De la complémentarité des théories de l’acteur-réseau et de l’analyse structurale des réseaux pour l’étude des pratiques de loisirs motorisés hors route
lundi 13 juin 2011, par Lisa Haye (contributeur)
Notre propos vise à montrer l’utilité de repenser les cadres de réflexion habituels des Sciences et Techniques de Activités Physiques et Sportives (STAPS) pour comprendre une réalité complexe telle que celle des pratiques de loisirs motorisés hors route. Nous étudierons l’intérêt de la notion de réseau pour saisir les relations qui se nouent et leurs conséquences sur le cours de l’action.
Un point sur la littérature dans le domaine des loisirs sportifs de nature
La majeure partie des études en sociologie du sport, et plus spécifiquement des sports de nature, porte sur des analyses internes des pratiques, soit qu’elles s’intéressent à « l’espace des sports » (Pociello, 1981), soit qu’elles s’intéressent au développement et au fonctionnement d’une activité donnée ainsi qu’à l’identité et/ou à la socialisation de ses pratiquants (Bessy, 2005 ; Knobé, 2007 ; Chevalier et Dussart, 2002). Les interactions avec les autres pratiques de loisir ou bien les milieux, tant naturels qu’humains, semblent peu investiguées. Quand « l’environnement » - au sens de la sociologie des organisations – est pris en compte, il se trouve être extérieur à la pratique et sans prise possible pour les organisations lorsqu’il s’agit du macro-environnement. L’environnement est donc rarement considéré comme faisant partie intégrante et étant intimement liés aux phénomènes relatifs aux activités sportives de loisir.
Un certain nombre d’études en sociologie du sport ont été réalisées dans une perspective « bourdieusienne » (Clément, 1994). De nombreux travaux ont repris la notion d'espace des sports développée par Pociello (1981) – en échos aux travaux de Bourdieu – et ont travaillé sur la définition des pratiques légitimes dans le champ de sports. Ainsi, des chercheurs se sont intéressés à la place des sports de nature dans le champ des sports, à l’instar d’Olivier Hoibian dont les analyses ont porté sur la place des loisirs sportifs de montagne au sein du champ des sports (2004). D’autres se sont intéressés aux luttes symboliques au sein de certaines activités pour l’appropriation légitime d’un espace de pratique tel que la mer (Créac’h et Sébileau, 2004). Les sports de nature sont ici abordés pour eux-mêmes ou bien au regard des autres pratiques sportives mais semblent être relativement déconnectés du milieu (naturel et humain) dans lequel ils se déroulent.
Cette absence de prise en compte du milieu n’est plus vraie pour les recherches dont l’approche théorique repose sur la sociologie des organisations (et de l’action organisée) qui fait référence pour l’étude des loisirs sportifs de nature depuis quelques années (Mounet, 2000 ; Paget, 2003 ; Perrin-Malterre et Mounet, 2009 ; Massiera, 2003). Cependant, si dans ces théories l’environnement est pris en compte, il est considéré comme extérieur à l’organisation (micro et macro-environnement) ou au contexte d’action (pré-structuration de l’action organisée), et constitue, pour le macro-environnement, une sorte de boîte noire dont sont issues des contraintes « globales » sur lesquelles les acteurs n’ont pas de prise. Pour des activités controversées, en forte prise avec le milieu naturel et humain, milieu sur lequel les acteurs en présence semblent vouloir agir, il paraît limitatif de distinguer des acteurs et un environnement (avec lequel ils peuvent interagir ou non) et une étude en termes de réseau pourrait être une voie plus fructueuse. Le cas précis des loisirs motorisés hors route sera ensuite développé pour montrer en quoi cela serait judicieux.
Par ailleurs, des études en géographie sociale ont porté sur la territorialisation d’activités de loisir de nature (Mao, 2003), se limitant à une analyse à des échelles locales, les différentes logiques d’action étant mises au jour ; il s’agit d’analyses micro-géographiques. Une approche par les cultures a également été proposée par certains auteurs dont Jean Corneloup. Là encore, l’approche est locale, les auteurs étudiant les marquages culturels de territoires touristiques. Les interactions avec des échelles plus petites, pouvant aller jusqu’aux scènes nationales, voire internationale, ne sont pas étudiées ici.
Enfin, quelques études commencent à prendre appui sur des cadres nouveaux tels que ceux de la sociologie de la traduction ou de l’acteur-réseau (Feillet, 2002 ; Rech, 2010). Ces théories semblent permettre de prendre en compte les interactions ente acteurs et milieux. Néanmoins, là encore il s’agit d’études locales ne mettant pas nécessairement en lumière les interrelations entre échelles (du local au national).
Nous allons nous attacher à montrer en quoi les théories de l’acteur-réseau semblent incontournables pour notre objet de recherche et comment aller au-delà en faisant appel aux outils de l’analyse structurale des réseaux ; la perspective de nos recherches étant d’étudier la nature des liens entre scène nationale et scènes locales autour des pratiques de loisir motorisé hors route, afin de « localiser le global » (Latour, 2006, 253) et de « redistribuer le local » (Latour, ibid, 279).
Contextualisation – les loisirs motorisés hors route, des activités controversées
Nous entendons par loisirs motorisés hors route les activités dont le cœur repose sur l’utilisation d’engins tout-terrain terrestres, à savoir, le 4x4, la moto ou le quad, et qui se déroulent en France sur les chemins – légalement – mais qui en débordent parfois. Ces activités sont régies par la loi sur la circulation des engins motorisés dans les espaces naturels du 5 janvier 1991 appelée loi Lalonde.
Commentaires
SYNTHÈSE du TEXTE et QUESTIONS posées lors de la séance du RT 31 à Grenoble
L'objet de ce travail est de comprendre les pratiques de loisirs motorisés hors route (engins tout terrain : 4/4, moto, quad) à partir de la notion de réseau pour saisir les relations qui se nouent et leurs conséquences sur le cours de l'action.
La mise en avant de la théorie de l'acteur s'explique par les insuffisances d'autres théories (bourdieusienne, sociologie des organisations, géographie sociale, ...) qui, quand elles prennent en compte l'environnement, le considèrent comme extérieur à la pratique. La théorie de l'acteur réseau est convoquée pour étudier la nature des liens entre scène nationale et scènes locales autour des pratiques de loisirs motorisés hors route, pratiques fortement controversées et parfois conflictuelles, dans lesquelles deux camps se dessinent parmi les acteurs : les défenseurs, collectif de défense des loisirs verts ; les détracteurs, coordination pour l'adaptation des loisirs motorisés à l'environnement.
L'exemple d'une action Quad en Isère est développée pour montrer comment à partir d'une démarche locale, on arrive à un impact national avec citation en exemple et reproduction possible du modèle. La place et le rôle des acteurs, des objets et des documents implique de penser à travers la notion de réseau hybride. C'est donc la manière dont fonctionnent les phénomènes relatifs aux LMHR et leurs dynamiques qui sont étudiés par une analyse structurante des réseaux dont différents niveaux peuvent être distingués : les relations entre acteurs ; les régularités dans les réseaux ; les principes d'organisation (de la forme des relations sociales) qui échappent plus ou moins à la connaissance des acteurs sociaux. En se référant à Latour, l'utilisation d'une ASR de type descriptif est convoquée pour qualifier les relations noués par les médiateurs, actants dont les actions et les conséquences sur le réseau sont imprévisibles et inattendues, et les intermédiaires, pour lesquels il n'y a pas d'incertitude, les relations étant stables dans le réseau.
AU sein d'un réseau, 4 niveaux de social permettent de caractériser le degré de stabilité du réseau, le cas social n° 1 étant un état stabilisé du sociale, constitué d'intermédiaires ; le n° 2 correspondant à une société en train de se faire, constitué majoritairement de médiateurs. Ainsi, l'ANT se révèle pertinente pour l'étude des relations entre actants ; l'ASR, quant à elle, permet de mieux saisir la nature des relations impliquées dans les processus dynamiques du réseau, les caractéristiques des actant qui y jouent un rôle déterminant. La théorie des graphes conduit à la construction d'un plan relationnel pour chaque type de relations (d'amitié, de travail, ...) relevé au cours de l'enquête à partir d'entretiens compréhensifs, d'observation participante, de participation observante, d'analyse de contenu de documents.
Questions :
Les propos développés soulignent l'intérêt de mettre en jeu certains approches théoriques pour l'étude de pratiques particulières, qu'en est-il d'une possible généralisation à toutes les pratiques ? Y a-t-il nécessité d'éléments clés dans ces pratiques pour mettre en œuvre ces théories (local/national ; défenseurs/détracteurs ; présence d'un conflit ; ...) ?
Pourriez-vous développer la question de la place et du rôle des objets et des documents évoqués dans le texte ?
L'idée d'une complémentarité des théories de l'acteur réseau de de l'ASR est affirmée. Quels résultats ont été obtenu de par cette complémentarité ?