Cette communication concerne le rapport entre corps, techniques et environnement à travers le cas des pratiques sportives de nature dites extrêmes. Activité hybride de randonnée, d’escalade, de spéléologie et de nage en eau vive, le canyoning, ou canyoneering en anglais américain, consiste à descendre à pied ou à la nage et en rappel de corde, un cours d’eau encaissé appelé canyon.

Au départ, la recherche expose le clean canyoneering, une variante née il y a une dizaine d’années dans les Montagnes Rocheuses états-uniennes que l’on peut traduire par canyoneering propre. Le clean canyoneering consiste à ne pas poser de points fixes dans la roche au départ des cascades. Il s’agit de fixer sa corde de descente sur un arbre, un bloc sanglé, ou dans les failles du rocher (nœud, pièce de bois auto-bloquante, petit crochet). A l’origine de cette pratique se trouve un article publié en mars 2001 dans le magazine américain USA Canyoneering. L’auteur de ce texte, Dave ou David Black tente de faire école, et autour de lui plusieurs groupes se forment. Actuellement, il est auteur de livres, d’articles ou d’interviews dans la presse de montagne en Amérique du Nord.

Or, par delà, une pratique clean de la descente en canyon, la tendance évolue vers une activité sans aucun outil (ni corde, ni crochet, ni sangle), uniquement basée sur les techniques du corps, le free canyoneering. L’idée consiste à ne pas utiliser de corde pendant la descente. Pour descendre une verticale, plusieurs techniques corporelles sont décrites : elevator drop (littéralement : gouvernail de chute) consiste à se laisser tomber dans une cheminée sans corde, mais en ralentissant sa chute à l’aide des pieds, des bras, et par friction des vêtements sur la roche ; le matrix move (le mouvement de Matrix), c'est-à-dire contourner une vasque sans descendre à l’intérieur en utilisant la force centrifuge pour courir sur les parois de roche tout autour. Le free canyoneering devient une progression uniquement basée sur les techniques du corps, un parallèle évident avec l’escalade en solo intégral et une prise de risque importante.

 

Méthodologie, personnes interrogées, corpus, méthode d’investigation et d’analyse:

Ce travail entrepris depuis 2007 utilise des sources écrites (articles de presse, textes mis en lignes, ouvrages de canyoneering) et plusieurs observations participantes avec des phases d’entretiens avant, pendant et après l’activité. Prises de photographies. Démarche géographique et ethnographique sur le terrain puis étude de témoignages (sud-ouest des Montagnes Rocheuses, Utah, USA).

 

Données théoriques et principaux éléments de la problématique :

A travers l’étude de cette émergence du free canyoneering, il s’agit d’interroger la possibilité d’une forme de retour vers les techniques du corps après une phase d’instrumentation (cordes, sangles, baudriers…) voire de technologisation (GPS, Arva, eco-compteur de fréquentation). Une évolution qui semble venir des plus experts de l’activité à l’inverse des touristes ou débutants proches d’une sécurisation maximum. Une observation singulière lorsqu’on pense que l’un des leaders de groupe, Tom Jones, se trouve directeur d’un magasin de matériel de montagne. Contrairement à certaines attentes, le renouvellement des usages de l’environnement parmi ces experts ne passe pas au travers d’un perfectionnement technique ou technologique. Dans le jeu des tendances d’humanisation des techniques et/ou de technicisation des humains, entre artificialisation des humains ou naturalisation des techniques, ce travail met en évidence un certain retour sur une question ancienne que Mauss avait abordé sous le nom générique de techniques du corps. Le rejet des outils puis des technologies focalise l’attention sur le corps, mais toujours au prisme de la société qui vient y inscrire ses valeurs, écologie, pour ne pas dire « développement durable » ou à l’inverse « impératif sécuritaire ».

Ainsi, l’étude envisage les formes de relation à l’environnement dans l’activité de free canyoneering, en cette wilderness états-uniennes, et les formes de relation aux autres notamment selon qu’ils appartiennent –ou non– aux groupes de free canyoneering.