.,  Comment managent les grands coachs sportifs, Des pistes concrètes pour le coaching en entreprise, ESF Editeur, 2003.

Bouvet P., Le Golf et le Management, Economica, 2009.

Debord G., La société de spectacle (1967), Gallimard, 1992.

Delmas J., Leccia F., Roche L., Le management à l’école du rugby, Retrouver les fondamentaux du management, Dunod, 2007.

Goffman E., Les Cadres de l’expérience, Editions de Minuit, 1991.

Heinich N., De la visibilité, Excellence et singularité en régime médiatique, Editions Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 2012.

Le Goff JP., Le mythe de l’entreprise, critique de l’idéologie managériale, La Découverte, 1995.

Le Goff JP., Les illusions du management, pour le retour du bon sens, La Découverte, 1996.

Missoum G., Minard JL., L’art de réussir. L’esprit du sport appliqué à l’entreprise, Les Editions d’Organisation, 1990. 

Pierre J., « La mise en valeur(s) du sport par les revues de management »,
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Pierre J., Pichot L. et Burlot F., « Le sport en entreprise au service des pratiques managériales », Communication, vol 28/1, 2011.

Pierre J., Pichot L. et Burlot F., « La construction de savoirs managériaux en entreprise avec recours aux conférenciers sportifs », in « Les savoirs de l’intervention en sport : entre sciences et pratiques », Sciences de la Société, n°77, mai 2009, pp 122-135.

Villepreux P. et Lafon V., Pour un autre leadership, Village Mondial, 2007.

Whitmore J., Coaching, les techniques d’entraînement du sport de haut niveau au service des entreprises,Maxima, Laurent Du mesnil Editeur, 1994.

 



[1] Béatrice Barbusse, Etre entraîneur sportif, Editions Lieux Dits, Collection Être, Lyon, 2012

[2] J’ai assumé des fonctions de présidente d’un club professionnel masculin de handball (2007-2012) ayant été plusieurs fois champion de France. J’ai été vice-présidente de l’Union des Clubs Professionnels de Handball et vice-présidente de la Ligue Nationale de handball, l’instance régulatrice du handball professionnel français masculin. Dans le cadre de ces fonctions, j’ai cotoyé de nombreux entraineurs intervenant en entreprise dont Claude Onesta, Daniel Costantini, Pierre Villepreux, Philippe Gardent, Thierry Anti, Stéphane Traineau, Jean-Pierre de Vincenzi …

[3] On peut citer parmi les principales sociétés de placement : Paroles d’experts, Adgency Experts, Entourages Conseils, Brand & Celebrities, Unique et différent, Espontanéo, Sella Communication, RivaCom, Team One, VIP Consulting, Plateforme, Sponsorise.me

[4] Stéphane Traineau a créé avec sa femme Carré Final dont une des activités est de promouvoir la communication par le sport aussi bien en interne qu’en externe.

[5] Il faut préciser ici que la fonction d’entraineurs professionnels est une fonction « fusible ». Pour en savoir plus voir Barbusse, 2012.

[6] Liaisons sociales, / Magazine, janvier 2001

[7] Le cadre est selon Goffman ce qui donne une certaine signification à une action, événement. C’est ce qui permet de rendre compréhensible un acte apparemment banal et neutre. Et selon Goffman, tout cadre social dans lequel des individus se meuvent a ses propres règles.

[8] On peut noter d’ailleurs la quasie-absence de dialogue social dans l’univers sportif et d’action collective.

[9] Et d’ailleurs, les souffrances engendrées dans le milieu sportif par la recherche permanente de l’excellence et de la performance et par un type dominant de management autoritaire restent à étudier de manière approfondie mais ce qui est sûr c’est qu’elles existent.

[10] On oublie au passage qu’ils ne sont pas des hommes providentiels et que les facteurs de performance sont fort nombreux et variés. Voir à ce propos l’excellent ouvrage de J. Pfeffer et R. Sutton, Faits et foutaises dans le management (Vuibert, 2007), et en particulier le chapitre 8.

[11] Forte de ma double compétence, pour l’enquête j’ai postulé auprès d’une société de placement en offrant mes services. Il m’a été répondu que malgré une expérience et un CV fort intéressant, les entreprises recherchaient avant tout « un nom ». 

[12] Les interventions de courte durée souvent ne permettent pas de rentrer véritablement dans la complexité des situations vécues. En outre, il s’agit bien souvent de souvenirs plus ou moins lointains qui ont de grande chance d’avoir été déformés.