Excepté quelques rares recherches sur l’implication des femmes dans les fédérations et leurs associations affiliées, la division sexuelle dans l’emploi sportif, les rapports sociaux de sexe dans le travail sportif ou la domination masculine dans les entreprises du sport sont des thèmes peu abordés en sociologie du sport. De ce fait, elle a très longtemps diffusé une sorte de vision « androcentrée » des organisations sportives et de leurs activités. Dans ma communication, je voudrais tout d’abord relever un paradoxe. La féminisation de la population active, l’augmentation des effectifs de pratiquantes sportives et celle des emplois féminins dans les secteurs marchands et non marchands du sport ont contribué à rapprocher les modes de vie masculin et féminin. Or, elles n’ont pas pour autant entraîné l’égalité d’accès des deux genres à la responsabilité sportive et à l’emploi dans le secteur sportif. Par ailleurs, à la différence des hommes, les emplois sportifs se situent pour l’essentiel dans les secteurs dominés du pouvoir en organisation. Dans un deuxième temps, j’évoquerai la « spécialisation sexuelle » dans les entreprises du sport à partir des résultats d’une enquête réalisée dans le secteur du commerce d’articles de sport en Alsace . Par leurs pratiques de gestion des ressources humaines, ces institutions modèlent le lien social en canalisant nos perceptions vers des formes compatibles avec le type de relations qu’elles autorisent. Engendrant des formes particulières de socialisation sexuée et des cadres cognitifs et moraux dans lesquels se développent les pensées individuelles (Douglas, 2001), ces pratiques tendent à perpétuer la domination masculine dans les entreprises du sport. Cependant, au-delà d’une domination totale, émergent aussi des marges de manœuvre et des résistances qui montrent la diversité de jeux possibles avec les rôles féminins prescrits.

Un travail bénévole sexué

A la différence des travaux de sociologie du genre appliqués aux pratiques sportives, peu d’études en France ont abordé la place des femmes dans les instances dirigeantes du mouvement sportif. Sur le plan local, nous constations dès 1996 une sur-représentation des hommes dans les postes de dirigeant des clubs sportifs de la Communauté Urbaine de Strasbourg (Gasparini, 1996). Cette suprématie ne faisait que se renforcer dans les sports de compétition et s’accentuait à mesure que l’on grimpait dans la hiérarchie interne des associations à caractère sportif . Les enquêtes récentes nous montrent que les femmes sont de plus en plus nombreuses à pratiquer des activités physiques et sportives : la proportion est passée de 9% en 1968 à 48% aujourd’hui . Cependant, plus l’activité sportive prend une forme institutionnalisée et compétitive, moins elle compte de femmes. En outre, malgré une augmentation des effectifs de femmes licenciées dans les clubs sportifs, plus on progresse dans « la hiérarchie » des fédérations sportives, moins il y a de femmes A l’heure de la parité en politique, seuls 2% des postes de responsabilité reviennent à des femmes dans les hautes instances sportives (CIO, fédérations internationales et fédérations nationales). Pourtant, la deuxième Conférence mondiale sur les femmes et le sport s’est prononcée en 2000 pour une représentation minimum de 10% de femmes dans les instances dirigeantes des organismes sportifs nationaux et internationaux, puis 20% en 2005. Elle appelait aussi le CIO, les fédérations internationales et les Comités nationaux olympiques à mettre en place une politique contre le harcèlement sexuel, comprenant un code de conduite applicable aux athlètes, aux entraîneurs et aux dirigeants. Répondant souvent à des commandes institutionnelles (du Ministère de la Jeunesse et des Sports ou du mouvement sportif français), de nouvelles études sociologiques questionnent actuellement l’accès des femmes aux postes à responsabilité (s) et les rapports sociaux de sexe dans les organisations sportives françaises (Chimot, 2003 ; Vieille Marchiset, 2004). Elles s’inscrivent dans un contexte politique et institutionnel favorable à une réflexion sur les rapports sociaux sexués (politique volontariste en faveur de l’accès des femmes au sport depuis 1998, Assises nationales Femmes et Sport en 1999, loi sur la parité en 1999). Ces enquêtes constatent une sous-représentation féminine aux postes de responsabilité élective et d’encadrement technique (Chimot, 2003). L’analyse des résultats révèle une hiérarchisation verticale des postes à responsabilité (les hommes accédant en majorité aux fonctions les plus hautes dans l’organisation ) et une distribution sexuée horizontale des responsabilités (les femmes n’accédant que très rarement aux postes directement liés à la production de la performance sportive ). Lorsqu’exceptionnellement elles occupent des postes de direction, ce sont souvent leurs qualités prétendument naturelles qui sont mises en avant (gentillesse, douceur, minutie ...) et non leur qualification scolaire et professionnelle acquises par le biais d’une formation. A partir d’une enquête sur les dirigeantes sportives des clubs, comités sportifs départementaux et régionaux de Franche-Comté, G. Vieille-Marchiset (2004) s’aperçoit aussi que l’accès aux postes de dirigeante repose quelquefois sur un mode électif qui rappelle les transmissions de places dans les entreprises patrimoniales. Les femmes élues ont souvent été choisies par un homme. Il n’est pas rare qu’un responsable présente et appuie la candidature au poste de secrétaire de sa propre épouse. Malgré leur intérêt, ces études concernent essentiellement le sport de compétition (parce qu’elles répondent généralement à des commandes du mouvement sportif) et n’abordent qu’à la marge le travail salarié des femmes. Enfin, l’organisation sportive est considérée dans son sens le plus restrictif, c’est-à-dire les fédérations et leurs associations affiliées.

Part des femmes dans la branche et la filière sport

Avec le développement économique récent des marchés du sport et l’augmentation du volume de l’emploi dans le secteur sportif (notamment dans les services sportifs marchands et le commerce ), observe-t-on un accroissement des emplois occupés par des femmes ? On note tout d’abord dans ce secteur une croissance globale de l’emploi de plus de 60% en 10 ans. Dans le même temps, la part des temps partiels a tendance à diminuer mais reste à 30% en 2004. L’étude des emplois sportifs nécessite de distinguer d’une part les activités centrales du secteur ou de la branche professionnelle sport et, d’autre part, les activités périphériques en relation avec le sport (la filière sport) (Le Roux, 2002). Les emplois du premier groupe (branche sport) regroupent des activités de service qui sont en relation directe avec la pratique sportive, c’est à dire la mise à disposition d’installations ou d’équipements et l’encadrement de la pratique sportive . Les emplois de la « filière sport » sont plus difficilement repérables que ceux de la « branche sport » car disséminés dans de très nombreuses branches professionnelles « non sportives » (éducation, commerce, santé, action sociale ....). D’après les enquêtes « Emploi » de l’INSEE, la part des femmes dans le secteur des activités liées au sport (code NAF 92.6) est en augmentation : de 36,8% en 1994, elle passe à 41,1% en 2002 . L’augmentation du nombre de femmes dans les métiers du sport est liée aux transformations du travail et à la féminisation plus générale de la force de travail . Avec la féminisation des emplois, la massification du salariat, la diminution du travail à temps partiel et la part plus importante de CDI, la situation de l’emploi sportif semble en voie de normalisation ou de stabilisation. On observe néanmoins de faibles salaires et de la précarité liée aux emplois aidés, au temps partiel non choisi et à l’emploi saisonnier, phénomènes qui touchent davantage les femmes (Leroux, 2002). Malgré une baisse de la part du temps partiel dans l’emploi sportif, celle des femmes reste encore très élevée : on passe de 60% en 1996 à 44% en 2002 alors que la part du temps partiel des hommes se stabilise (de 21% à 20% pour la même période) . L’enquête par entretien auprès des vendeuses d’articles de sport nous montre que, dans la grande distribution spécialisée, elles tendent à accepter un contrat à temps partiel à défaut de propositions à temps plein. On remarque ainsi que la part des contrats à durée déterminée dans la branche sport est plus importante pour les hommes (26%) que pour les femmes (20%).

Des emplois sportifs associatifs très masculins

Généralement, la division sexuelle du travail est plus atténuée dans le milieu associatif que dans le monde professionnel (Mitrani, 2001). Or, les associations sportives restent les plus masculinisées. Si l’on compare les emplois féminins dans le secteur du sport associatif avec ceux des autres secteurs associatifs, on constate que les salariés des associations sportives employeuses sont majoritairement des hommes, contrairement aux salariés des associations en général majoritairement des femmes (Credoc, 1997). Si l’on prend l’exemple de l’Alsace, les associations employeuses comptent en 1999 plus de 39 700 salariés (INSEE Alsace, 2001). Sur cet effectif, 67,5% des salariés sont des femmes. Le seul secteur où les femmes sont minoritaires est celui des activités récréatives et sportives : seuls 46% des salariés sont des femmes alors que le secteur de la santé en comprend plus de 86% et celui de l’action sociale, 73,3% (INSEE Alsace, 2001).

Des femmes dans des métiers du sport d’homme

Traditionnellement, les métiers de l’encadrement sportif sont plutôt réservés aux hommes et l’accès des femmes aux formations et aux métiers du sport reste encore insuffisant. En 2002, seuls 28% des titulaires du Brevet d’Etat d’Educateur(trice) Sportif(ve) 1er degré (BEES 1) et 15% des titulaires du Brevet d’Etat d’Educateur(trice) Sportif(ve) 2ème degré (BEES 2) étaient des femmes. Pourtant, depuis une vingtaine d’années, il est de plus en plus courant de trouver des femmes dans des emplois sportifs traditionnellement masculins, qu’il s’agisse du métier d’entraîneur sportif (essentiellement dans les sports pratiqués par des femmes), de Maître-Nageur Sauveteur (MNS) et, depuis peu, dans quelques métiers historiquement dominés par des hommes. Par exemple, depuis le milieu des années 80, quelques femmes ont réussi à intégrer le monde professionnel essentiellement masculin des guides de Haute montagne. En 2004, 10 femmes sont guides ou aspirantes-guides pour plus de 1500 hommes environ. Mais, ce que l’on remarque, c’est quelles exercent rarement leur profession dans les compagnies les plus prestigieuses et elles se positionnent surtout sur des compétences réputées féminines comme, l’encadrement de femmes ou d’enfants (Galissaire, Menesson, 2004). De la même manière, on observe une augmentation du nombre de femmes arbitres dans les Championnats de France professionnel masculin en football, hand-ball, basket ou volley-ball. Malgré de nombreuses difficultés rencontrées dans leur parcours professionnel (pressions machistes des fédérations) et dans l’exercice de leur métier (insultes des spectateurs), les femmes intègrent de plus en plus le corps arbitral, aussi bien dans les sports féminins que ceux masculins. Cette féminisation semble liée à la professionnalisation des sports, de la fonction arbitrale et au développement d’une politique d’Etat qui exige la possession de diplômes de plus en plus élevés (Charrier, 2004).

Le « plafond de verre »

Les sociologues observent que dans le monde du travail en général, les positions dominantes occupées par les femmes sont de plus en plus nombreuses. Si l’on regarde l’univers sportif, dans les « grandes » organisations sportives à fort pouvoir économique et symbolique (comme le CIO, les fédérations internationales, la Fédération Française de Football ou la Fédération Française de Tennis par exemple), les femmes sont très minoritaires, souvent confinées dans les postes des services de communication, ressources humaines et secrétariat de direction. De la même manière, les postes à forte responsabilité dans les entreprises du sport (clubs de football professionnel), les entreprises en lien avec le sport (Adidas, Décathlon, Nike par exemple) ou les administrations d’Etat et territoriales du sport (cadres A) sont très majoritairement occupés par des hommes. Pourtant, le développement des « marchés » du sport s’est accompagné d’un développement de nouvelles fonctions d’expertise comme les ressources humaines, la communication, le marketing ou le stylisme majoritairement occupées par des femmes. Conduisant à avoir moins de responsabilités (encadrement de petites équipes), ces fonctions sont souvent considérées comme plus « féminines » mais aussi plus compatibles avec une recherche d’équilibre entre investissement professionnel et familial. Si les femmes sont nombreuses dans les entreprises du sport à occuper des postes intermédiaires, force est de constater que celles qui occupent des fonctions stratégiques ou des postes de direction sont rares, aussi bien dans la distribution que du côté des équipementiers sportifs. Malgré l’augmentation du nombre de femmes cadres en général (elles représentaient 30% des cadres en 2004 selon l’INSEE), elles se heurtent toujours au « plafond de verre », même si celui-ci tend à se déplacer lentement. Somme de barrières souvent invisibles, le « plafond de verre » indique que, malgré un recrutement plus élevé de femmes dans les entreprises du sport, persistent des inégalités de chance dans l’accès des femmes aux postes les plus élevés (Laufer, 2005). Ainsi, sur les 212 magasins sportifs répertoriés en Alsace, en 2005, plus de 80% des postes de responsable (directeur, gérant, propriétaire) sont occupés par des hommes (Gasparini, Pichot, 2005). Même dans les métiers de l’enseignement de l’EPS, les femmes restent encore minoritaires (alors qu’elles sont majoritaires dans le corps enseignant ) ainsi que dans les postes de professeur des universités en STAPS . On s’aperçoit aussi que seulement 1/3 des femmes sont Professeurs Agrégés d’EPS (Chiffres de l’Education Nationale 2003) alors que les femmes certifiées sont 46,5%.

Les rares femmes occupant des postes de direction dans les grandes entreprises du sport mettent souvent en avant des qualités qu’elles estiment « typiquement féminines » et qui constituerait un atout dans le secteur du commerce du sport : sensibilité, ouverture vers les interlocuteurs, séduction, goût pour l’esthétique. A la tête de Bollé Diffusion France (marque de sport), Laurence G. revendique une « approche féminine du business » qui se concrétise dans les relations humaines. Selon elle, « au contraire des hommes, les femmes se montrent plus sensibles, plus tournées vers leurs interlocuteurs. Cette ouverture, cet intérêt pour les autres sont, je crois, des qualités typiquement féminines ». De son côté, Catherine N., directrice d’un magasin Go Sport pense que « les femmes sont plus franches que les hommes » et avoue que la sensibilité féminine influe sur le style de management « parce que les femmes sentent mieux les choses » .

« Le textile aux femmes, le matériel aux hommes ! » : la spécialisation sexuelle des postes de travail

En 2002, dans le secteur du commerce d’articles de sport, on recense 54,37% d’hommes et 45,63% de femmes . Les femmes de moins de 30 ans sont plus représentées que les hommes, ce qui laisse supposer que les grandes surfaces spécialisées (GSS) dans le sport embauchent davantage de jeunes filles que d’hommes. Mais on peut aussi en déduire un turn over plus fréquent dans les postes de vendeuse ou hôtesse d’accueil lié aux formes particulières d’emplois proposés aux femmes (temps partiel imposé notamment). On remarque en effet que dans l’emploi sportif en général, l’ancienneté des hommes est toujours supérieure à celle des femmes (INSEE Emploi, 2005). Les principaux résultats évoqués ci-après proviennent de deux enquêtes réalisées en 2004 auprès des responsables de tous les magasins de sport d’Alsace : l’une par questionnaire et l’autre par entretien, réalisée dans 8 magasins de sport alsaciens de tailles différentes . Elles nous révèlent que le genre féminin peut constituer un atout dans certains postes de vendeur mais il tend aussi à freiner le déroulement de carrière et l’accès à des postes à responsabilité. Comme dans les autres secteurs d’emploi, la mobilité professionnelle est plus forte chez les hommes qui sont plus nombreux à commencer vendeurs et à finir responsable de rayon ou directeur de magasin que les femmes.

Compétences féminines

L’enquête qualitative par entretiens avec les directeurs de magasin nous montre tout d’abord que les employeurs reproduisent une sorte de spécialisation sexuelle en fonction des produits. Selon eux, les femmes serait plutôt de « bonnes » vendeuses dans les rayons textile, habillement gym et fitness, alors que les hommes se retrouveraient plutôt dans les rayons chaussures et produits techniques. Le sexe apparaît ainsi comme un marquage qualitatif, y compris lorsque les deux genres exercent la même profession (vendeur dans notre cas). Les employeurs ont alors tendance à assimiler les compétences féminines à des qualités naturelles. Selon le directeur d’Intersport (Sélestat -67), « tout dépend des postes que je recherche : si je cherche un vendeur habillement, un gars de 25 ans va s’emmerder dans le rayon alors que la fille est peut-être plus à même de se plaire dans le textile, de toucher les vêtements. Maintenant c’est sûr que si je cherche un technicien, un vendeur montagne dans le rayon ski, un homme serait mieux. En fonction du poste recherché, oui, je vais avoir des profils plus adaptés ». Le gérant de Véloland (Kingersheim -68)estime aussi que « pour le rayon textile, c’est important que ce soit une femme, elle s’y connaît mieux que les hommes (...) c’est un plus que ce soit une femme ». Pour le gérant du magasin de ski-sports de montagne « Speck Sports », l’apparence physique et le sens du contact du vendeur semblent fonctionner comme un capital : le magasin peut ainsi tirer un profit du « physique attirant » du vendeur et de son bon « contact clients » à partir du moment où ces atouts fidélisent les clients. « Si une vendeuse est skieuse et en plus elle a un beau physique, ça peut plaire aux clients, quoi. Le physique, ça compte, faut pas avoir la gueule en travers ! (...) Quelquefois, ça compte même plus que le diplôme ». Au-delà des différences de genre, selon le propriétaire du magasin, le bon contact avec les clients constitue aussi une sorte de « fond de commerce ».

Le physique de l’emploi

Comme dans d’autres secteurs de la vente, les magasins d’articles de sport emploient des salariés qui détiennent, en très grande majorité, un « physique » qui semble fonctionner comme un « capital » (Bourdieu, 1984) qui permet de dégager des profits selon l’opportunité qu’a son détenteur d’opérer des placements les plus rentables. Ce capital corpo-sportif peut se présenter sous un état incorporé (le "physique" et "l’allure" du sportif, au sens du "physique de l’emploi") et sous un état "institutionnalisé" ou objectivé (les titres sportifs, les participations à diverses rencontres sportives etc.). Pierre Bourdieu nous rappelait dès 1984 l’importance du capital physique dans les professions sportives mais uniquement pour les garçons. Selon lui, "le marché sportif est au capital physique des garçons ce que le cursus des prix de beauté et des professions auxquelles ils ouvrent -hôtesse, etc.- est au capital physique des filles" . L’apparence sportive faite corps adaptée aux canons reconnus de l’homo sportivus au féminin peut alors recevoir une valeur sur le marché du travail dans le secteur du commerce sportif. Ensuite, le genre féminin est aussi présenté comme une compétence car il mettrait en jeu un savoir-être indicible renvoyant implicitement à la construction sociale de la féminité : la séduction, l’attrait pour les vêtements et autres « fringues », le souci du corps, la diplomatie ... Or, ces compétences (requises dans tous les domaines des services) sont plus difficiles à objectiver que des savoir-faire plus techniques, et donc moins reconnues dans les négociations salariales.

Au-delà du genre, la domination au travail ?

L’analyse des postes de travail dans les magasins de sport nous conduit à constater la persistance d’une division sexuelle mais aussi d’une domination masculine. Dans la plupart des magasins, les perspectives de promotion sont largement illusoires, d’autant plus que l’on est une femme. Comme dans les autres secteurs d’emploi, la mobilité professionnelle est plus forte chez les hommes qui sont bien plus nombreux à commencer employés et à finir cadres que les femmes (Battagliola, 1984, 1999). C’est dans le déroulement de carrière que les différences se creusent entre genres, qu’il s’agisse d’écart de salaire, d’exposition au chômage ou du temps partiel. Pourtant, un certain nombre de salariées (notamment les plus jeunes) affirment souvent se « sentir bien » dans l’entreprise et adaptées au rayon dont elles ont la responsabilité, disent apprécier les produits qu’elles vendent et tirent même un profit symbolique de leur position (image dynamique et « branchée » d’une entreprise de sport). Selon Pierre Bourdieu (1992), "les dominés appliquent à tout objet du monde naturel et social, et en particulier à la relation de domination dans laquelle elle sont prises, ainsi qu’aux personnes à travers lesquelles cette relation se réalise, des schèmes impensés de pensée qui sont le produit de l’incorporation de cette relation de pouvoir et qui les conduisent à construire cette relation du point de vue des dominants, c’est-à-dire comme naturelle" . En outre, la plupart des vendeuses ne possédant pas les moyens économiques d’attendre un emploi à la hauteur de leurs espérances, elles appréhendent le chômage et acceptent les conditions de travail offertes par le secteur du commerce sportif . Mais, dans le même temps, les salariés adoptent des attitudes très diverses face à leurs conditions de travail, en fonction de leur trajectoire antérieure et de leurs aspirations ou anticipations pour l’avenir. Certaines femmes ont conscience des inégalités sexuelles qui entraînent des freins professionnels. C’est ce que nous relate Nadia, ancienne vendeuse chez Décathlon.

« Un monde machiste ». Après un DEUST en agro-alimentaire, Nadia entre en 2002, à 21 ans, dans un magasin de la grande distribution spécialisée dans les articles de sport comme conseillère technique au rayon Multisports/Habillement pour financer sa poursuite d’études en école de commerce. Issue d’un milieu populaire (son père est maçon d’origine algérienne) et dotée d’un capital sportif moyen mais polyvalent (pratiquante d’athlétisme et de footing, randonnée pédestre et basket), elle a été recruté par cooptation (elle avait un ami dans le magasin) mais aussi parce qu’elle avait une certaine connaissance (théorique) du secteur de la vente.. Relativement amère et déçue, Nadia analyse l’entreprise de manière critique. Pour elle, le magasin contient un certain nombre de « petits chefs » qui se prennent pour des patrons et qui avaient « les dents longues », du responsable de rayon au directeur de magasin. Elle relate que les employés sont « constamment fliqués » dans leur travail quotidien et que les « grandes gueules » étaient mal vues. Elle dénonce aussi le machisme des responsables (« les femmes n’ont aucune perspective de carrière ! ») et le fonctionnement en réseau de la promotion interne (« le directeur place ses pions »). Elle considérait qu’elle avait le tempérament du « bon vendeur qui pouvait devenir responsable de rayon et, peut-être, directrice de magasin un jour ! ». Selon elle, « les femmes sont mal vues dans des postes de direction ». Désenchantée et s’estimant exploitée, elle quittera l’enseigne pour rejoindre une autre entreprise de la grande distribution spécialisée hors secteur sportif. Actuellement, elle occupe un emploi de chef de département d’une grande enseigne de mobilier.

Conclusion

Comme dans l’ensemble des secteurs d’activité économiques, l’identité de genre constitue un facteur de stratification dans les emplois sportifs dans la mesure où il génère des inégalités de positionnement dans la hiérarchie socio-économique (carrières, ascension professionnelle, précarité de l’emploi ..). Même si la situation des femmes dans le monde des sports a évolué (du moins dans les sociétés occidentales), les résultats d’enquêtes sociologiques témoignent de la persistance des rapports de domination entre les sexes. Ils nous révèlent notamment l’ampleur des inégalités entre hommes et femmes dans l’accès aux postes à responsabilités dans l’ensemble des secteurs marchands et non marchands du sport. Malgré des politiques volontaristes récentes en matière de lutte contre les discriminations sexuelles, les pratiques sportives, les responsabilités et les emplois sportifs semblent ainsi toujours correspondre à une vision androcentrée du monde. Cependant, si la domination masculine s’est historiquement insinuée dans tous les secteurs du champ sportif, toutes les femmes ne s’y soumettent pas. Des résistances et des évolutions se font jour qui montrent d’une part la diversité des jeux possibles avec les rôles féminins prescrits et, d’autre part, la transformation du champ sportif. La présence de femmes dans les métiers de l’encadrement de la pratique sportive et la fonction arbitrale jusqu’alors traditionnellement réservés aux hommes, la prise de conscience de salariées face aux discriminations sexuelles mais aussi les mouvements de femmes luttant contre la machisme (dans le sport, les quartiers et les institutions en général) indiquent bien les marges de manœuvre possibles face à un ordre masculin imposé.

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