Auteur : Loirand Gildas

S’agissant de contribuer à un débat entre sociologues sur la sociologie sport, on voudrait ici mettre en question - et donc critiquer - les modalités par lesquelles une certaine sociologie ou socio-économie « critique », plus ou moins fortement inspirée de l’œuvre de Pierre Bourdieu, tend spontanément à penser et construire les relations entre le sport et l’économie ou plus exactement, comme s’il y avait là quelque chose d’éminemment pathologique, les « effets pervers » que l’influence croissante de « l’argent » sur le sport serait censée produire mécaniquement, un peu comme si l’argent du marché était comme par nature immoral et en cela invariablement destructeur des activités sociales qu’il investit. A cet égard, le texte programmatique de Pierre Bourdieu L’Etat, l’économie et le sport - texte publié en 1998 et dont se réclament ou s’inspirent en nombre de cas les modèles explicatifs et les postures que l’on souhaite discuter - sera convoqué comme une sorte d’analyseur des dérives interprétatives et des dangers auxquels, selon nous, ne manquent pas d’aboutir ces travaux sur les rapports entre économie et sport qui, finalement plus « politiques » que « savants », pour reprendre la classique dichotomie weberienne, tendent à relever davantage d’une sociologie morale coupée de toute vérification empirique systématique de ses assertions que d’une sociologie scientifique résolument attachée à les mettre à l’épreuve des faits. Aussi, on voudrait montrer, en confrontant les énoncés produits dans le texte précité à quelques résultats synthétiques de travaux empiriques conduits sur les rapports entre Etat et sport ou encore sur les relations de travail qui s’y observent, qu’il y a toujours des risques difficilement contrôlables à s’engager dans l’analyse sociologique des relations entre « sport » et « argent » à partir d’un « point de vue de justice », pour emprunter une expression à Luc Boltanski. Pour autant, il s’agira aussi d’exprimer que ce n’est pas parce que Pierre Bourdieu a pu afficher des postures maladroites en assertant sur les relations entre l’Etat, l’économie et le sport que les théories qu’il a forgées ne sont pas adéquates pour penser sociologiquement ce type de relations. Dans le même mouvement, il sera aussi question, en filigrane, de suggérer à ceux qui tendent à se réclamer de l’œuvre de Pierre Bourdieu pour se trouver une « raison d’agir » contre les nouveaux modes économiques de structuration du sport, que la « dénonciation » systématique de la perversion des valeurs sportives par les forces du marché, loin de relever de la critique sociale rationnelle, participe finalement davantage à la conservation de l’ordre sportif national qu’à sa remise en cause.