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Carrières de jeunes champions et évolution des représentations vis-à-vis du segment de la compétition athlétique de haut niveau

Le monde (A. Strauss 1992)[1] de l’athlétisme est segmenté en différents micro mondes sociaux plus ou moins autonomes et indépendants les uns des autres. Le segment de la compétition athlétique de haut niveau constitue l’un d’entre et peut se définir comme un monde d’élus auquel on accède par toute une succession de phases de repérage, sélection et consécration. Nous intéressant aux mécanismes sociaux qui fondent l’engagement et le maintient dans une carrière d’athlète de haut niveau [2] , nous appréhenderons ce sous monde comme un espace apparemment propice à la mise en œuvre d’un travail pédagogique d’inculcation d’une vocation d’athlète de haut niveau. Reprenant les cadres d’analyse de C. Suaud (1978)[3] , nous nous intéresserons à l’action socialisatrice de l’institution sportive tout en prenant en compte les configurations sociales singulières [4] dans lesquelles elle s’exerce. Notre étude circonscrira ces configurations aux réseaux d’interdépendances et formes de relations sociales que l’athlète de haut niveau tisse dans les sphères sportive, familiale, amicale et scolaire. Considérant, avec Papin (1998)[5] , que l’investissement et la progression dans la carrière sportive passent par un travail d’inculcation d’une vocation d’athlète de haut niveau, notre point de vue s’intéressera aux formes de relations sociales et réseaux d’interdépendances qui invitent ou non le futur athlète d’exception à s’approprier l’idée qu’il est doté d’un « don » exceptionnel qui fait de lui un être privilégié, un élu appelé à rejoindre le monde à la fois « extraordinaire » et « enchanté » de la pratique sportive de haut niveau. Cette dynamique de la construction ou de la transformation des représentations nous conduira à l’étude des carrières (Hugues, 1996)[6] et plus précisément des étapes qui marquent la progression séquentielle dans la carrière sportive de haut niveau [7] . Nous verrons que la progression dans les étapes « objectives » de la carrière d’athlète de haut niveau [8] passe par un travail d’inculcation d’une vocation qui permet de transformer les représentations du jeune athlète et de faire en sorte qu’il adhère au projet de la compétition de haut niveau. Bien qu’essentiellement orchestrée par la sphère sportive, l’efficacité de cette inculcation dépend des configurations sociales singulières dans lesquelles elle s’exerce. En tant que réseaux d’interdépendances et de relations, ces configurations - qui sont partie prenante de la socialisation de l’athlète de haut niveau - peuvent accompagner ou contrarier l’évolution de la manière dont l’athlète situe et qualifie le segment de la compétition athlétique de haut niveau. Cette évolution - ou son pendant : la non évolution - participent ainsi de la progression, de la stagnation ou de la sortie de la carrière d’athlète de haut niveau.

Notre enquête s’appuie sur quarante entretiens biographiques (neuf dirigeants et cadres techniques de la fédération française d’athlétisme, neuf athlètes de haut niveau jeunes, neuf athlètes de haut niveau sénior, cinq athlètes de haut niveau élite et huit anciens athlètes de haut niveau sortis de manière plus ou moins brutale et précoce de leur carrière sportive). Tous les sujets interrogés ont fait partie du segment de la compétition athlétique de haut niveau entre 1990 et 2005. Nous avons également réalisé une observation participante d’un an (saison sportive 2003/04) auprès de deux groupes d’entraînement de haut niveau de l’INSEP. Chaque groupe était entraîné par un cadre technique professionnel [9] et composé d’une dizaine d’athlètes hommes et femmes détenteurs du statut d’athlète de haut niveau jeune, sénior ou élite. Enfin, l’étude de documents internes à la fédération française d’athlétisme diffusés à des fins de formation d’entraîneurs bénévoles et professionnels complète le recueil de données. Cette option méthodologique « qualitative » est directement liée à la manière dont nous avons construit notre objet de recherche. En effet, il ne s’agit pas simplement de dresser le portait de l’évolution des représentations au fil de la progression dans la carrière d’athlète de haut niveau mais de cerner les formes de socialisation et de configurations sociales singulières qui permettent ou non cette évolution. Cette préoccupation écarte des méthodes plus quantitatives, certes pertinentes dans leur capacité à dresser une typologie des différentes représentations sur un échantillon d’athlètes plus important mais limitées en ce qui concerne la mise en évidence des processus étudiés. Les entretiens, d’une durée moyenne d’une heure quarante cinq, ont été intégralement retranscrits afin de pouvoir procéder à une analyse thématique et du discours. L’analyse thématique s’est d’abord centrée sur la progression sportive et la manière dont l’athlète perçoit et conçoit le segment de la compétition athlétique de haut niveau aux différentes étapes de la carrière. Nous présenterons ici les deux premières séquences de cette carrière. Un second niveau d’analyse thématique centré sur les configurations sociales singulières nous a permis d’appréhender les mécanismes sociaux qui favorisent ou non l’évolution de ces représentations. L’analyse des discours, observations et documents internes à la fédération française d’athlétisme renvoie quant à elle à une certaine forme de prudence méthodologique (O. Schartz, 1993)[10] .

I) Première étape : la compétition athlétique de haut niveau ? Un monde méconnu et lointain

L’analyse des entretiens menés avec des athlètes de haut niveau permet d’identifier deux formes de représentations initiales. Dans certains cas, les futurs athlètes de haut niveau fraîchement initiés à la pratique en club ne connaissent pas l’existence du segment de la compétition athlétique de haut niveau et ne sont donc pas en mesure d’envisager une continuité entre leur propre pratique et celle des athlètes de haut niveau. « Quand j’ai commencé l’athlé, pour moi il s’agissait de courir, sauter, lancer et surtout de se défouler sur le stade. Je ne savais pas que tout ça pouvait mener à des compétitions et encore moins que des gens étaient médiatisés parce qu’ils faisaient de l’athlétisme ». Athlète de haut niveau élite. Dans d’autres cas, les futurs champions ont été confrontés à des photos et images télévisuelles qui leur ont permis de se faire une vague idée de l’existence du segment de la compétition athlétique de haut niveau. Aucun des jeunes interrogés n’a été en contact direct avec un athlète de haut niveau et cette première étape se caractérise par le fait qu’ils ne conçoivent pas de continuité entre leur pratique et celle de l’élite athlétique. Ils ne perçoivent pas encore le monde athlétique comme un tout cohérent, divisé en micro mondes qui se complètent et s’alimentent. « Petite je me souviens d’avoir vu un reportage qui décomposait le geste technique de Bubka. Ça m’avait beaucoup plu et fasciné mais je n’ai pas imaginé un instant que je pourrais en faire autant. J’étais à l’école d’athlétisme et je ne savais pas qu’il y avait des compétitions, ni même qu’on pouvait faire autre chose que courir ». Athlète de haut niveau jeune. « Gamin, j’ai été qualifié à une petite compétition à Nice. Quand on m’a dit que j’allais courir sur le stade du Nikaïa [11] j’ai trouvé ça incroyable. Fouler la piste derrière ces grands champions que j’avais vu à la télé, je trouvais que c’était un sacré privilège. J’imaginais que l’accès à ce stade était réservé à de grands évènements : je ne pouvais pas concevoir que c’était un stade comme les autres ». Ex athlète de haut niveau jeune. La séparation des athlètes en fonction de leur niveau de pratique qui caractérise la politique sportive et fédérale française participe sans doute à l’élaboration de cette représentation cloisonnée. Difficile en effet d’imaginer le lien entre l’activité de ces champions que l’on observe de loin, au travers de son écran de télévision et la réalité de ce que l’on vit au cours de ses débuts dans le milieu de l’athlétisme. Ce lien apparaît d’autant plus improbable que les images renvoyées par les médias brouillent souvent les pistes : les sportifs peuvent être représentés dans des postures ou tenues qui n’ont pas grand-chose à voir avec la pratique dans laquelle ils excellent (Kossuth et coll., 1999 [12] ), voire dans des activités qui n’ont pas de lien direct avec le sport (Biskup and Gertrud Pfister 1999 [13] ). Un sportif de haut niveau peut ainsi endosser publiquement des rôles aussi variés que celui de chanteur, mannequin ou acteur dans le cadre de la rentabilisation des bénéfices occasionnés par un titre international fraîchement conquis ou de stratégies de reconversions post sportives. Ainsi, quelques mois après son succès aux JO de Barcelone (1992), la française Marie José Pérec défilait pour le couturier Paco Rabanne, invitée pour l’occasion dans un journal télévisé national et photographiée en tenue de soirée dans différents magasines tels que le tabloïd français Voici. En contrat avec la marque Pepsi, elle apparaissait en outre sur de nombreux panneaux publicitaires urbains dans une tenue et pose tout a fait déconnectées de sa pratique sportive. Jean Galfione, champion olympique du saut à la perche à Atlanta (1996) en fit de même, s’affichant aux côtés du Top Model Laetitia Casta dans le cadre la campagne publicitaire de l’enseigne de prêt-à-porter Morgane. Il était par ailleurs le protagoniste d’un saut à la perche très aérien pour l’enseigne Daniel Eichter. Sa motricité athlétique était mise au service d’un contexte (tenue, couleur, lumière et prises de vue) qui ne faisait pas explicitement référence à la codification officielle de sa spécialité sportive [14] . Contrastant avec la fréquence et la régularité des ces différentes apparitions relativement déconnectées de la pratique de l’athlétisme de haut niveau, les occasions de diffusion d’images de ces sportifs français ou étrangers en contexte athlétique de compétition ou d’entraînement sont bien plus confidentielles et circonscrites à des périodes courtes centrées sur les temps forts de la saison compétitive nationale et internationale. Les athlètes en devenir perçoivent donc les vedettes sportives comme des « gens qui passent à la télé » au même titre que d’autres personnalités médiatiques [15] et ce cloisonnement entre le monde du débutant et celui des champions internationaux est sans doute renforcé par le fait que les formes de rationalisation de ces deux types de pratiques sont extrêmement différentes. L’analyse du contenu du film « A l’école d’athlé » réalisé par la Direction Technique Nationale de la Fédération Française d’Athlétisme (octobre 2003) en vue de la formation des intervenants dans les clubs témoigne de cette distinction : les commentaires parlent de séances et non d’entraînement, de courir, sauter, lancer et non de faire du 100m haies, du saut en hauteur ou du lancer de javelot. Au modèle de la compétition athlétique de haut niveau, les formateurs préfèrent la logique des petits défis personnels et collectifs sur des ateliers qui renvoient aux fondamentaux athlétiques. Les aménagements matériels (tapis Dima, plinth, cibles à viser...), équipements et couleurs du lieu d’entraînement (qui n’est pas nécessairement une piste en tartan rouge de 400m avec 8 couloirs, une pelouse centrale et des tribunes) participent également de la différenciation de ces espaces de pratique. Retenons donc que cette première étape de la carrière athlétique de haut niveau n’est pas spécifique à la population des futurs athlète d’exception et se caractérise par une représentation relativement floue de ce qui constitue le segment de la compétition athlétique de haut niveau. Les profanes ne perçoivent pas la globalité du monde de l’athlétisme ou opèrent un cloisonnement entre les différents segments constitutifs de ce monde. Cela n’est pas sans lien avec le point de vue des médias ou de la fédération française d’athlétisme qui tendent à séparer physiquement et conceptuellement les deux formes de pratiques. Nous allons voir que cette représentation du néophyte est rapidement amenée à évoluer.

II) Deuxième étape : la compétition athlétique de haut niveau ? Un segment extraordinaire et accueillant

Très vite, le futur athlète de haut niveau va construire une représentation plus réaliste de la segmentation du monde de l’athlétisme et de la position qu’il y occupe. Evoluant du statut d’athlète de bon niveau régional à celui d’athlète de haut niveau jeune, il va progressivement construire l’idée que la distance qui le sépare du segment de la compétition athlétique de haut niveau n’est pas si importante que cela puisqu’il fait partie des privilégiés qui sont appelés à rejoindre ce qu’il se représente comme un monde extraordinaire et merveilleux. Les relations sociales et réseaux d’interdépendances que le jeune athlète tisse dans la sphère sportive jouent un rôle central dans ces transformations. La participation aux premières compétitions officielles ainsi que les interactions avec les entraîneurs, camarades ou adversaires permettent d’intégrer le schéma fédéral qui attribue une place centrale à la compétition et hiérarchise les performances d’un niveau départemental jusqu’à un niveau international. En ce sens, elles participent à l’inculcation d’aspirations favorables à la progression dans la carrière. « En discutant avec des athlètes plus âgés, j’ai fini par comprendre les petites lettres qu’il y avait devant les noms des athlètes dans la gazettes du club [16] et j’ai découvert que j’avais un niveau régional. Je me suis alors fixée le but d’atteindre le niveau supérieur ». Athlète de haut niveau sénior. « Quand j’ai commencé l’athlé, ce qui me plaisait vraiment c’était d’être devant les copains à l’entraînement. Courir et se lancer des petits défis : tout cela me suffisait amplement. Je ne savais pas qu’il y avait les départements, les régions et tout ça. Après, quand tu découvres les championnats régionaux et que tu te rends compte que tu peux y faire bonne figure tu te prends au jeu. Tu regardes le mec qui a gagné la course et tu te dis pourquoi lui il y arriverait et pas moi. Il a deux bras, deux jambes comme toi. Alors tu t’entraînes un peu plus sérieusement et puis ça passe. L’année d’après c’est toi qui gagne les régionaux et tu te fais les mêmes réflexions lorsqu’ arrivent les championnats de France : tu te fais battre mais tu te dis qu’il y a moyen d’arriver au top national. C’est un cercle vicieux. C’est comme ça que je suis arrivé jusqu’en équipe de France ». Ex athlète de haut niveau jeune. La perception de ce continuum dépend fortement de l’évolution des performances sportives du champion en devenir : les épreuves compétitives et stages [17] auxquels l’athlète est sélectionné sont l’occasion d’échanges favorisant la construction d’une représentation plus globale du monde de l’athlétisme. Néanmoins, certaines configurations sociales individuelles stimulent les ambitions de progressions vers le plus haut niveau sportif tandis que d’autres s’opposent plutôt à la construction de la vocation.

Olivier, ancien athlète de haut niveau jeune sorti de sa carrière à 20 ans : Une pratique relativement isolée du monde de la compétition athlétique de haut niveau

Olivier a fait du sprint à un niveau international. Lorsque je le rencontre, il est âgé de 18 ans et s’entraîne au sein de son club d’affiliation : un club universitaire de petite envergure. Son entraîneur est un bénévole dont les méthodes, bien qu’efficaces sur le plan de la préparation technique et physique, sont relativement déconnectées de la politique fédérale de gestion du haut niveau. Olivier s’entraîne trois soirs par semaine et suit le même programme (qui varie cependant au niveau de l’intensité de la réalisation ou du nombre de répétitions) que les autres membres de son groupe d’entraînement. Ce groupe, très hétérogène et conséquent, est composé de garçons et filles d’âge, de niveau et d’ambitions sportives variables. Certains athlètes ne participent à aucune compétition, la plupart ont un niveau régional, Olivier est le seul international. Habitant le Sud de la France alors que la majorité de ses adversaires vivent en région parisienne, il est relativement isolé des autres athlètes de son niveau, des structures qui leur sont ouvertes et des circuits d’informations de la direction technique nationale. Cette coupure est par ailleurs renforcée par les choix éducatifs de ses parents qui ne veulent pas que son investissement sportif se fasse au détriment de son travail scolaire. Ainsi, lors des vacances de Pâques, Olivier n’a pas honoré sa première sélection en stage national, obéissant à ses parents qui avaient préféré qu’il déclinât l’invitation afin de mieux se consacrer à la préparation des épreuves du baccalauréat. Au cours de l’entretien, Olivier insistera à plusieurs reprises sur sa méconnaissance du fonctionnement du monde de la compétition athlétique de haut niveau. Cette méconnaissance conjuguée à ses perspectives extra sportives n’ont vraisemblablement pas favorisé la stimulation d’ambitions sportives d’envergure internationale. « Pendant longtemps je n’ai pas vraiment fait la différence entre les championnats de France UNSS [18] et les championnats de France FFA [19] . Je n’avais pas saisi tout l’enjeu qu’il y avait à être bon aux championnats de France FFA par rapport aux statuts, stages ou sélections. Souvent j’étais meilleur aux championnats de France UNSS parce que c’étaient les premiers de la saison et que j’arrivais très motivé. Ça fait un peu « touriste » ce que je te raconte mais je crois que beaucoup de gens qui sont en province ou déconnectés des pôles France sont comme moi. Je vais te faire rire, mais j’ai découvert l’existence des championnats du monde Junior le jour des championnats de France FFA : j’ai terminé second et quelqu’un de la fédé est alors venu m’annoncer que je partais au Chili ! Il a fallu chambouler tout ce que j’avais prévu de faire pendant les vacances d’été mais heureusement ça n’a pas été trop compliqué. Là bas, j’ai côtoyé plein d’athlètes qui s’étaient préparés pour cette échéance, avaient planifié leur saison avec leur coach et s’entraînaient même parfois en bi quotidien. Ils étaient venus aux France très motivés par cette perspective de compétition et de voyage. J’ai finalement eu de la chance car j’aurais pu passer bêtement à côté de tout ça ».

La perception de la segmentation du monde de l’athlétisme et les résultats sportifs de l’athlète jouent un rôle fondamental dans l’évolution de ses ambitions sportives. Les temps forts de repérage, sélection, consécration orchestrés par la déclinaison de la politique de la fédération française d’athlétisme participent en effet à un véritable travail pédagogique d’inculcation d’une vocation d’athlète de haut niveau. Les relations sociales tissées à cette occasion favorisent la construction progressive du sentiment d’appartenance au monde des « élus » d’une élite sportive. « En cadet j’ai commencé à faire des stages nationaux qui m’ont permis de fréquenter les champions que je badais à la télé. C’était fabuleux : ils me disaient que je pouvais aller loin et ne voulaient pas croire que j’étais cadet 2. Je les revois me regardant de la tête au pied et disant ‘‘c’est pas possible, t’es junior 2 toi !’’. Ils pensaient que j’étais doué et je me disais que si eux me le disaient, c’est que c’était vrai ». Ex athlète de haut niveau jeune. « Au lycée ou au stade je vois bien que les gens m’envient un peu et me prennent pour la future Marie José Pérec. Il faut dire qu’il ne font que répéter les titres des journaux locaux qui disent que je suis l’espoir de l’athlétisme français ». Athlète de haut niveau jeune. Parfois, bien que franchissant avec succès certaines phases de repérage, sélection et consécration, les configurations sociales individuelles des athlètes ne leur permettent pas d’opérer totalement ces conversions.

Stéphanie, athlète de haut niveau jeune sortie de sa carrière à 18 ans : Une crise de vocation qui met en scène différents vecteurs de remise en cause de son potentiel athlétique

Stéphanie est une coureuse de haies hautes d’origine provinciale. Agée de 16 ans lorsque je la rencontre pour la première fois, elle vient d’intégrer l’INSEP et semble exaltée par les perspectives qui s’offrent à elle. Son désir de connaître une destinée sportive de très haut niveau est palpable et la pédagogie de la vocation orchestrée par le processus de repérage, sélection, consécration qui caractérise les différentes étapes qu’elle a franchies semble avoir été opérant : « Ce que je vis dans l’athlé, c’est vraiment extraordinaire. Je ne pensais pas que j’avais cela en moi. C’est drôle parce que j’ai fait du tennis pendant des années et je n’avais pas du tout d’ambition sportive, je n’aimais pas spécialement faire des tournois et je m’en fichais pas mal de gagner ou de perdre. Et puis un jour j’ai fait une compet d’athlé UNSS pour dépanner mon collège. Ça a été la révélation, j’ai gagné la course, battu des filles qui s’entraînaient en club, je suis montée sur un podium et j’ai aimé ça. Après, c’est la spirale : tu veux toujours faire mieux, avoir plus de médailles ou de records et tu progresses comme ça. Aujourd’hui, je suis contente d’avoir intégré l’INSEP car je veux plus que jamais me donner les moyens de vivre quelque chose de grand. Etre sélectionnée un jour pour participer aux jeux olympiques, c’est un rêve que je poursuis au fond de moi ». Stéphanie s’investi corps et âme dans sa carrière sportive, tant par son quotidien fortement organisé autour de ses entraînements journaliers que par les relations amicales et amoureuses qu’elle noue quasi exclusivement dans le segment du sport de haut niveau. Ses ambitions sportives occultent néanmoins les tensions qu’elle vit avec ses parents qui n’adhèrent pas à sa vocation naissante. Pour eux, Stéphanie doit avant tout se consacrer à ses études qu’ils envisagent comme le seul moyen d’accéder à une position sociale digne de leurs ambitions et de ses résultats scolaires qui sont par ailleurs très bons. « Mes parents s’en fichent un peu de ce que je fais sur le plan sportif. Enfin, disons qu’ils s’en fichent tant que ça ne nuit pas au reste. J’ai du me battre pour aller à l’INSEP car ils n’étaient vraiment pas pour. Chez nous ce qui importe, ce sont les études, après le reste c’est du loisir. Tant que tout va bien au niveau scolaire, il n’y a aucun problème, mais je sais que si je décrochais, ils me rapatrieraient dare dare à la maison. Ils font ça pour moi, je le sais bien, mais c’est vrai que des fois j’envie un peu Alexia qui a des parents qui font vraiment tout pour qu’elle réussisse sur le plan sportif ». Au-delà de cette configuration familiale qui contrarie en partie le travail pédagogique d’inculcation de la vocation, la configuration sportive dans laquelle Stéphanie s’insère va quelque peu perturber la manière dont elle se représente son futur athlétique et sa capacité à croire à la possibilité d’un destin sportif hors norme. Pour comprendre sa situation, il faut savoir que lorsqu’elle arrive à l’INSEP, Stéphanie n’a pas brillé sur la scène internationale et n’est pas la meilleure française de sa catégorie d’âge - le niveau des dix meilleures françaises dans sa discipline est parmi les plus élevés. Cette vive concurrence et la configuration sportive dans laquelle elle s’insère en arrivant à l’INSEP atténuent quelque peu le caractère extraordinaire de ses performances : « Le seul truc qui est un petit peu difficile ici, c’est de toucher du doigt les qualités physiques de certaines de tes adversaires. Tu comprends, les voir au quotidien, c’est pas pareil que de ne les rencontrer que le jour de la compet. Alexia [20] par exemple, elle est assez impressionnante à l’entraînement alors qu’avant de la connaître je ne la calculais même pas lors des compétitions. Des fois j’ai l’impression que mon entraîneur croît plus en elle qu’en moi. C’est quand même un peu dur de passer du petit club où tout le monde te voyait comme une championne, à l’INSEP où tu n’es finalement qu’une athlète moyenne qui n’a rien fait d’exceptionnel ». Cette auto dévalorisation qui perturbe le travail d’inculcation s’appuie par ailleurs sur la perception que Stéphanie a de ses chances « statistiques » d’accéder au haut niveau élite [21] . « Le plus déstabilisant, c’est les blacks. Elles ont quelque chose en plus. Il n’y a pas beaucoup de blancs qui réussissent dans les disciplines de vitesse. Quand je me retrouve au départ d’une course avec une black que je ne connais pas ça me stresse. C’est idiot, mais je me dis que forcément si elle est black, elle doit être super forte ».

Outre le sentiment d’avoir le privilège de faire partie des « élus » d’une élite, l’évolution des ambitions sportives du champion en herbe s’appuie sur la construction de l’idée que la carrière sportive de haut niveau est particulièrement extraordinaire et attractive puisque qu’elle est source de profits matériels, symboliques et financiers notables. Cette représentation se base tant sur les bénéfices qu’il commence à tirer de sa pratique que sur ceux qu’il observe chez les athlètes d’exception qu’il commence à côtoyer. « Un de mes plus grands souvenirs c’est ma rencontre avec Mehdi Baalah à l’occasion d’une dotation Adidas. J’avais fait partie des 10 retenus d’un challenge national et on nous a invité à l’usine de Strasbourg pour nous remettre tout ça. C’était extra ! Billet d’avion, super accueil, la dotation, j’ai vécu une journée merveilleuse et en plus ils nous avaient fait la surprise d’inviter Mehdi Baalah. (...) Dans le magasin, c’était la folie : Mehdi se servait comme s’il était à la maison. Il pouvait prendre tout ce qu’il voulait ! (...) A la fin de la journée, il nous a même fait monter un par un dans sa voiture de sport. T’aurais vu la caisse ! ». Ex athlète de haut niveau jeune. Les récits relatifs à la dimension extraordinaire et merveilleuse de la vie de champion ne manquent pas : ils évoquent de manière prolifique les contrats sportifs et financiers, la rencontre de personnalités médiatiques et politiques, les voyages et séjours dans des hôtels qui les ont marqués parce que dotés de piscines, salles de billard ou même plus simplement de téléviseurs dans les chambres. Les tons sont souvent émus, impressionnés et emportés. Cependant, cette représentation d’un monde extraordinaire et enchanté n’est pas systématique et renvoie tant à la temporalité de la carrière de l’athlète qu’aux configurations sociales individuelles dans lesquelles elle se développe.

Nathalie, athlète de haut niveau jeune sortie de carrière à 19 ans : Un monde hostile et pas particulièrement valorisant.

Nathalie a commencé l’athlétisme à l’âge de 13 ans, sur décision de sa mère, elle même conseillée par une enseignante d’éducation physique et sportive qui avait repéré son potentiel. Son entraîneur l’oriente vers le sprint et elle figure quasiment immédiatement en tête des bilans français. En moins de deux ans, elle connaît des succès internationaux relativement hors norme puisqu’elle est médaillée aux championnats du monde de sa catégorie d’âge et finaliste aux championnats du monde de la catégorie supérieure. Elle participe alors à de nombreux déplacements et stages à l’étranger, mais ses propos contrastent avec ceux de la majorité des athlètes et ex athlètes que nous avons rencontrés dans la mesure où elle ne semble pas portée par une dynamique de satisfaction et d’enchantement de ce qu’elle a vécu ou de ce qu’elle aurait pu vivre si elle avait maintenu son engagement. « Le haut niveau, c’est un truc que j’ai fait parce que j’avais quelques qualités mais ça ne m’intéressait pas et je ne m’impliquais pas du tout. (...) Hier encore mon copain me disait que si je n’avais pas arrêté aujourd’hui je passerai à la télé, je serais super connue, je gagnerai plein de sous, mais ça ne m’intéressait pas ». Tandis que l’entourage sportif, familial, amical et amoureux de Nathalie enchante le destin auquel elle semble promise, Nathalie n’adhère pas à cette représentation. Un premier élément de compréhension tient à la rapidité - voire la facilité - avec laquelle Nathalie a franchi les étapes de sa carrière sportive : s’inscrivant dans une temporalité trop réduite, les phases de repérage, sélection et consécration n’ont peut être pas joué leur rôle pédagogique dans le travail d’inculcation du sentiment de vocation à pénétrer un monde extraordinaire. « Mes qualités en athlé, c’est un truc que j’ai mais que je n’ai pas demandé etencore moins quelque chose pour lequel j’ai travaillé d’arrache pied. Je ne peux donc pas trouver cela exceptionnel. (...) Tu sais j’ai souvent gagné et c’était finalement pour moi quelque chose de facile, d’automatique qui n’avait donc rien d’extraordinaire ». Son incapacité à enchanter le segment de la compétition athlétique de haut niveau tient sans doute également au fait que Nathalie y a vécu des expériences amicales et amoureuses particulièrement hostiles. « Je n’ai pas vraiment de très bon souvenir de l’athlé. Disons que ce que j’ai préféré, c’est l’ambiance qu’il y avait dans mon club et ma région. Mais finalement c’était des trucs qui relevaient plus de l’amitié que de l’athlé proprement dit. (...) Dès que j’ai commencé à faire des stages nationaux et des compétitions internationales ça a été l’horreur parce que je me suis retrouvée avec des gens avec qui je ne partageais pas les mêmes délires : les ‘‘ parisiens’’...Si tu veux être amie avec eux, t’as intérêt à rire à leur blagues débiles, aimer leur musique, leurs fringues et leur exubérance, faute de quoi ils ne t’acceptent pas. Souvent les provinciaux se retrouvent à l’écart. Généralement c’est l’indifférence, mais de temps en temps les ‘‘ parisiens’’ prennent quelqu’un en grippe et là, ils sont vraiment dégueulasses : ils peuvent être très méchants, te faire des crasses lors des stages et faire courir des sales rumeurs sur toi ». Nathalie s’étendra longuement sur le problème des rivalités ethniques, culturelles, sportives et amoureuses qui se nouent au sein du microcosme de l’athlétisme de haut niveau ainsi que sur la question de la difficulté de s’insérer dans un groupe déjà partiellement constitué [22] .

Dans la lignée des travaux de B. Papin (1998)[23] nous avons vu que le travail pédagogique de l’institution sportive et de ses membres participe à la naissance d’aspirations nouvelles anisi qu’à l’inculcation d’une vocation d’athlète de haut niveau. Ce travail sera d’autant plus profond et efficace qu’il s’effectuera en douceur [24] : de manière tout à fait inconsciente et dans un contexte global d’adhésion à l’idée que la carrière d’athlète de haut niveau est « la plus belle de toutes les carrières ». La socialisation familiale est à ce titre fondamentale puisqu’elle peut accompagner ce travail d’inculcation ou au contraire participer à sa déconstruction. Comme l’ont déjà montré un certain nombre d’auteurs [25], les aspirations parentales varient en fonction des milieux sociaux et favorisent plus ou moins la projection précoce vers un avenir de champion. Ces mêmes aspirations dépendent en outre des caractéristiques de l’enfant et notamment de son positionnement dans la « compétition » scolaire. Les dispositions à envisager positivement une carrière d’athlète de haut niveau sont d’autant plus fortes que le devenir de l’enfant est moins assuré par l’école. « Quelque part, je peux dire que j’ai eu la chance d’être nul à l’école et de redoubler deux fois au collège. Il n’y avait pas d’alternative, donc mes parents m’ont laissé faire lorsque j’ai fait le choix de l’athlé à 100% : c’était le seul domaine dans lequel je réussissais ». Athlète de haut niveau élite. Par ailleurs, la dotation familiale en capitaux économiques conditionne la possibilité d’enchanter les bénéfices matériels liés au segment de la compétition athlétique de haut niveau. Plus l’écart entre les expériences vécues dans les milieux familiaux et sportifs est important (et au bénéfice du segment de la compétition athlétique de haut niveau), plus l’enchantement est potentiellement possible et inversement. De même, la dotation en capitaux culturels rend plus ou moins probable l’enchantement des titres sportifs [26] et s’inscrit dans des configurations familiales qui suscitent parfois des « mises en concurrence » scolaires ou sportives auxquelles les champions en herbe sont particulièrement sensibles : « Ma sœur, elle est super brillante : elle a eu son bac S avec mention. Alors forcément ça met pas mal de pression sur mes épaules. Mes parents me le disent, ils me disent ‘‘l’athlé, c’est bien mais il faut que tu réussisse aussi dans tes études’’. Pas évident de lier les deux après quelqu’un qui a placé la barre aussi haut ». Athlète de haut niveau jeune. Ainsi, si la frontière symbolique qui sépare les champions des profanes met, du point de vue de l’institution sportive, toutes les catégories sociales à égale distance, le rôle joué par les familles fait que les chances de devenir sportif de haut niveau sont inégalement réparties selon les origines, configurations et trajectoires familiales [27]. Outre la famille, les amis, camarades de classe ou collègues professionnels peuvent agir sur le travail d’inculcation orchestré par le monde sportif. Certaines configurations contribuent ainsi à l’enchantement de la carrière d’athlète de haut niveau : « Au lycée je sais bien que mes camarades m’envient et m’admirent un peu (sourire). J’ai eu un article récemment dans la revue du conseil général et ça a fait le tour du lycée, il y est affiché et mes copines l’ont mis dans leur trieur ou dans leur porte feuille ». Athlète de haut niveau jeune. A l’inverse certaines configurations peuvent inviter au désenchantement du segment de la compétition athlétique de haut niveau : « Parfois certains copains me demandent si ce n’est pas un petit peu trop dur. Ils trouvent que mes charges d’entraînement demandent un gros investissement et me demandent ‘‘est-ce que tu prends du plaisir au moins ?’’ ». Athlète de haut niveau jeune. Il est intéressant de noter que l’influence de ces milieux naît tant de la présence que de l’absence de relations interindividuelles. L’absence de relation est en effet un moyen d’objectiver le clivage entre le monde ordinaire et le monde extraordinaire auquel l’athlète appartient : « Je n’ai pas vraiment d’amis dans ma classe. Je fonctionne avec eux juste le temps des cours. Dès que la cloche sonne, je retrouve mes amis du sport étude dans la cour de recréation. On a un arbre. Les gens l’appellent ‘‘l’arbre des sport études’’. Et c’est vrai qu’à bien y réfléchir, on est finalement un petit peu coupé des autres élèves du lycée. On ne leur parle pas trop en fait ». Athlète de haut niveau jeune, scolarisé dans un lycée sport études [28]. « A l’INSEP on est complètement déconnecté de la réalité. C’est vrai pour plein de choses. Par exemple au niveau physique c’est tout bête mais on est tous très musclés, bien costauds et j’ai un copain lanceur qui me disait ‘‘ Moi, quand je sors dans la rue j’ai l’impression que les gens sont malades : ils sont tous maigres ’’. C’est vrai ». Athlète de haut niveau élite interne à l’INSEP.

Conclusion

La progression dans la carrière d’athlète de haut niveau semble conditionnée par une évolution de la manière dont l’athlète situe et qualifie le segment de la compétition athlétique de haut niveau. Pensé comme un monde lointain relativement déconnecté de sa pratique, ce monde devient progressivement un espace très attractif et accueillant. La socialisation sportive et extra sportive de l’athlète joue un rôle clé dans l’évolution de ces représentations. Notre propos s’est centré sur les deux premières phases de la carrière d’athlète de haut niveau, mais l’accès, dans un troisième temps, au statut de sportif de haut niveau senior ou élite, sous tend de nouvelles modifications subjectives. Plus précisément, les effets conjugués de la socialisation sportive et extra sportive ainsi que des évènements circonstanciels ou propres aux cycles de vie biologique et sociale participent à un travail de désenchantement relatif. L’athlète commence à prendre conscience du système de contraintes et de bénéfices qui se développe dans le monde de l’athlétisme de haut niveau et maintiendra, diminuera ou abandonnera ses hautes ambitions de progression sportive en fonction des ressources dont il disposera et de la manière dont il redéfinira ce monde.

Notes de bas de page

[1] Anselm Strauss (1992) - La trame de la négociation , Paris, L’Harmattan.

[2] Pour une réflexion sur la question des difficultés et tensions gérées par l’athlète de haut niveau qui construit, active ou inhibe un système de dispositions plus ou moins hétérogène de par la plus ou moins forte diversité des milieux de socialisation sportive et extra sportive qu’il investi, voir Forté Lucie « Fondements sociaux de l’engagement sportif chez les jeunes athlètes de haut niveau », Sciences et Motricité, à paraître.

[3] Charles Suaud, « La vocation » Conversion et reconversion des prêtres ruraux, Paris, 1978, Ed de Minuit, 280.

[4] JC. Passeron (1991), Le raisonnement sociologique - L’espace non poppérien du raisonnement naturel - Paris, Nathan.

[5] Papin, B. (1998). Sociologie d’une vocation sportive. Conversion et reconversion des gymnastes de haut niveau. Thèse pour le doctorat de l’université de Nantes.

[6] Hugues E.C., Le regard sociologique. Textes rassemblés par Jean Michel Chapoulie Ed EHESS Paris 1996.

[7] Notre propos fera ainsi échos aux travaux de V. Chevalier, 1998, « Pratiques culturelles et carrières d’amateur : le cas des parcours des cavaliers dans les clubs d’équitation », sociétés Contemporaines (1998) n° 29 (p. 27-41) et de D. Kirk, « Social positionning and the construction of a youth sports club », International Review for the Sociology of Sports 38/1 (2003) pp. 23-44.

[8] En France ces étapes objectives sont aisément repérables dans la mesure où les statuts sont indexés au niveau de performance de l’individu. Ainsi, la progression canonique de l’athlète d’exception passe par une phase où l’athlète est débutant puis sportif de bon niveau régional sans statut ministériel officiel. A mesure qu’il s’élève ensuite dans les bilans nationaux et internationaux, le sportif accède au statut ministériel de sportif de haut niveau jeune, sénior puis élite. En 2005, le Ministère de la Jeunesse et des sports a délivré 32 statuts d’athlètes de haut niveau élite, 186 d’athlètes de haut niveau sénior et 172 d’athlètes de haut niveau jeune. Ces chiffres et proportions sont relativement constants d’une année sur l’autre.

[9] Le Ministère de la Jeunesse et des Sports met a disposition de la fédération française d’athlétisme - association de type Loi de 1901 - un ensemble de quatre vingt huit (chiffre relativement stable qui correspond à celui de la saison sportive 2005/2006) cadres techniques qui sont des entraîneurs d’athlétisme experts. Bon nombre d’athlètes de haut niveau en France sont entraînés par ces cadres techniques tandis que les entraîneurs bénévoles ou rémunérés par les clubs sportifs s’occupent plus généralement de la masse des pratiquants. Cette opposition n’est cependant pas une généralité ni une obligation - même si la politique fédérale y invite fortement - et ceci particulièrement chez le jeune athlète de haut niveau qui est souvent très attaché à l’entraîneur qui l’a vu débuter au sein du club.

[10] Schwartz Olivier, 1993, L’empirisme irréductible p. 265 ...308, In Anderson Nels (1993) Le Hobo. Sociologie du sans abri, Nathan, Paris, 1ère édition 1923, The Hobo university of Chicago.

[11] Meeting international d’athlétisme que cet athlète avait suivi à la télévision quelques semaines avant sa sélection en équipe départementale minime.

[12] Robert S. Kossuth - Janine M. Mikosza and Murray G. Philips, “Gender, Sport and the Body Politic : Framing Femininity in the Golden Girls of Sport Calendar and the Atlanta Dream.” International Review for the Sociology of Sport, Vol. 34, No.1, 1999.

[13] Ces auteurs considèrent que la popularité des héros sportifs augmente non pas seulement du fait de leurs résultats lors des compétitions mais aussi et surtout parce qu’ils apparaissent dans les mass médias et participent au développement de stratégies marketing publicitaires liées à la commercialisation ou à la communication autour de produits qui ne sont pas nécessairement des produits sportifs. - Voir « I would like to be like Her/Him : Are athletes Role Models for boys and girls ? » Revue EPER, Vol 5, n°3, Oct. 1999.

[14] Les exemples de « détournements » publicitaires de la motricité athlétique ne manquent pas : A la fin des années 1990, Merlène Ottey et Carl Lewis ont eux aussi pénétré les écrans et affiches publicitaires de l’hexagone pour la marque de pneus Pirelli, tandis que l’américaine Gael Deavers faisait la promotion d’une marque de bas féminins. Plus récemment, les français Muriel Hurtis, Marc Raquil, Stéphane Diagana ou Christine Arron ont participé à des campagnes publicitaires liées à la téléphonie mobile, la restauration rapide, la bijouterie, l’automobile ou la mode.

[15] Cet état de fait n’est d’ailleurs pas spécifique à notre population : comme le montrent Biskup et Pfister (1999) les enfants confondent généralement les stars sportives avec les vedettes de la télévision ou du cinéma et les admirent pour des raisons qui ne renvoient pas à des dimensions directement liées à l’univers du sport de haut niveau. Ils s’identifient ainsi indistinctement à James Bond, Rambo ou un sportif en référence à son courage, sa force, sa supériorité et sa combativité, sans qu’il ne soit jamais question, pour le cas du sportif, de la dureté de ses entraînements ou de son extraordinaire maîtrise technique.

[16] L’interviewée fait référence ici aux abréviations R3 (régional 3), R2 (régional 2), R1 (régional 1), N3, N2, N1 pour les niveaux nationaux, IB et IA pour le niveau international. Chacune de ces abréviations atteste ainsi du niveau de la performance réalisée par l’athlète.

[17] Très vite, les athlètes licenciés repérés sont invités à participer à des stages départementaux, régionaux ou nationaux - en fonction du niveau de leurs performances - à l’occasion des vacances de Noël et de Pâques.

[18] Championnats de France scolaires.

[19] Championnats de France fédéraux.

[20] Alexia est une athlète de l’âge de Stéphanie. Elle pratique la même spécialité que Stéphanie et est d’un niveau inférieur à celui de Stéphanie à l’époque où j’effectue ce premier entretien.

[21] On retrouve ici une tendance à l’auto élimination anticipée qui rappelle celle mise en évidence par Bourdieu et Passeron au sujet des enfants issus de milieux sociaux dont les chances statistiques de réussir dans des études supérieures longues sont faibles - Pierre Bourdieu et Jean Claude Passeron, La reproduction, éléments pour une théorie du système d’enseignement, 1970, éditions de minuit, Paris.

[22] Pour un éclairage sur les logiques de l’exclusion qui s’exercent entre des groupes relativement semblables mais d’ancienneté de relation différentielle, voir la formidable étude de Norbert Elias, Logiques de l’exclusion, 1997, Librairie Fayard pour la traduction française.

[23] Op. cité.

[24] C. Suaud (1978) op. cité montre à ce titre que l’efficacité du travail d’inculcation de la vocation sacerdotale tient au fait que les élèves sont enveloppés dans un tissu de contrôles invisibles (parce que noyés dans le déroulement de la vie quotidienne), et supportables (parce qu’ils ont intériorisé l’idée que ce destin extraordinaire passait par une logique de sacrifice et d’acceptation de contraintes fortes).

[25] L’enquête de Papin (1998) op. cité montre que la gymnastique de haut niveau recrute principalement dans les classes populaires et moyennes. Le souhait des parents de voir leur enfant « devenir un grand champion sportif » diminue régulièrement quand on s’élève dans la hiérarchie sociale dans la mesure où les classes favorisées refusent de faire des choix qui restreignent trop tôt le champ des possibles de leur enfant. C. Suaud (1978) considère que dans les classes supérieures, décider du sort de son enfant alors qu’il n’avait que 11 ans était perçu comme une violation intolérable de sa personnalité. « Aussi, toute velléité de partir au séminaire de la part d’un fils n’était-elle guère prise au sérieux ; on s’abstenait de tout encouragement et on attendait plutôt « qu’il réfléchisse un petit peu avant de partir » ». Suaud 1978, p. 44.

[26] La place accordée à l’exposition des récompenses sportives de l’enfant est à ce titre très intéressante. Il n’est pas anecdotique de préciser que nous avons souvent observé que les coupes et médailles sportives des futurs athlètes d’exception étaient exposées dans les salons familiaux.

[27] B. Papin (1998) op. cité et H. Barber et H. Sukhi H (1998) - The influence of parent-coaches on participation, motivation and competitive anxiety in younth sport participants”, Journal of Sport Behavior 22(2) : 162-80 - s’accordent sur l’idée que la structure, le volume et la disponibilité du capital culturel familial influencent la potentialité d’accès à un haut niveau de pratique sportive. Il en est de même en ce qui concerne les caractéristiques des capitaux économiques et temporels des parents comme le montrent X. Yang, R. Telama et L. Laaskol, 1996, « Parents physical activity, Socio economic status and education as predictors of physical activity and sport amoung children and youth : A 12 years fallow up study”, IRSS 31(3) : 273-87 ; Ducan J, 1997, « Focus group interviews with elite young athletes, coaches and parents », in, Kremer J, Trew K and Ogle S (eds), “Young people’s involvement in sport”, pp. 217-29, London : Routledge ; Michael F. Collins and James R. Buller, “Social exclusion from high performance sport” In Journal of Sports and Social Issues Volume 27, n°4, November 2003, pp. 420-442 ; Tess Kay, « Sporting excellence : A family affair ? », in European physical education review, Vol.6 n°2 June 2000, pp. 151...169 ; Kirk D, Carlson T, O’ Connor A, Burke P, davis K and Glover S, 1997, “The economic impact on families of children’s participation in junior sport”, The Australian journal of science and medicine in sport, 29(2):27-33 ; Kirk D, O’ Connor A, Carlson T, Burke P, Davis K and Glover S, 1997, “Time commitments in junior sport : social consequences for participants and their families’”, Journal of sport behaviour 20(1):51-73.

[28] Ce phénomène n’est pas spécifique aux athlètes mais s’étend aux sportifs de haut niveau qui sont scolarisés dans des lycées publics classiques conventionnés avec les CREPS. Ainsi, Julien Bertrand (2005) - « Des « copains » aux « partenaires » ? Etude sociologique des relations entre apprentis footballeurs ». Communication présentée au congrès de la société de sociologie du sport de langue française, Le sport : entre intérêts publics et appropriations privées, Nantes 2005 - montre que les footballeurs du centre de formation de l’Olympic Lyonnais ont très peu de relations avec leurs camarades de classe et que les attitudes des uns et des autres entretiennent le clivage entre monde ordinaire et monde extraordinaire. Son étude ethnographique témoigne de la présence dans la cour de récréation non pas d’un « arbre des sports études » mais d’un « mur des stagiaires en formation ».