Auteur : Nicolas Lefèvre
Les discours indigènes dans l’univers du cyclisme d’élite se plaisent à rapporter que « le cyclisme n’est pas un métier comme un autre », en ce sens qu’il demande un investissement total dont la spécificité est d’enfermer ceux qui l’exercent dans un espace séparé du monde profane (Lefèvre, 2007). Comme le soulignait Emile Durkheim (2003), « en raison de la barrière qui sépare le sacré du profane, l’homme ne peut entrer en rapports intimes avec les choses sacrées qu’à condition de se dépouiller de ce qu’il y a de profane en lui » (p.441). Les conditions d’accès à l’élite cycliste sont donc intiment liées à tout un ensemble de processus de séparation fait de ruptures et de reniements avec toutes les pratiques de la vie ordinaire afin de se conformer aux exigences d’une pratique d’élite exclusive et intensive. Dans ce cadre, la constitution du capital spécifique propre à l’espace du cyclisme d’élite repose sur l’adoption de comportements qui trouvent leur fondement dans le respect d’une morale ascétique. Celle-ci prend forme dans l’incorporation de normes et valeurs qui imposent un investissement intense accaparant objectivement et subjectivement toutes les dimensions de la vie du coureur. Ce qui est alors traduit dans une « hygiène de vie » à laquelle ce dernier doit s’astreindre au quotidien fonctionne comme principe générateur de l’habitus professionnel. A travers cela, les prétendants au métier acceptent tout un ensemble de violences physiques et symboliques pour répondre aux exigences qu’impose le métier. Si l’adhésion à une culture somatique et la construction d’un hexis corporel rend compte des premières, les secondes prennent formes dans l’adoption d’un style de vie à contre temps et contre espace qui relègue au second plan les pratiques de la vie ordinaire. Partant d’enquêtes qualitatives et quantitatives , nous proposons d’éclairer ici les conditions sociales de production et de réception de ces violences.