Notre propos vise à montrer l’utilité de repenser les cadres de réflexion habituels des Sciences et Techniques de Activités Physiques et Sportives (STAPS) pour comprendre une réalité complexe telle que celle des pratiques de loisirs motorisés hors route. Nous étudierons l’intérêt de la notion de réseau pour saisir les relations qui se nouent et leurs conséquences sur le cours de l’action.

Un point sur la littérature dans le domaine des loisirs sportifs de nature

La majeure partie des études en sociologie du sport, et plus spécifiquement des sports de nature, porte sur des analyses internes des pratiques, soit qu’elles s’intéressent à « l’espace des sports » (Pociello, 1981), soit qu’elles s’intéressent au développement et au fonctionnement d’une activité donnée ainsi qu’à l’identité et/ou à la socialisation de ses pratiquants (Bessy, 2005 ; Knobé, 2007 ; Chevalier et Dussart, 2002). Les interactions avec les autres pratiques de loisir ou bien les milieux, tant naturels qu’humains, semblent peu investiguées. Quand « l’environnement » - au sens de la sociologie des organisations – est pris en compte, il se trouve être extérieur à la pratique et sans prise possible pour les organisations lorsqu’il s’agit du macro-environnement. L’environnement est donc rarement considéré comme faisant partie intégrante et étant intimement liés aux phénomènes relatifs aux activités sportives de loisir.

Un certain nombre d’études en sociologie du sport ont été réalisées dans une perspective « bourdieusienne » (Clément, 1994). De nombreux travaux ont repris la notion d'espace des sports développée par Pociello (1981) – en échos aux travaux de Bourdieu – et ont travaillé sur la définition des pratiques légitimes dans le champ de sports. Ainsi, des chercheurs se sont intéressés à la place des sports de nature dans le champ des sports, à l’instar d’Olivier Hoibian dont les analyses ont porté sur la place des loisirs sportifs de montagne au sein du champ des sports (2004). D’autres se sont intéressés aux luttes symboliques au sein de certaines activités pour l’appropriation légitime d’un espace de pratique tel que la mer (Créac’h et Sébileau, 2004). Les sports de nature sont ici abordés pour eux-mêmes ou bien au regard des autres pratiques sportives mais semblent être relativement déconnectés du milieu (naturel et humain) dans lequel ils se déroulent.

Cette absence de prise en compte du milieu n’est plus vraie pour les recherches dont l’approche théorique repose sur la sociologie des organisations (et de l’action organisée) qui fait référence pour l’étude des loisirs sportifs de nature depuis quelques années (Mounet, 2000 ; Paget, 2003 ; Perrin-Malterre et Mounet, 2009 ; Massiera, 2003). Cependant, si dans ces théories l’environnement est pris en compte, il est considéré comme extérieur à l’organisation (micro et macro-environnement) ou au contexte d’action (pré-structuration de l’action organisée), et constitue, pour le macro-environnement, une sorte de boîte noire dont sont issues des contraintes « globales » sur lesquelles les acteurs n’ont pas de prise. Pour des activités controversées, en forte prise avec le milieu naturel et humain, milieu sur lequel les acteurs en présence semblent vouloir agir, il paraît limitatif de distinguer des acteurs et un environnement (avec lequel ils peuvent interagir ou non) et une étude en termes de réseau pourrait être une voie plus fructueuse. Le cas précis des loisirs motorisés hors route sera ensuite développé pour montrer en quoi cela serait judicieux.

Par ailleurs, des études en géographie sociale ont porté sur la territorialisation d’activités de loisir de nature (Mao, 2003), se limitant à une analyse à des échelles locales, les différentes logiques d’action étant mises au jour ; il s’agit d’analyses micro-géographiques. Une approche par les cultures a également été proposée par certains auteurs dont Jean Corneloup. Là encore, l’approche est locale, les auteurs étudiant les marquages culturels de territoires touristiques. Les interactions avec des échelles plus petites, pouvant aller jusqu’aux scènes nationales, voire internationale, ne sont pas étudiées ici.

Enfin, quelques études commencent à prendre appui sur des cadres nouveaux tels que ceux de la sociologie de la traduction ou de l’acteur-réseau (Feillet, 2002 ; Rech, 2010). Ces théories semblent permettre de prendre en compte les interactions ente acteurs et milieux. Néanmoins, là encore il s’agit d’études locales ne mettant pas nécessairement en lumière les interrelations entre échelles (du local au national).

Nous allons nous attacher à montrer en quoi les théories de l’acteur-réseau semblent incontournables pour notre objet de recherche et comment aller au-delà en faisant appel aux outils de l’analyse structurale des réseaux ; la perspective de nos recherches étant d’étudier la nature des liens entre scène nationale et scènes locales autour des pratiques de loisir motorisé hors route, afin de « localiser le global » (Latour, 2006, 253) et de « redistribuer le local » (Latour, ibid, 279).

Contextualisation – les loisirs motorisés hors route, des activités controversées

Nous entendons par loisirs motorisés hors route les activités dont le cœur repose sur l’utilisation d’engins tout-terrain terrestres, à savoir, le 4x4, la moto ou le quad, et qui se déroulent en France sur les chemins – légalement – mais qui en débordent parfois. Ces activités sont régies par la loi sur la circulation des engins motorisés dans les espaces naturels du 5 janvier 1991 appelée loi Lalonde.